A son seul désir
Audrey Diwan offre une nouvelle vie à ce personnage issu du roman d’Emmanuelle Arsan si souvent exploité et caricaturé et l’affranchit de sa sulfureuse réputation. Oublions donc (enfin pas trop car il est hélas le paradigme d’un film misogyne et problématique) la version de Just Jaeckin qui fit d’Emmanuelle un objet de stupre un peu chic et complètement toc vu depuis les fantasmes masculins ! Réhabiliter Emmanuelle, c’est redonner une chance, une âme et une intériorité à ce personnage qui jusque-là n’existant que dans le regard des autres. Et en particulier des spectateurs voyeurs. Dans ce retour à la source, la jeune femme part seule à la conquête de son désir et de son droit à une imagerie fantasmatique dont elle serait enfin la pièce maîtresse et non plus la pièce rapportée. D’emblée, la scène d’ouverture du film, celle célèbre où Emmanuelle, dans un avion, invite un homme à la rejoindre aux toilettes, sonne la fin d’une époque. La beauté de la mise en scène et son organisation spatiale en décuple le trouble, jouant sur des reflets, leur multiplicité ainsi que sur la diffraction des regards qu’Emmanuelle porte sur elle-même, l’affirme comme seule détentrice de son plaisir à venir et décale la logique érotomane de ce récit initiatique. D’autant que (mais sans rien dévoiler) ce moment suspendu se déroule peut-être ailleurs. Dans une psyché plus profonde et une conscience plus enfouie. Exit ensuite la Thaïlande, pays réduit à un cliche de sexe débridé par des touristes priapiques, Emmanuelle, contrôleuse d’hôtels de luxe, débarque à Hong Kong, ville verticale, repliée sur elle-même et cherchant à tout prix à s’élancer. Une métropole folle, faite de cimes à conquérir et de limbes souterrains planqués dans des quartiers interlopes, une terre de contrastes crus, de néons aveuglants, de surface froides, une cité asphyxiante et hypnotique, idéalement faite pour s’y égarer. C’est dans ce labyrinthe minérale et métaphorique qu’Audrey Diwan trace la route de son héroïne. Recluse dans un établissement partiellement en travaux, Emmanuelle dicte ses règles, sa loi sexuée, éprouve ses désirs, les interrompant pour jouir du plaisir si particulier et si intense de la frustration. D’une caméra langoureuse mais n’exploitant jamais de manière concupiscente le corps de cette femme et de son interprète (impressionnante Noémie Merlant), travaillant dans un temps suavement suspendu une cristallisation du jeu érotique dont Emmanuelle est seule détentrice, Audrew Diwan inverse notre rapport à cette femme qui s’accomplit devant nos yeux sans jamais cesser de nous échapper.
Un film réalisé par Audrey Diwan, écrit par Audrey Diwan et Rebecca Zlotowski, avec Noémie Merlant, Will Sharpe – 1h45 – Pathé – En salles le 24 septembre