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Emmanuelle Nicot (L’Amour selon Dalva) : “C’est un projet que j’ai commencé à écrire il y a 5 ans”

par | 16 Déc 2021 | Interview, z - 2eme carre gauche

Diplômée d’un master en réalisation cinéma fiction (IAD), Emmanuelle Nicot sort de l’école en 2012 avec un court métrage, Rae, qui remporte 15 prix. En 2013, on lui propose de devenir directrice de casting sur un long métrage. Du casting essentiellement sauvage. Elle se lance dans l’aventure pendant 9 mois, se forme dans des stages de direction d’acteurs, et apprend sur le terrain ce métier qui va devenir une véritable passion. Elle fera par la suite des directions de casting sauvage pour deux autres longs métrages et six courts métrages. En 2016, elle réalise un nouveau court, À l’arraché, 17 fois primé, tourné en majorité avec des acteurs non professionnels. Emmanuelle Nicot fait partie des lauréats 2021 du Prix de l’aide à la création de la Fondation Gan. Elle nous présente son premier long métrage, L’Amour selon Dalva, dont le tournage s’est achevé en septembre dernier.

Pouvez-vous nous pitcher L’Amour selon Dalva?

Emmanuelle Nicot : C’est l’histoire d’une petite jeune fille de 12 ans, Dalva, qui vit une relation incestueuse avec son papa depuis qu’elle en a 9, en pensant que c’est une relation amoureuse. Le film commence au moment où le père est arrêté par la police, et Dalva envoyée dans un foyer pour adolescents. Je raconte donc son parcours, de l’emprise vers la prise de conscience de cette emprise. C’est ce cheminement-là qui cimente l’histoire, et sa particularité, c’est que Dalva est une enfant qui se vit comme une femme. Elle est la petite femme de son père : elle se coiffe, elle se maquille, elle s’habille, comme une adulte. C’est lorsqu’elle arrive au foyer qu’elle commence à comprendre que rien de tout ça n’est normal. C’est en entrant en contact avec le monde extérieur qu’elle va, petit à petit, prendre conscience de ce qu’elle a vécu, son isolement, son abus. Tout est parti je crois d’une triste anecdote qu’une amie m’a raconté. Son père était éducateur spécialisé, il travaillait avec des brigades de police qui venaient chercher les enfants qui étaient dans des situations vraiment suspectes à leur domicile. Il a été appelé un jour, suite à une suspicion d’inceste sur une petite fille de 7 ans, et quand il est arrivé au domicile, il s’est retrouvé face à cette petite qui était extrêmement sensualisée, sexualisée. Une situation assez terrible. Cette amie m’a donc parlé de cette histoire qui m’a vachement percutée. Je me suis dit : et si j’écrivais l’histoire de cette petite fille quand elle a 12 ans, au moment où, normalement, on vit ses premiers émois, ses premiers amours, on découvre son corps ? Comment une petite fille, au moment où la puberté arrive biologiquement, arrive à traverser tout ça ? La pré-adolescence, c’est un moment phare, très confrontant.

Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce 1er long métrage ?

Emmanuelle Nicot : C’est un projet que j’ai commencé à écrire il y a 5 ans, à un moment où on ne parlait pas d’inceste comme on en parle aujourd’hui. L’emprise est une question qui m’est personnelle, et je crois que tous mes courts métrages parlent de cela. J’ai besoin d’en découdre avec cette question. J’ai fait beaucoup d’immersion pour écrire mon film, notamment dans un foyer d’accueil d’urgence pour adolescents. Là-bas, j’ai rencontré deux personnages très importants pour le film qui s’appellent Dimi et Samia. Ce qui m’a frappée avec ces deux enfants avec qui j’ai entretenu des liens forts sur une période assez longue, ça a été à quel point ils défendaient leurs parents alors qu’ils avaient été retirés de leur famille pour maltraitance ou abus avérés.

Avant de réaliser votre premier long, vous faisiez du casting sauvage pour des courts et longs métrages. Est-ce la même méthode que vous avez employée pour caster vos principales interprètes ?

Emmanuelle Nicot : J’ai été aidée par Stéphanie Doncker sur Paris et en province, et je me suis occupée du casting en Belgique. On a posté des annonces, comme pour tous  les castings sauvages, dans des endroits très précis dans lesquels on se disait qu’on pouvait trouver les gamines. Pour Dalva, il fallait une enfant plutôt issue de la classe moyenne, qui ait du charisme et de la grâce, donc on est allé voir auprès des écoles de danses classiques, de musique, de chant, de gym, des centres équestres … J’ai repéré Zelda Samson en Belgique alors qu’elle jouait du saxophone. Elle a vu l’annonce dans son académie de musique. Stéphanie, elle, a trouvé Fanta Guirassy – qui joue le rôle de Samia – via une éducatrice de rue. J’ai eu un vrai coup de cœur pour Zelda, elle a quelque chose de très troublant, on ne saurait pas lui donner d’âge… Elle a à la fois quelque chose de très mature, une aisance corporelle assez incroyable, et en même temps, elle a encore quelque chose de poupin dans son visage, un peu comme Charlotte Gainsbourg à ses débuts. Sa maturité intellectuelle m’a beaucoup surprise aussi, elle emploie des mots que des enfants de son âge emploient peu, elle m’a semblé parfaite pour incarner Dalva parce que Zelda n’est pas gênée par son adolescence, contrairement à beaucoup d’autres ado.

Pour les rôles de Dalva et Samia, on a reçu environ 5000 candidatures.

Comment avez-vous abordé la question de l’inceste avec Zelda ?

Emmanuelle Nicot : Elle a tout de suite été soulevée, dès les castings. J’ai fait une partie du casting pendant le 1er confinement, et du coup j’ai demandé aux postulantes de m’envoyer des selftape dans lesquelles elles devaient se présenter. Pour les rôles de Dalva et Samia, on a reçu environ 5000 candidatures. Pour Dalva, j’ai retenu environ 150 candidatures sur base des vidéos, et on a appelé les parents des filles qu’on retenait pour leur parler du film, du sujet, etc. C’était essentiel que les parents le sachent avant d’envoyer leurs petites au casting. On a eu très peu de refus. En réalité, ce que me disaient les parents, c’était qu’ils allaient en discuter avec leurs filles, aborder le sujet de l’inceste, qui peut être flou pour des enfants. Pour Zelda aussi, c’était un apprentissage du mot et de sa charge, mais jamais elle n’a eu à en sentir le poids durant le tournage. On a tout mis en place au cas où ce serait le cas, une psychologue était présente. Pour Zelda, c’est toujours resté un jeu d’incarner cette petite Dalva. Elle avait beaucoup de recul par rapport à ce personnage.

Aux côtés de Zelda, on retrouve entre autres Alexis Manenti.

Emmanuelle Nicot : Il joue le personnage de Jayden, un éducateur qui va devenir le référent de Dalva. Il va l’accompagner durant cette année de prise de conscience. C’est un personnage très droit dans ses bottes et en même temps, on sent qu’il a un fond extrêmement sanguin. Ce n’est pas dit dans le film, mais c’est un personnage que j’ai écrit comme un ancien enfant placé, qui va s’attacher à Dalva parce que sa problématique le touche. Ce que j’aime chez Alexis, c’est que c’est un talent brut, qu’il a un jeu qui n’est pas policé. C’est un acteur complexe, et sa complexité m’intéressait vraiment pour ce personnage.

Comment avez-vous eu l’idée de soumettre votre scénario à la Fondation Gan ?

Emmanuelle Nicot : C’est ma productrice française, Delphine Schmit, qui a eu l’idée de soumettre le scénario à la Fondation Gan. On l’a présenté à la toute fin de nos recherches de financements. Globalement, on a eu toutes les aides qu’on a sollicitées, sauf celle du CNC. A un mois du tournage, il nous manquait quand même une partie des financements, on a donc tenté notre chance avec la Fondation Gan, et, à mon grand bonheur, on a remporté le Prix d’aide à la création. Je mesure ma chance, ce premier long métrage, j’ai pu le tourner avec 3 millions d’euros, et ce n’était pas de trop parce qu’on a tourné comme je vous le disais avec des enfants, beaucoup d’enfants, dont l’actrice principale qui avait moins de 12 ans donc, et on avait des normes draconiennes que nous imposait la DAS. On avait de toutes petites durées de tournage par jour, et grâce à cet argent, on a pu tourner le film en 42 jours.

Maintenant que le tournage est fini, quelle expérience ce premier film a été pour vous ?


Emmanuelle Nicot
: C’est une année de fou pour moi, parce que j’ai fait un bébé et un film la même année ! Mon premier bébé et mon premier long métrage. J’ai appris que j’étais enceinte deux jours avant d’avoir le feu vert pour faire mon film, et je n’ai pas eu envie de décaler mon tournage, je me suis sentie capable d’accoucher de deux bébés. J’ai accouché en février, j’ai eu deux mois de congés maternité et je suis repartie en repérage, avec mon bébé d’ailleurs ! J’ai tourné mon film quand mon petit avait 5 mois. Ça a été très éprouvant parce que c’est une année durant laquelle je n’ai connu que des premières fois … Je vivais des choses sans avoir l’expérience d’elles. Malgré tout, tout s’est mis en place, et je crois que j’avais beaucoup d’adrénaline sur le tournage, je n’ai rien lâché. Mais, en fait, le moment où ça a été très difficile pour moi, c’était au début du montage. Le rêve d’un film s’évanouit d’une certaine façon. Le montage, c’est toujours un deuil à faire.

Pour finir, pourriez-vous nous dire un mot du style du film, de sa mise en scène ?

Emmanuelle Nicot : J’ai essayé de faire le film le plus lumineux possible. Il y a beaucoup de soleil. C’est un film dans lequel on est plutôt en caméra épaule, très proche de Dalva, dans un langage assez sensitif. On ne pourra jamais vraiment être dans le regard de Dalva, parce qu’on sait, nous, que l’inceste est un crime extrêmement grave, alors que Dalva, elle, pendant toute une partie du film, va être dans la non-conscience de ce crime. Mais j’ai essayé de faire en sorte qu’on soit au plus proche de son regard, vraiment à côté d’elle, pour l’accompagner dans ce qu’elle traverse. J’ai mis en place un dispositif de proximité avec elle.

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