Après Douches froides et Happy Few, Antony Cordier revient sur les écrans avec une comédie fantasque et émouvante, applaudie dans plusieurs festivals de cinéma déjà. C’est plein d’émotion que le réalisateur (et co-scénariste) nous parle de Gaspard va au mariage. Entre joie, fébrilité et excitation.
Comment est né Gaspard va au mariage ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter et mettre en scène cette histoire ?
C’est un film qui m’est cher. Il a été difficile à monter, à financer. Je suis si heureux qu’il soit là aujourd’hui, vivant. Gaspard, c’est le résultat de plusieurs choses, plusieurs envies. Avec Julie Peyr, scénariste avec laquelle je travaille depuis vingt ans, on aime beaucoup ce qu’on appelle le film de comédie dysfonctionnelle, comme La Famille Tennenbaum de Wes Anderson, Elisabeth Town et Margot At The Wedding de Cameron Crowe ou Another Happy Day de Sam Levinson. On arrêtait pas de parler de ces films et à un moment, on s’est dit qu’il fallait tenter le coup et écrire notre propre comédie dysfonctionnelle. On a cherché ce qu’on voulait raconter, imaginé l’univers dans lequel on voulait voir l’histoire prendre vie. Très vite, l’idée du zoo est apparue et ça nous a ouvert quelques portes pour l’écriture. C’est un film qui revient de loin, qui a changé de producteur, de distributeur… Au départ, personne ne voulait de Gaspard. Le sujet, les personnages… Rien n’inspirait confiance. Aucune chaîne n’était intéressée… C’est dingue parce qu’à partir du moment où on élève un peu le curseur dans une comédie française, on est confronté à la frilosité de ceux qui financent le cinéma. Tout leur fait peur quand il s’agit d’un film de fiction, et là, ils découvraient une fille qui s’habille en ours et qui sent mauvais, ce qui semblait trop extravagant ou rebutant pour les spectateurs à leurs yeux. Puis, c’était une fiction qui oscillait entre différents genres. Tout a fait question. C’est pour ça que le film a mis des années à se faire. Parce que ce n’est ni une comédie pur jus, ni un vrai film d’auteur, mais une fiction qui navigue entre les genres et les styles.
Les comédiens que vous avez choisis ont chacun leur style eux aussi. Vous cherchiez des “natures” m’a confié Christa Théret.
J’ai appris avec l’expérience qu’il ne fallait pas écrire pour un comédien en particulier. Parce qu’il peut refuser, parce qu’il peut ne pas être disponible. Puis je pense qu’il faut qu’il y ait un échange. Que les acteurs viennent au film comme le film vient aux acteurs. Donc je préfère le contact humain d’abord, échanger, parler, de tout, prendre la température. Un film, c’est un engagement. Il faut être bien dans ses pompes, disposé à jouer, à collaborer avec un metteur en scène. Il faut que tout le monde parle la même langue. Je m’assure de tout ça en amont car nous passons près de sept semaines ensemble sur un tournage, et il veut mieux être accompagné de personnes et personnalités qu’on apprécie, il vaut mieux savoir mélanger avec soin les énergies pour éviter les tensions. Il y a certainement des acteurs que je trouve géniaux et avec lesquels je ne m’entendrais pas. Rencontrer Christa, Félix, Lætitia ou Guillaume avant de leur confier un rôle, c’était naturel. Le travail d’un réalisateur, c’est de regarder des gens. Et il faut avoir envie tous les jours de voir et filmer ces gens. Quand j’ai rencontré Lætitia Dosch par exemple, quelque chose m’a immédiatement déstabilisé chez elle, et j’étais sûr que, tous les jours sur le plateau, je viendrais avec la même envie de la filmer, de la regarder vivre, jouer. C’est hyper important pour moi.
Il y a une séquence musicale qui tape particulièrement dans l’oeil : celle où les personnages principaux dansent ensemble mais séparément dans un salon. Aucun mot n’est prononcé, tout est dans l’expression des corps et le découpage…
A l’origine, la séquence n’était pas dans le scénario. Elle est typique de la façon dont on a fait le film. Il y a des envies qui naissaient instinctivement pendant le tournage, des choses qu’on avait tous envie d’essayer de faire. Et pour cette séquence dansante et musicale, c’est ce qui s’est produit. L’idée est venue comme ça, et après il a fallu la mettre en œuvre. On s’est fait aider par un danseur pour chaque chorégraphie, chaque acteur a bossé et je les ai accompagnés, j’ai dansé à leurs côtés, comme une merde bien sûr, mais j’étais avec eux. Dans cette scène, c’est le corps qui parle. Il fallait donc que la danse que danse le personnage soit juste, qu’elle dise quelque chose de sa personnalité, que tous n’ait pas le même niveau. Tout ça devait raconter quelque chose sur leur personnage. Chacun joue avec ses armes du coup : Guillaume est très précis, technique, tout ce qu’il fait, il le réussit, alors il dansait comme un pro, Félix, lui, dansait de manière plus poétique, et Christa avec une forme de charme… Cette scène laisse, j’espère, le spectateur libre de ses interprétations. Le flux des émotions passe par le corps et la musique. Quant aux difficultés techniques, on les surmonte. Ce qui compte encore une fois, c’est de garder intact l’envie de tourner, d’aborder chaque jour et chaque scène avec le même élan et de se laisser surprendre.
Gaspard repose en effet sur des énergies collectives et la musique pop les fait rayonner. Qu’est-ce qui vous a fait pencher pour Thylacine, compositeur de la bande-originale du film ?
Je l’avais vu en concert et j’ai beaucoup aimé sa musique. Elle m’a parlé. J’ai écouté plusieurs morceaux ensuite sur Deezer et je les ai trouvés inspirants. C’était au moment de l’écriture du film et j’ai l’habitude d’écrire en musique, ça m’aide à visualiser certaines scènes. Il y avait quelques chose de juste, de mélancolique aussi. Et je me suis dit que ça collait pas mal à l’émotion globale du film. Je me suis tourné vers Thylacine et je lui ai proposé qu’on travaille ensemble. Il a 25 ans, il est de la même génération que Félix et Christa, et du coup, je l’ai considéré comme l’un des acteurs du film, car la musique est un personnage à part entière.
Si chaque personnage était un animal de ce zoo, qui serait quoi ?
Pas facile comme question… Gaspard, ça pourrait être un lion…
C’est drôle parce que Félix Moati n’a pas hésité à comparer Gaspard à un félin…
(rires) Ça ne m’étonne pas de Félix ça… ! Un lion c’est bien pour Gaspard, c’est un animal qui s’impose et en même temps qui a un côté un peu branleur, qui est un dilettante. Pour Laura, je dirais … un gibbon, cet espèce de grand singe très gracieux qui chante extrêmement bien – et Lætitia Dosch chante super bien. Virgil a un côté plus réfléchi… Guillaume Gouix a une belle manière de définir son personnage, il dit que sa poésie ne demande qu’à s’exprimer, qu’elle est un peu coincée. Un insecte, ça serait pas mal, un scarabée ou un doryphore. Johan Heldenbergh (Max, le père de Gaspard, Coline et Virgile, Ndlr) avait envie d’être un labrador… Pourquoi pas. Max, c’est un cavaleur, un séducteur. On peut comprendre la comparaison avec le labrador. Quant à Peggy (Marina Foïs, Ndlr), c’est un animal solitaire, forcément, un animal qui est bien dans sa solitude… Ça pourrait être un loup, ou un rhinocéros. Le rhinocéros, c’est un animal qui peut vivre avec d’autres animaux, comme les zèbres par exemple, mais qui a besoin parfois de s’isoler. Je mise sur le rhino pour Peggy.
Propos recueillis par Ava Cahen.