Laure Calamy : « Dans la vie de tous les jours, mon corps est très important dans la manière que j’ai de m’exprimer, de vivre les choses »
2017, c’est l’année Laure Calamy : un rôle évolutif, riche, drôle et tendre dans la saison 2 de Dix pour Cent diffusée en mai sur France 2, un personnage de mère dépassée en pleine remise en question dans Ava (en salles le 21 juin) et de célibataire maladroite au cœur d’un summer camp raëlien dans Bonheur Académie (le 28 juin), sans parler du festival d’Avignon où elle se trouvera dès juillet … FrenchMania fait un point d’étape avec une comédienne française en passe de devenir incontournable.
Le succès de Dix pour Cent vous a rendue extrêmement populaire, mais à quel moment situez-vous le tournant qu’ a pris votre carrière ?
Dix pour Cent m’a apporté de la visibilité auprès des chaînes et des producteurs. Toutefois, l’élément déclencheur reste Un monde sans femmes de Guillaume Brac. C’est par ce film que l’on a pu me repérer, m’identifier… Ça m’a notamment permis d’avoir des propositions d’un nouveau cinéma français, de cinéastes qui sortaient de la Fémis par exemple. Il se passe quelque chose avec Dix pour Cent, encore plus sur la saison 2 dans laquelle mon personnage a grandi. Je me suis énormément amusée, c’était jouissif pour nous ! Mais c’est vrai que le tournant de ma carrière s’est vraiment opéré avec Un monde sans femmes, même si tout s’est construit assez lentement. Je faisais pas mal de participations de quelques jours, en second rôle surtout, puis en parallèle, des courts métrages, des moyens métrages… L’expérience de Zouzou de Blandine Lenoir était assez forte aussi. Réalisé avec les moyens d’un court métrage. On a pu beaucoup improviser autour d’arcs narratifs mais dans une certaine urgence de réalisation, ce qui donne une belle énergie au film. On retrouve un peu ce côté « cinéma d’auteur » dans mes collaborations avec Vincent Macaigne (Ndlr : Pour le réconfort, à l’Acid à Cannes). Finalement, il y a comme un parallèle qui s’opère entre cette carrière plutôt axée cinéma d’auteur et la force de frappe de Dix pour Cent. Ceci dit, le public qui m’appréciait pour ma carrière au cinéma apprécie aussi Dix pour Cent, c’est assez génial !
On vous découvrira le 21 juin dans Ava, le premier film de la jeune Léa Mysius qui sort de la Fémis justement. Le film était en compétition à la Semaine de la Critique à Cannes et a été récompensé par le prix SACD. Comment est-ce que vous avez abordé ce projet ?
Léa Mysius sort peut-être tout juste de la Fémis mais c’est déjà une grande cinéaste ! Elle m’avait repérée dans Un monde sans femmes, mais elle m’a confié que c’est après avoir vu La Contre-allée de Cécile Ducrocq qu’elle fut totalement convaincue de son choix. C’était aussi super de travailler avec Noée Abita pour sa première expérience au cinéma.
Qu’est-ce que ce personnage avait de différent par rapport à ceux que vous aviez pu incarner avant ?
La différence était plus au niveau de l’univers de Léa. La mère que je joue peut être le même genre de femme que dans Un monde sans femmes. J’avais vu les courts métrages de Léa, et c’est son univers qui m’a complètement emportée. J’ai pu voir le film monté récemment, dès les premières minutes, j’étais sidérée. Par rapport au rôle, j’aimais le fait qu’on ne sache pas grand-chose de cette femme. Il y a quelque chose qui ne s’explique pas avec elle, elle est assez seule. On peut s’inventer plein de choses autour d’elle. J’aime jouer avec des secrets. C’est l’occasion de se construire un imaginaire. C’est une mère assez maladroite mais elle est aussi libre, conquérante, dans le désir d’une certaine manière. J’ai aussi aimé le côté drôle et à la fois pathétique du film.
J’aime jouer avec des secrets.
Ava est un film dur et à la fois solaire…
Exactement, ce sont deux extrémités-là qui font finalement la vie. C’est ce qui m’avait d’ailleurs plu dans les courts métrages de Léa. J’avais beaucoup aimé L’Île Jaune mais j’ai flashé sur Cadavre Exquis. Puis à la lecture du scénario de Ava, j’ai tout de suite eu très envie d’y prendre part.
La semaine suivante sort Bonheur Académie d’Alain Della Negra et Kaori Kinoshita, c’est un réel Ovni. Qu’est-ce qui vous a intéressée dans ce film tourné au cœur d’un camp d’été de la secte de Raël ?
Ce qui intéressait surtout Alain (Della Negra) et Kaori (Kinoshita), c’était de montrer ce que les gens viennent chercher dans le mouvement raëlien. Ils ont fait des stages avec eux pour vraiment s’imprégner de cette « culture » là et ne pas faire le choix facile de s’en moquer. Pour la petite anecdote, je me souviens du premier jour à la cantine, une femme est arrivée avec son plateau et a crié : « Je vous aime ». Ça m’a fait un peu peur mais finalement, il y a peu de gens très intenses comme ça, c’est surtout des personnes comme vous et moi qui viennent pour l’effet de communauté, retrouver un certain vivre ensemble, un idéal de vie, la nature… L’ambiguïté à propos de ce mouvement dans le film nous pousse aussi à nous questionner : Qu’est-ce que « la bonne pensée » ? Dans quoi sommes-nous tous plus ou moins embringués ? Ce n’était pas forcément très facile de convaincre la communauté des bonnes intentions d’Alain et Kaori. Les raëliens étaient pour certains très suspicieux, craintifs de la parodie de leur mouvement, alors que c’était à l’opposé de l’idée du film. C’est une secte qui s’accorde aussi à ce qui se passe dans le monde en ce moment, les gens qui y participent ont aussi ce désir de se détacher un peu de la réalité quelques temps.
On parlait tout à l’heure de Ava, dans lequel votre corps devient un réel instrument de jeu. C’est aussi le cas dans Bonheur Académie et même Dix pour Cent. Est-ce que cette facilité à jouer avec son corps ne serait pas un des héritages du théâtre ?
Oui, je pense qu’il y a quelque chose qui vient de là. Mon corps est un réel instrument pour moi, un peu comme pour une danseuse. Il y a moment où tu deviens à la fois le sculpteur et la glaise. Même dans la vie de tous les jours, mon corps est très important dans la manière que j’ai de m’exprimer, de vivre les choses … C’est quelque chose que j’avais en moi et que j’ai pu affirmer vraiment par le théâtre. On s’en prive encore trop au cinéma. Ça peut être une forme de souffrance pour un comédien que de s’exprimer, jouer avec son corps au cinéma et d’être soumis à un cadrage qui ne le montre pas par exemple. On peut être privé de son corps au cinéma.
Mon corps est un réel instrument pour moi, un peu comme pour une danseuse.
Est-ce que cette privation du corps pourrait vous mener à la réalisation pour y remédier d’une certaine façon ?
Pour l’instant, non. J’avais travaillé avec Vincent Macaigne sur Ce qu’il restera de nous, on improvisait beaucoup. On avait tourné d’ailleurs une scène de douze minutes, dont il en a gardé neuf. L’improvisation est une forme d’écriture au cinéma, même si elle est dans le désir de l’autre. Après, si je me retrouve toute seule avec mon surmoi, c’est l’horreur, je me détruis toute seule, je ne survivrais pas (rires).
Vous commencez le tournage du nouveau film de Julie Bertucelli prochainement ?
C’est un projet imminent oui. On tourne très bientôt avec Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni ! Je tourne aussi, presque en même temps, avec Éric Judor pour un premier film. Celui de Julie Bertucelli s’appelle Le Dernier vide-grenier de Claire Darling, le personnage du titre est interprété par Catherine Deneuve. Cette femme, au crépuscule de sa vie, est collectionneuse, il y a donc un vrai rapport à l’art dans le film. Elle pense qu’elle va mourir et veut se débarrasser de ses affaires. J’y interprète une antiquaire, amie d’enfance du personnage de Chiara Mastroianni. Contrairement à sa fille avec qui elle vit une vraie rupture, il y a presque un lien de transmission entre la femme qu’incarne Catherine Deneuve et moi. Et pour le premier film de Julien Guetta, Roulez Jeunesse !, Éric Judor joue un « homme-enfant » dont la mère tient un poste de dépannage d’autoroute et par un concours de circonstances, il se retrouve avec trois enfants sur les bras que lui laisse une fille avec qui il a passé une nuit. Ça va être assez drôle ! Je serai également au théâtre pour Les Parisiens d’Olivier Py à la FabricA d’Avignon du 8 au 15 juillet. Le texte est démentiel, il fait vraiment écho à tout ce qu’on a pu vivre récemment et notamment les Manifs pour Tous. C’est très beau ! J’y joue une trans lesbienne, c’est un sacré rôle qu’il m’a écrit. Ça va être génial, j’ai hâte ! C’est essentiel pour moi de vivre le théâtre avec des gens comme ça. C’est ma respiration. Il y a aussi cette liberté de maitrise de la matière et du corps dont on parlait et qui soulage.
Propos recueillis par Franck Finance-Madureira