Les personnages sont composites avec cette idée que la seule façon de ne pas trahir la mémoire était de passer par la fiction
Agrégé de lettres modernes, Philippe Mangeot a coécrit le scénario de 120 battements par minute avec Robin Campillo. Celui qui fut président d’Act Up-Paris de 1997 à 1999 nous raconte les coulisses de la genèse du film-événement.
Comment vous êtes-vous retrouvé à coécrire le film avec Robin Campillo ?
Ce n’est pas mon métier, je suis professeur de littérature donc il n’y avait pas d’évidence mais, en même temps, Robin m’avait déjà demandé, au début des années 2000, de travailler avec lui. Je l’avais accompagné sur l’écriture de Drug holidays (Vacances thérapeutiques) et malgré la tendresse que j’avais pour ce scénario, il ne devait pas être très bon et le film ne s’est jamais fait. Au sortir d’une réunion avec Marie-Ange Luciani et Hugues Charbonneau (ses producteurs, ndlr), Robin m’appelle et me dit qu’il a vraiment envie de faire un film sur Act Up. On a déjeuné tous les quatre et j’ai donné mon accord pour travailler sur le script. Je ressentais un vrai besoin de transmettre, mes étudiants ont 21 ans, les plus âgés de mes neveux sont nés pendant cette période, ils savent vaguement que j’ai été président d’Act Up-Paris et deux fois veuf mais tout cela paraissait un peu loin d’eux. J’ai accepté sur cette base et parce que je sentais que j’étais un de ceux qui avaient peut-être le droit d’en parler. Mais 120 battements par minute, c’est plus la vision d’Act Up de Robin que la mienne. De toute façon, et je dis ça en toute amitié et admiration pour son travail, Robin a du mal à travailler avec une idée qu’il ne s’est pas approprié. Je lui proposais des choses, j’insistais, il disait “non” et revenait vers moi en me racontant sensiblement la même chose comme si l’idée venait de lui ! C’est normal, c’est son film ! On a produit pas mal de slogans, qui finalement dessinaient les lignes de rupture du scénario : “Est-ce que je l’aime parce qu’il va mourir ?”, “La politique peut-elle encore quelque chose ?”, …
Justement, comment se sont construits les personnages ?
On a travaillé la construction des personnages sur des lignes de de fractures, d’oppositions. Ils sont composites avec cette idée que la seule façon de ne pas trahir la mémoire était de passer par la fiction. Ils pouvaient après accueillir les souvenirs de personnes réelles. Et Robin et moi n’avions pas forcément les mêmes souvenirs. On a travaillé plus d’un an en se voyant tous les vendredis matin. On savait qu’il fallait ouvrir le film sur une opposition dans l’association sur une action ratée et Robin savait qu’il voulait “casser” le film en deux. Il fallait qu’à un moment donné le politique ne soit plus capable de rien à part organiser des funérailles. En cela, c’est un peu désespéré. Robin a travaillé de son côté et 3 semaines plus tard, j’ai reçu une première version du scénario dans laquelle tout avait pris forme. Après la présentation à l’avance sur recettes et les 6 mois de casting, j’ai pas mal travailler avec les comédiens pendant l’atelier préparatoire qui nous a permis d’affiner l’écriture des personnages. Mon intervention s’est poursuivie sur le tournage à la demande de Robin, notamment pour le rassurer sur certaines scènes qui lui faisaient sans doute un peu peur. Et puis sur des détails importants comme la déco, le maquillage, les coiffures, … J’ai beaucoup discuté avec la maquilleuse pour que les tâches de Kaposi ne soient pas trop voyantes, car dans des films comme The Normal Heart (Ryan Murphy, 2014, ndlr), je ne vois que le faux.
Que ressentez-vous maintenant que le film est en salles et qu’une forme de revival actupien s’opère dans les médias ?
Le film est bien accueilli et cela me rend vraiment heureux et bien content que les gens aient un rapport direct avec le film. Et puis c’est ce qu’on voulait : transmettre cette histoire et accéder par la fiction à une forme de vérité sur ce qu’était Act Up à l’époque. Pour être honnête, je suis dans une mélancolie horrible depuis quelques jours. J’ai même publié pas mal de mes photos d’archives sur mon Instagram parce que j’ai peut-être la crainte que la mémoire d’Act Up soit recouverte par la mémoire du film. Je le dois à ceux qui sont vivants comme à ceux qui sont morts, c’est un sentiment très fort. Et puis reste une question : qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Si le film peut-être une sorte de réconciliation nationale, il faut que les militants de la lutte contre le sida, et les autres, s’en emparent ! Ces événements ont eu lieu dans des conditions particulières, pas reproduisibles, mais j’espère qu’ils provoquent l’envie de militer.
Propos recueillis par Franck Finance-Madureira