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Entretien avec Simon Astier pour Hero Corp

par | 24 Juin 2017 | Interview, SERIES

« L’humour et le décalage sont un mode de communication profond chez moi »

Presque dix ans se sont écoulés depuis la diffusion du premier épisode d’Hero Corp, la série super-héroïque de Simon Astier. Une série unique en son genre dans le paysage audiovisuel français, à l’heure où les super-héros US affluent sur le petit écran. Mais  l’aventure s’est terminée avec la cinquième saison qui sort ce mois-ci en DVD. L’occasion de faire le point avec le créateur de la série.

Après cinq saisons vous arrêtez Hero Corp. Ce n’était pas possible de poursuivre en prenant une autre direction ?

J’aurais pu faire évoluer l’intrigue, mais ce que je voulais raconter à travers Hero Corp s’arrêtait là. En fait, les problématiques évoquées dans la série sont en partie résolues dans ma vie. Donc il n’y aurait pas eu de justification honnête de ma part à une saison supplémentaire si ce n’est, éventuellement, de faire un épisode spécial, dix ans après, pour voir où en sont les personnages.

Hero Corp est arrivée il y a maintenant une dizaine d’années, à une époque où, à part Misfits et Heroes, il n’y avait pas grand monde sur ce créneau. En France, cela n’a pas vraiment changé …

En fait, pendant que j’écrivais la série, Hervé Bellech, le producteur d’Hero Corp, m’avait envoyé Heroes. Je me suis rendu compte qu’il y avait des éléments communs donc j’ai dû réécrire certaines choses.

Je pense que c’est culturel. Culturellement, ce qui fonctionne le plus en France sont les séries domestiques, sur la famille, sur des gens proches de nous. Les Anglo-Saxons, eux, aiment bien transposer leurs peurs et inquiétudes dans des mythes. Les Américains par exemple, ils peuvent facilement dire : « Dans ce monde, il y aurait ça », et ils décident d’y croire avec une naïveté d’enfant. Nous, je crois qu’on aime se détendre sur ce qui nous stresse et on a beau être des enfants de la télévision et de la culture anglo-saxonne, on reste Français avec notre identité. Quand on s’essaie au genre, c’est avec frilosité, les diffuseurs, qui sont d’abord des entreprises qui doivent faire des résultats, ne peuvent pas parier là-dessus sans suffisamment d’exemples qui prouvent que ça peut marcher.

Au début de la série, il y avait une volonté de ne pas s’assumer totalement comme une série de super-héros, notamment via une approche assez réaliste.

En fait, Hero Corp ce n’est pas tant une série de super-héros qu’un programme qui parle des gens. Il n’y a pas de cynisme dans ce que j’écris, on est face à des problématiques très humaines. Le fait de mettre les personnages dans un genre fictionnel permet juste de parler plus librement dans une réalité qui est autre. Personnellement, je préfère faire ça plutôt qu’un film social ou sociétal.

Oui, c’est ce qu’on peut qualifier de films AVEC des super-héros, comme chez Raimi ou Nolan, à la différence des films DE super-héros.

Je suis d’accord et même si je n’aime pas critiquer le travail des autres, il est vrai qu’aujourd’hui les films sont souvent dans des archétypes. On recherche plus le “high concept” que l’écriture en elle-même. Donc le moment où on développe les personnages est finalement très court et pas forcément indispensable au récit. Mais à chacun de s’approprier le mythe du super-héros. Moi ce qui me bouleverse, par exemple dans le parcours de Batman, c’est le traumatisme en tant que moteur à dévouer sa vie à une sorte d’idéal. Après j’y ajoute de l’humour et du décalage, mais parce que c’est un mode de communication profond chez moi. C’est pourquoi il y a des personnages qui sont propres uniquement à se détendre mais avec un enjeu qui se doit d’être épique.

Vous avez opté pour le genre super-héroïque, tandis que votre frère, Alexandre relançait le péplum avec Kaamelott. Deux genres qui induisent des coûts et des contraintes forts …

Déjà en termes de budget, on n’est pas pareil avec Alexandre (rires). Mais je pense qu’on est avant tout des joueurs. On aime bien apprendre les règles d’un nouveau monde et naviguer dedans avec beaucoup de sérieux. Ça permet de s’éloigner du quotidien en faisant rêver. Forcément, du moins pour moi, un chevalier ou un super-héros, c’est vraiment propre à faire rêver. Et, sans faire de la psychothérapie sur notre enfance, moi, j’aime bien, même quand cela se passe dans le monde urbain contemporain, qu’il y ait quelque chose de magique. C’est aussi pour ça que j’aime les histoires, parce qu’elles m’emmènent loin de chez moi, et m’y ramènent après un voyage, après que j’ai compris des choses sur moi.

Hero Corp a beaucoup évolué, notamment dans l’importance que vous avez donné aux personnages. Pour cette dernière saison, on peut avoir le sentiment que vos personnages sont un peu mis de côté.

Presque tous, sauf John en fait. La série partait de lui, l’avait presque oublié sur des saisons précédentes dans lesquelles il était devenu un personnage secondaire. A la fin, c’était normal de revenir à lui. Les autres personnages secondaires, eux, ne sont que des variations du thème  traité dans Hero Corp : trouver sa place, accepter qui on est… Mine de rien, ils vivent tous ça. Ils n’ont juste pas le même parcours.

Le ton de la série a évolué lui aussi, devenant plus sombre…

Oui parce que j’ai quitté au fil de la série un âge d’ado ou de jeune adulte, pour devenir un adulte. Ce que je finis par raconter, c’est qu’il ne faut pas être naïf, ni pessimiste, il ne faut pas croire qu’il y a le bien et le mal, juste accepter qu’on est au centre de la balance et qu’il faut garder l’équilibre. Après je ne trouve pas vraiment que la série soit devenue si sombre. La saison 3 l’est beaucoup, mais finalement comme tous les milieux d’histoire. C’est le moment où il faut qu’on soit à vif, que la peau se détache en quelque sorte. Dans la saison 4, la lumière revient. Puis dans la 5, il y a de la gravité parce que les héros doivent faire face à ce qu’ils sont. C’est le moment où ils ont obtenu tout ce dont ils ont toujours rêvé, le statut qu’ils revendiquent depuis le début.

Est-ce que ce dernier format (sept épisodes de vingt minutes plus un épisode de cinquante minutes) vous a empêché de développer certaines choses ?

En fait, rien ne m’a empêché de rien. J’ai vraiment pris le temps de retrouver John, et je crois que j’ai pris du plaisir comme ça. Alors qu’à une époque, j’étais moi-même gêné de le voir si tourmenté,  j’étais content de le voir reprendre les choses en main. C’est un récit court, qui se passe sur une dizaine de jours. Je ne voulais pas une fin annoncée, avec avec passages obligés par un long chemin. Par exemple, je suis un grand fan de Lost, mais j’en pouvais plus quand ils faisaient en six épisodes ce qu’ils pouvaient faire en un. En tant que spectateur je n’aime pas cela dans l’écriture des séries.

À partir de la saison 4, vous avez commencé à mélanger les genres et faire évoluer le décor.

J’ai juste assumé ce qu’il y avait dans ma tête. La première fois c’était avec l’épisode musical avec Tété pour la saison 4. Moi j’aime bien l’idée qu’on parte dans l’espace avec une wagonnette, et qu’on mette des pulls parce qu’il fait froid. J’aime bien le fait que tout soit possible, que le monde n’ait pas de limites. C’est là que ça devient intéressant.

Maintenant que la série est terminée, comment la résumeriez-vous ?

Les histoires ont toutes une construction commune. L’archétype le plus connu, c’est le jeune villageois qui part de chez lui, qui vit une aventure, va se battre contre un dragon, perd, et finalement se rend compte qu’en acceptant de mourir, il peut le vaincre et revient dans son village grandi. C’est ça Hero Corp. On revoit nos héros à la fin, on les confronte aux souvenirs qu’on a de la saison 1, et on se dit putain, ils ont vécu tout ça !

Propos recueillis par Pierre Siclier

Hero Corp, saison 5 en coffret DVD et Blu-ray à partir du 27 juin 2017. FRANCE

 

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