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Entretien avec Clotilde Hesme, Diane a les épaules

par | 14 Nov 2017 | CINEMA, Interview

Découverte chez Philippe Garrel (Les Amants réguliers) et Christophe Honoré (Les Chansons d’amour), Clotilde Hesme s’attaque avec Diane a les épaules à son premier grand personnage de comédie : une jeune femme moderne qui casse les codes de genre et porte l’enfant de ses meilleurs amis gays. En pleine répétition d’un Marivaux qu’elle jouera en janvier prochain aux côtés de Laure Calamy, Nicolas Maury et Vincent Dedienne, elle revient pour FrenchMania sur cette expérience qui marque un tournant dans sa carrière. Comédie, féminité, genre, grossesse et PMA sont au cœur de cet échange avec une comédienne pas comme les autres…

Quand tu débutes avec Garrel en noir et blanc, on a l’impression que tu te déplaces dans la rue en noir et blanc !

Comment avez-vous réagi à la lecture du scénario de Diane a les épaules que Fabien Gorgeart avait écrit pour vous ?

Je le trouvais extrêmement bien écrit, il y avait déjà toute la complexité du sujet. Ce n’est pas un manifeste ni du prosélytisme, cela ouvrait des portes. Et puis surtout, ça me donnait accès à un personnage singulier, drôle,  fantasque, désinvolte et très libre. Un personnage un peu « bigger than life », qui sortait du cadre, qui débordait, et j’étais vraiment heureuse que Fabien (Gorgeart, le réalisateur, Ndlr) ait vu ça en moi. J’avais besoin de fantaisie, cela me manquait. Je pense que depuis Les Chansons d’amour, je n’avais pas eu accès à cette légèreté-là. Je ne dis pas que c’est la faute des metteurs en scène, on est responsable des signaux qu’on envoie, j’ai fait mon chemin. Diane, c’était pouvoir faire la synthèse de tout ce que j’aime : un film exigeant et libre et populaire. C’est humain cette dualité, j’ai beaucoup travaillé sur des personnages un peu transgenre, ou plutôt qui dépasse la question du genre féminin comme seule porte d’entrée. J’aurais dû le faire plus précisément et aller plus loin avec Patrice Chéreau mais il ne m’a pas attendue malheureusement. On devait monter Shakespeare ensemble (Comme il vous plaira, projet stoppé par la mort du metteur en scène, Ndlr) et je devais interpréter Rosalinde qui se déguise en homme pour élever Orlando et l’éduquer à l’amour. Chéreau me disait toujours : « Tu seras plus toi-même en homme qu’en femme ! C’est ta nature » et on avait commencé à explorer cela : un féminin qui n’est pas vraiment dans les codes du féminin qui me gave. C’est pour ça que je n’ai pas fait beaucoup de comédies, les personnages féminins dans les comédies sont souvent des faire-valoir, c’est rarement le personnage féminin le plus drôle ! Je l’avais fait un peu au théâtre. Mais quand tu débutes avec Garrel en noir et blanc (Les Amants réguliers en 2005, Ndlr), on a l’impression que tu te déplaces dans la rue en noir et blanc ! Je suis heureuse que Fabien m’ait redonné des couleurs ! Et puis on découvre de nouveaux auteurs, souvent des femmes, qui proposent des personnages féminins plus complexes comme Jeune Femme ou Victoria. La première fois qu’on m’a donné un grand rôle de premier plan c’était aussi une femme Alix Delaporte pour Angèle et Tony (en 2011, Ndlr). Et là c’est Fabien qui m’a offert le personnage de Diane, cassons les codes ! Il dit toujours qu’il est ma part féminine et que je suis sa part masculine !

Et quelques scènes ont été tournées alors que vous étiez vraiment enceinte …

On peut dire que j’ai couché utile pour avoir ce rôle ! On avait le projet depuis un certain temps et quand j’ai été enceinte de mon second enfant, je dis second parce qu’il n’y en aura pas de troisième, j’ai appelé Fabien pour lui dire : « Au printemps on pourra faire des images ! » et on a tourné les scènes de piscine, cela a sans doute boosté un peu la production. En voyant le film, mon compagnon m’a dit que c’était mon meilleur accouchement ! La mémoire sensorielle était encore présente ! Le tournage était en tout cas hyper joyeux, même si j’étais encore un peu fatiguée parce que j’avais accouché un mois avant.

Et comment avez-vous abordé l’aspect comique du personnage ?

Sur le plateau, au début du tournage j’ai dit à Fabien « Tu sais, tu devrais appeler une actrice drôle pour me remplacer ! » . A la sortie d’une projection en Belgique, une femme m’a interpellé en me disant « Ah c’est vous la comique ! », c’est que ça marchait ! Et maintenant je l’accepte ! Diane est parfois un peu “connasse”, c’est « Viens ! Pars ! », c’est elle qui décide, elle a besoin de vivre une expérience, de vivre quelque chose de fort, elle trace sa route comme si elle était investie d’une mission, c’est pour ça que Fabien la décrit comme la Bruce Willis de la GPA ! Mais la scène finale me faisait vraiment peur, on n’est plus dans le ventre, on n’est plus dans le corps, on n’est que dans le visage et les émotions qu’elle traverse. Je connaissais l’importance à un moment d’arrêter de faire la maline ! C’était important de raconter un peu les montagnes russes émotionnelles de tout le film avec ce dernier plan séquence. Je n’ai pas beaucoup d’exigences sur un plateau mais ce jour-là j’ai demandé à ne voir que Fabien avec son combo. Une vraie intimité s’est créée entre nous, il a eu son bébé aussi au même moment. Quand on l’a rencontré avec mes sœurs sur son court métrage (Un chien de ma chienne, en 2012 avec Clotilde, Annelise et Elodie Hesme, Ndlr) , on s’est dit que c’était le frère qu’on avait jamais eu !

Qu’est-ce qu’il y a de vous dans le personnage de Diane ?

Elle a des traits qu’on attribue plutôt à des personnages masculins, elle est rentre-dedans, brute de décoffrage et Fabien me dit toujours que je lui fait penser à un cow-boy ! Ce rapport à la féminité, un fille un peu masculine, qui n’est pas dans les codes de la séduction, c’est un point commun. J’ai toujours fui la séduction, cela m’a toujours emmerdée et encombrée, je n’ai jamais su faire avec ça ! Il y a des journalistes qui m’ont appelé pour savoir si j’avais connu des prédateurs sexuels mais je n’ai rien connu de tout ça, j’ai juste eu un truc à 18 ans avec Mocky mais cela m’a fait rigoler ! Il m’a regardé dans les seins et il m’a dit « Vous pensez qu’avec ce que vous avez-vous ferez du cinéma ? », c’est lourd mais c’est une blague à la papy, à l’ancienne. En même temps, dans le film, je me sens ultra-féminine dans le film mais c’est une féminité moderne. C’est marrant qu’on me voit toujours comme ça ! Dans Angèle et Tony, c’est mon personnage qui proposait au marin d’aller baiser alors qu’il était complètement choqué !  Mais c’est nécessaire de réinventer les codes de la féminité et de la masculinité, c’est très important de sortir des clichés. Et puis il y a des personnages dont tu envies la liberté, les choix singuliers et personnels. Je suis fan d’Alain Cavalier et en revoyant Thérèse, je me suis dit que Diane était la bonne synthèse entre Die Hard et Thérèse sans être une sainte.

Le thème, celui de la GPA, est polémique, comment l’envisagez-vous ? Avez-vous réfléchi, évolué sur le sujet ?

Ce n’est pas du tout un film à thèse, ni un manifeste pour ou contre la GPA, ce n’était pas le sujet. Dès le début, le sujet c’est l’histoire d’une femme qui choisit de vivre cette GPA « idéale » avec ce que cela comporte de remises en question physique et psychologique. C’est vécu du côté du don, de la possibilité du don et de disposer de son corps comme on en a envie pour faire quelque chose de bien. C’est un choix d’amitié, de générosité mais le personnage n’est pas une sainte. On n’a pas d’empathie pour elle au départ, ce qui évite de verser dans le truc sacrificiel. Il y a un vertige mais pas de sacrifice, et ça s’est hyper moderne de montrer un personnage féminin qui remet en question un modèle biologique. Cela suscite des réactions ! Le couple gay est bien plus installé dans une parentalité que Diane, tout cela tord le cou à tous les clichés de la représentation dans le cinéma. Faire dire à une femme enceinte, je peux dissocier ma tête de mon corps, cela bouleverse la question du genre.

Cela remet aussi en question l’idée du couple qu’on a depuis des générations, c’est aussi très récent l’idée de famille traditionnelle, cela a été inventé ! Comme l’instinct maternel ! J’ai beau avoir des enfants je ne crois pas en l’instinct maternel ! Je crois à l’amour, à la construction de l’amour. Si on ne croit qu’à la filiation, on part du principe que toutes les adoptions sont des fiasco ! Dans nos vies, on le voit bien qu’il y a des filiations plus importantes que notre lien à nos parents et tant mieux ! C’est une remise en question du modèle patriarcale et des rôles attribués au père et à la mère. Mettre le désir d’enfant du côté des pères et pas de la mère biologique, c’est fort ! Le film raconte un cas, un parcours, un choix et une génération qui s’affirme en inventant ses codes.

On me demande si je n’ai pas peur des menaces, des critiques suite à cet engagement. Mais ce n’est pas un engagement personnel, le sujet est très complexe, je dis juste qu’il faut ouvrir le débat et ne pas le réduire à une banderole. Et cela existe, on ne peut pas aller contre, il faut encadrer. L’exemple est peut-être un peu con mais le trafic d’organes a soulevé des questions et donné lieu à des lois sur les dons pour éviter la marchandisation. Encadrer, c’est protéger tout le monde et au final, ce que montre le film, c’est que la femme peut le décider et bien le vivre. Mais un autre tabou qui est très fort, c’est la sexualité des femmes enceintes. C’est un des derniers tabous qui n’est jamais représenté. Alors que c’est le moment où tu as le plus de libido !

Propos recueillis par Franck Finance-Madureira

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