Elle est l’un des visages familiers d’Un village français, la série historique de France 3 qui retrace depuis 8 ans les répercussions de la deuxième guerre mondiale sur la vie d’une petite bourgade fictive du Jura. Constance Dollé, rencontrée au Festival d’Arras, nous dit quelques mots de la deuxième partie de l’ultime saison de la série qui commence ce soir et du documentaire qu’elle a réalisé en coulisses.
Comment vit-on avec un personnage comme celui de Suzanne pendant 8 saisons d’une série ?
Bien ! C’est vrai qu’il est assez inédit de grandir pendant près de 10 ans avec un personnage, et les années écoulées viennent enrichir la façon de retrouver le personnage et même le jeu de l’acteur. Ce qui est génial c’est de se rendre compte à quel point c’est facile de remettre ses pieds dans les souliers du personnage !
Que pouvez-vous nous dire de ces ultimes épisodes ?
Dans sa première partie diffusée l’année dernière, cette dernière saison interrogeait la mémoire à court terme car certains des personnages étaient en pleine réflexion sur ce qu’ils venaient de traverser. Le personnage de Suzanne (la passionaria de la résistance locale, Ndlr) qui, après avoir traversé une période dépressive, revient à un principe de réalité et repart dans la vie de façon peut-être moins accidentelle que les autres personnages. Je pense à Hortense (Audrey Fleurot, l’aventureuse bourgeoise, Ndlr) qui, elle, commence à sombrer dans la folie, à Lucienne (Marie Kremer, l’institutrice qui a fait un enfant avec un soldat allemand, Ndlr) qui donne l’impression qu’elle n’arrivera jamais à sortir d’une espèce de rapport fantasmé à l’homme qu’elle a aimé et connu très peu de temps finalement. Ces 6 épisodes vont accompagner les personnages vers leur sortie, c’est une sorte d’épilogue sur plusieurs périodes : 1945, 1953, les années 1970 et les années 2000. Il y a donc des personnages qu’on retrouve vieilli. Ce qui n’est pas le cas du personnage de Suzanne qui est juste évoqué dans la partie « années 70 » puisqu’on pressentait qu’elle s’engagerait dans un combat militant et féministe. On parle d’elle aux côtés de Simone Veil lors du combat pour l’avortement mais on garde l’image d’elle en 1945.
Qu’est-ce qui vous aura le plus marqué dans cette expérience, dans ce personnage ?
Ce qui est étonnant dans ces périodes où les enjeux sont extrêmes, puisqu’il est question de vie ou de mort, c’est que cela offre la possibilité à des personnages, et notamment les femmes, de se débarrasser de tout un poids social. Les événements sont de profonds révélateurs. Les femmes étaient encore, au milieu du XXème siècle, extrêmement bridées par rapport aux libertés auxquelles elles pouvaient prétendre. Il y en qui, à la faveur de ces circonstances, vont écouter leurs pulsions, se révéler à elles-mêmes sans être prédestinées. Hortense, femme de médecin, va s’ouvrir à d’autres vies, elle se découvre une âme d’Emma Bovary et elle va porter tantôt son dévolu sur Marchetti (le policier pas très clair incarné par Nicolas Gob, Ndlr) et s’épanouit avec l’absolue autorité et figure du mal qu’est Heinrich (l’officier allemand interprété par Richard Sammel, Ndlr). Suzanne, elle, s’engage dans la résistance, vit dans la clandestinité en s’affranchissant de mari et enfant. Tout cela n’aurait pas été envisageable dans une période pacifique. Ce qui est génial parce que ça donne la part belle à des émotions et des sentiments qui ne sont pas forcément explorés même dans des fictions contemporaines.
Quel est l’impact d’une telle série en termes de carrière ?
C’est difficile de le mesurer, ce que je vois c’est qu’on me parle quotidiennement du Village français et même à l’étranger ! La série est extrêmement populaire, les gens sont très attachés à ces personnages. Je crois que cela parle aussi énormément de l’ADN des Français qui y retrouvent des histoires familiales. Pour les uns ou les autres, c’est un label, on est très identifiés à travers cette série-là et cela a contribué à ce que nos carrières s’épanouissent mais en même temps on a tous plus ou moins entre 30 et 40 ans et c’est aussi à cette période que les choses se font. Mais cela a certainement été un facteur important.
Comment tourne-t-on une page comme celle-ci ?
Je m’en suis sortie par une pirouette puisque j’avais proposé à la production depuis plusieurs années de faire un documentaire sur le tournage de la série et que j’ai fini par obtenir que France 3 le produise avec Tetra et Terego. J’ai donc réalisé, avec Emmanuel Breton, un documentaire de 52 minutes sur la série qui sera diffusé après le dernier épisode. Cela a été ma façon de dire « au revoir » à cette expérience. Je viens de tourner la deuxième saison de Baron noir pour Canal+ et un long métrage produit par Netflix avec Anna Mouglalis, Michel Fau et Niels Schneider (La Femme la plus assassinée du monde, Ndlr). Je travaille depuis plusieurs années à la Fémis pour accompagner les élèves en écriture de série et cela correspond un peu à ma formation originale plus universitaire puisque j’ai une maîtrise de philo. Je serais très heureuse de passer un jour du côté de la production. J’avais réalisé un court métrage il y a quelques années avec Céline Sallette (Femme de personne, 2010, Ndlr) et je me vois bien écrire et réaliser un long métrage ! Je navigue et je ne m’interdis rien.
Propos recueillis par Franck Finance-Madureira