Présenté en clôture de la 62e Semaine de la Critique, le second long métrage d’Erwan Le Duc, La Fille de son père, est une comédie familiale et sentimentale pleine de charme et de poésie, menée par des personnages extrêmement attachants. Rencontre avec Erwan Le Duc.
Dans Perdrix, une femme débarquait soudainement dans la vie d’une famille et d’un garçon. Dans La Fille de son père, c’est l’inverse, c’est le départ d’une jeune mère qui vient amorcer l’action première. Est-ce que c’était le déclencheur de ce second long métrage ?
Erwan Le Duc : Oui, assez vite, il y a eu cette idée d’enlever un personnage important, enfin, en tout cas, de priver le père et la fille du personnage de la mère. J’avais envie de raconter cette relation entre un parent et un enfant, et de les isoler. Donc, il fallait qu’il y ait un déséquilibre dès le départ, et que cet abandon, qui est un acte fort et dramatique, ne soit pas traité par le drame. Il fallait que ça soit évidemment un bouleversement dans leur vie, mais pas un effondrement. Et ça me permettait aussi de caractériser Étienne (Nahuel Pérez Biscayart, NDLR) de manière assez forte, comme un personnage très volontariste dans son rapport à la vie. Il dit à sa fille au début du film « pour ne plus aimer quelqu’un, il suffit de le décider », sous-entendu, on a besoin de personne, on est là tous les deux, on est ensemble, et ça suffit. Ce trait de caractère on le retrouve chez Rosa (Céleste Brunnquell, NDLR), quand elle a grandi. Elle est aussi très affirmative dans son rapport aux choses. Elle s’est constituée avec ça, et elle défend son équilibre à elle. Pour elle, il y a une absence, mais il n’y a pas de manque.
Ce duo père-fille, vous l’aviez déjà esquissé avec les personnages secondaires de Perdrix. Et ces deux pères, joués respectivement par Nicolas Maury et Nahuel Pérez Biscayart, offrent une vision différente de la paternité et de la masculinité. C’était une volonté de raconter la paternité autrement ?
Erwan Le Duc : Sur la caractérisation de ce père, ce n’était pas tout à fait volontaire. Enfin, je ne me suis pas dit que je voulais raconter et montrer une représentation de la figure paternelle différente de ce qu’on voit d’habitude. Ce n’était pas théorique, mais c’est venu dans l’écriture et évidemment, ici, avec le choix de Nahuel pour l’incarner. Il a amené cette douceur-là aussi. Mais je savais que je voulais que la relation entre le père et la fille soit une relation de confiance, de bienveillance et d’amour entre eux. Et c’est ça qui a rendu d’autant plus compliqué leur séparation. Dans le film, ils sont toujours à vouloir se protéger l’un l’autre, et en même temps à affirmer leur individualité. Ils sont coincés dans des dynamiques qui sont parfois un peu contradictoires et qui racontent le fait de grandir. Après c’est vrai que j’avais peu de références cinématographiques avec cette dynamique là. Celle qui est apparue après alors que le film est assez loin de son cinéma, c’est Ozu. Dans ses films, on a souvent ce duo d’un père et d’une fille qui vivent ensemble souvent parce que la mère est décédée et il y a plusieurs films qui racontent ce moment où ils doivent se séparer et les stratagèmes qu’ils utilisent pour que chacun vive sa vie. C’est un cinéma que j’aime et qui m’a beaucoup touché, mais je pense que c’était presque un peu inconscient. C’était peut-être une référence cachée ou un peu souterraine. Mais, dans le jeu, avec les acteurs, on n’a jamais évoqué de références, ça c’est fait assez naturellement. Cette relation-là est devenue le coeur battant du film au moment du tournage et du montage. J’ai parfois aussi ajouté des scènes sur le tournage, qui n’étaient pas écrites.
« Cette relation-là est devenue le coeur battant du film au moment du tournage et du montage. »
Finalement, le film raconte l’histoire de l’émancipation d’un duo où chacun doit vivre sa vie tout en restant un duo ?
Erwan Le Duc : Oui, c’est, comment rester ensemble sans l’être. Il faut qu’ils vivent chacun leur vie et ça suppose une séparation et un changement dans leur manière d’exister. Ce sont des personnages qui ont structuré leur vie sur eux-mêmes à cause de cet abandon. Ils refusent un peu le monde extérieur et ont chacun leur propre passion qui est en dehors de la maison, que ce soit la peinture pour Rosa ou le football pour Étienne puisqu’il en a fait son métier. Ils sont un peu repliés et je crois que le trajet du film c’est justement de les déplier c’est-à-dire de de leur offrir de les ouvrir à l’extérieur. C’est aussi le rôle des personnages d’Hélène que joue Maud Wyler ou de Youssef incarné par Mohammed Louridi. Eux, travaillent pour les amener ailleurs et c’est aussi le sens de la fin du film qui change complètement de décor. L’horizon s’élargit et un monde s’ouvre pour eux.
Il y a dans La Fille de son père, et vous le confirmez en parlant du film, une écriture très précise de détails, que ce soit au niveau de la mise en scène ou des dialogues… Vous ne laissez rien au hasard ?
Erwan Le Duc : Quand j’écris le film, il va quelque part, donc une fois que j’ai compris ce trajet-là et cette dynamique-là, le travail c’est à la fois de déposer quelques indices ou signes précurseurs de ce qui va arriver et ça je pense que le spectateur même s’il ne les interprète pas forcément quand il les voit, il les sent et c’est comme un pressentiment. Et donc ça, c’est à la fois un travail d’écriture et puis ensuite de montage. L’ intérêt du tournage, c’est justement de secouer un peu le scénario et de mettre de la vie partout, du désordre, du déséquilibre par les acteurs mais aussi par la mise en scène. Et de rajouter des couches de signification au récit et des sensations pour faire qu’après au montage on puisse garder un récit qui justement va quelque part et qui en même temps a plein de lignes de fuite possibles et parfois contradictoires mais qui amènent une richesse. Donc, oui, il y a une précision et en même temps il y a un besoin que le film trouve quelque chose de plus d’organique et que ce soit vivant.
Dans le travail avec les comédiens, il y a la précision des dialogues dont on parlait mais il y aussi tout le travail physique avec eux. Est-ce que le casting s’est décidé par rapport à ce travail corporel sur le plateau ?
Erwan Le Duc : C’est vrai que je choisis d’abord les comédiens évidemment pour leur talent d’interprète, leur manière de s’en sortir avec le texte, ce qu’ils comprennent du personnage, ce qu’ils ont envie de raconter avec moi, mais aussi sur le rythme qu’ils ont au niveau physique c’est-à-dire comment ils se déplacent… Même dans l’apparence, par exemple entre Nahuel et Mohammed Louridi qui ont deux physiques très différents. Nahuel amène une énergie qui passe beaucoup par le corps, il a quelque chose de presque circassien dans sa manière de jouer et très expressionniste. Il exprime énormément de choses par ses déplacements, par l’énergie qu’il met, par les courses qu’il fait en permanence. On pouvait presque enlever du texte parce que ça passait par l’énergie du corps. Et après, il y a aussi la musicalité, non seulement des dialogues, mais aussi du phrasé des comédiens et des comédiennes, ce qui est vraiment important et qui fait partie de cette dimension physique, sensorielle et même sensuelle. Ils ont tous un phrasé assez singulier et je suis assez sensible à ça. Le casting est construit un peu comme dans Perdrix, de manière à ce que chaque personnage, et donc chaque interprète, soit presque un monde en lui-même. Le film, en soit, raconte quelque chose d’assez simple. Il y a peu de rebondissements en tant que tel et c’est assez ténu et en même temps je pense que ce sont des sentiments universels et donc cette simplicité là permettait aussi dans l’interprétation et dans la mise en scène au contraire qu’on parte un peu dans tous les sens et de faire quelque chose de plus extraordinaire, d’en faire une aventure.
Est-ce que c’est la confrontation de ces différents petits mondes qui crée ce côté burlesque voire fantaisiste ?
Erwan Le Duc : Peut-être. Il y a des endroits où effectivement ces différentes énergies font un peu des étincelles et ça peut créer du gag, du burlesque ou du décalage. Ça peut aussi créer une intimité soudaine assez forte. Je ne sais pas, après le burlesque pour moi ça fait plus partie de ce que je disais sur cette idée de secouer le scénario et de raconter l’histoire, parfois de manière un peu surprenante et les gags qu’il y a dans le film ils doivent toujours raconter quelque chose. D’ailleurs ceux qui ne racontent pas quelque chose du personnage ou de l’histoire et qui ont juste une dimension purement de gag, je les enlève au montage. Là où c’est intéressant, ce sont ces espèces de virgule d’humour, quand elles racontent quelque chose et suivent aussi l’arc narratif et émotionnel. Après sur la confrontation de ces corps, de ces phrasés, de ces petites planètes, ça peut provoquer des trouées, dans le rêve. Il y a une scène par exemple entre Étienne et Hélène (Nahuel Pérez Biscayart et Maud Wyler, NDLR) qui est une scène de chambre, le début d’une scène d’amour et qui s’est transformée en parade amoureuse parce que l’un et l’autre vont inventer une danse et une musique et puis tout d’un coup il y a un poème qui est dit au milieu. C’est quelque chose qui s’invente aussi par les acteurs, et par le moment du tournage, dans cette volonté d’enchantement, parce qu’au scénario je crois que la scène était assez simplement écrite. Il n’y avait pas forcément toutes ces indications.
Vous laissez les comédiens vous échapper par l’improvisation ?
Erwan Le Duc : Ce n’est pas forcément de l’improvisation, mais il y a une liberté. J’attends aussi que les comédiens proposent un maximum d’idées. La scène de parade amoureuse, par exemple, elle n’est pas improvisée mais elle a été fabriquée la veille. Deux jours avant, Maud Wyler m’a montré une vidéo de danse japonaise. Elle a commencé à la préparer, j’ai cherché pour Étienne un instrument et j’ai trouvé cette petite Kalimba que j’ai emprunté à ma fille. Ce n’est pas improvisé, mais il y a l’idée d’imaginer rapidement et d’essayer. C’est plus instinctif qu’improvisé. Le terme « improvisé » me dérange toujours un peu, parce qu’il y a toujours cette idée dans l’improvisation qu’on invente un peu n’importe quoi et puis on verra bien ce qu’il en sort. Bref, les idées peuvent venir de partout et doivent venir de partout, et de chacun : de moi, des comédiens mais de l’équipe technique aussi. J’attends à ce que tout le monde soit là complètement présent et n’ai pas peur de proposer des choses.
« J’attends aussi que les comédiens proposent un maximum d’idées. »
Vous croyez complètement à l’idée d’une création collective sur un tournage ?
Erwan Le Duc : Oui complètement ! Mon travail, c’est de lancer ce collectif, c’est de donner l’exemple et une direction. Il y a plein d’exemples de scènes qui naissent justement d’une idée, puis ça rebondit sur une autre puis une autre… Parfois, j’observe des choses de la vie du tournage et je vais les mettre dans le film. Il y a des membres de l’équipe technique qui sont dans le film par exemple et qui sont devenus des personnages. Souvent, parce qu’ils ont fait un truc qui m’amusait en dehors du plateau et que j’ai envie de reprendre ou simplement parce qu’il manque quelqu’un. Tout est possible. Par exemple, celui qui joue le copain de Youssef dans le film, c’est Louis Douillez qui est le stagiaire image. Et il s’est retrouvé là car dans la scène où Mohammed escalade la façade de la maison, il avait besoin d’un petit coup de main. On était en train de mettre en place un échafaudage de poubelles pour qu’il puisse prendre son élan, mais c’était un peu bancal. Donc on a pensé à l’idée d’un copain qui l’aiderait. J’ai donc proposé à Louis car il a une bonne tête, l’âge qu’il fallait, et ça marchait. Puis, ça l’amusait. Ça s’enclenche comme ça, par un truc purement pratique, et puis après on invente un petit gag.
Est-ce que vous avez quand même des références en tête du cinéma burlesque ou de gags ? Par exemple, la scène où une dizaine d’adolescents sortent de la voiture peut rappeler la cabine téléphonique des Marx Brothers, le jeu de Nahuel est proche de Buster Keaton, et votre univers poétique et décalé peut faire penser à celui d’Elia Suleiman…
Erwan Le Duc : Ce sont des cinéastes que j’aime beaucoup, après je ne les avais pas forcément en tête au moment d’écrire mais je pense qu’elles sont là, c’est inconscient, et ça vient presque malgré moi. Mais oui, Elia Suleiman, les Marx Brothers, Buster Keaton c’est évident. Ils sont très inventifs visuellement mais c’est aussi le cas de Kaurismaki, ou Kitano qui ont cette capacité comme ça de balancer des blagues inattendues. Ça me parle beaucoup. Je n’ai pas trop de soucis par rapport au fait de faire des clins d’œil ou d’emprunter une idée ou même de reproduire un gag. C’est quelque chose que je m’interdisais beaucoup avant, notamment sur les courts métrages, et puis ensuite, je me suis dit que ce n’était pas grave. De toute manière, on arrivera jamais à faire la même chose, donc on part d’une idée et elle se transforme.
Dans votre film, il y a quelque chose de fascinant sur la jeunesse. Le personnage d’Étienne dit qu’il n’a jamais eu 20 ans parce qu’il a dû prendre ses responsabilités de père à cet âge là, mais avant cela il appartenait à une jeunesse plutôt insouciante. Là, où sa fille Rosa au contraire paraît très responsable et mature. Comme s’il y avait une confrontation de génération et deux manières de vivre sa jeunesse selon l’époque… C’est quelque chose dont vous vouliez parler ?
Erwan Le Duc : Elle, elle a quelque chose d’une grande maturité. On la sent très solide. Je crois que c’est quelque chose qui est quand même assez lié à l’époque d’aujourd’hui. On demande aux jeunes gens de grandir très rapidement et ils ont un rapport au monde qui est de toute manière différent, qu’aucune autre génération n’a eu avant. Ils sont tellement au courant de tout et conscient. Il sont abreuvés en permanence de l’état du monde et de l’état de la société, que de fait soit ils l’évacuent complètement soit ils l’intègrent. Ils sont obligés de s’y confronter. Donc elle, elle a ce truc-là et après ce qui m’intéressait dans son personnage c’est qu’elle se tient un peu à distance dans son rapport à la société et à ses enjeux et notamment les questions climatiques qui sont présentes dans le film par le biais des manifestations lycéennes, Elle n’est pas tout à fait impliquée, ni engagée. Elle se réfugie un peu dans sa peinture qui lui sert à représenter le monde mais aussi à le contrôler et donc donc à maîtriser un peu ce qui lui arrive et à ne pas être trop noyée. Ça fait partie du personnage, d’avoir cette maturité d’une jeunesse d’aujourd’hui et en même temps d’avoir quand même un truc un peu individualiste et un monde à elle. Pour Étienne, c’est encore autre chose parce qu’il a évidemment grandi d’une autre manière que ses camarades en devenant père à 20 ans. Et c’est surtout dans son corps pour moi qu’il n’a pas traversé ses 20 ans et c’est pour ça qu’il est juvénile physiquement. On a un peu l’impression qu’il n’a pas vieilli et a toujours même âge alors qu’il a 37/38 ans comme le comédien. C’est comme s’il était bloqué à ce moment là. Son corps n’a pas traversé les années alors que dans sa perception des choses, il a été père et mère de cette jeune fille pendant 18 ans. Donc forcément il a quand même cette maturité et c’est lui qui s’occupe de tout dans la maison. On ressent aussi la fatigue qu’il a pu avoir à faire tout ça. Et je pense que peut-être à la fin, quand il s’en va, son corps va prendre dix ans.
« Ça fait partie du personnage, d’avoir cette maturité d’une jeunesse d’aujourd’hui et en même temps d’avoir quand même un truc un peu individualiste et un monde à elle. »
Dans cette même idée de caractérisation des personnages, il y a quelque chose qui est ancré dans votre cinéma, que ce soit dans Perdrix ou La Fille de son père, ce sont les métiers simples et précis qu’exercent les personnage, un peu comme dans une bande-dessinée. Ça vous vient directement dans l’écriture ?
Erwan Le Duc : Oui, c’est vrai. Ils ont tous un métier assez défini. Hélène est chauffeur de taxi, il y a l’agent immobilier aussi qui est un personnage important. Le chauffeur de taxi, ça m’intéressait d’avoir un personnage qui se déplace et qui voyage, mais toujours au même endroit. Elle circule beaucoup et ne va nulle part et elle transporte les autres. Et puis comme le personnage d’Hélène est un peu féérique, d’une grande bienveillance et bonté, qui a toujours les mots justes, ça m’intéressait qu’elle ait une profession beaucoup plus prosaïque et concrète. Et d’ailleurs, elle ne s’habille pas vraiment comme un chauffeur de taxi. Je voulais décaler ces personnages-là et ne pas jouer du cliché. Et on n’en fait pas vraiment cas, d’ailleurs, de sa profession. Alors pour l’agent immobilier que joue Nicolas Chupin, c’est autre chose. Là, lui, il est vraiment, dans sa profession, parce que c’est ça qu’il fait dans l’histoire et qui l’énerve aussi. C’est un agent immobilier marxiste, donc c’est un peu compliqué pour lui.
Pour la musique, vous collaborez avec Julie Roué sur tous vos projets. Comment vous l’avez rencontrée ? Et qu’est ce qui fait que sa musique colle à votre univers cinématographique ?
Erwan Le Duc : J’ai rencontré Julie au moment où je cherchais un compositeur pour la musique de Perdrix. J’avais fait un atelier qui s’appelle Émergence et c’est un atelier où il y a aussi des compositeurs et des compositrices qui sont invités. J’ai regardé sur le site d’Émergence, les différents compositeurs qui étaient passés par là et j’ai écouté tout ce que je pouvais écouter d’eux. Je suis tombé sur le site de Julie, j’ai écouté un peu ce qu’elle faisait et je trouvais qu’elle avait une palette très large et puis parfois, elle était capable de prendre des virages dans la musique, très raides et ça, ça me plaisait. Donc, on s’est rencontrés comme ça pour Perdrix. Après, je lui ai demandé de faire la musique pour Sous Contrôle, la série d’Arte, et puis La Fille de son Père. Mais cette fois, c’était différent parce qu’assez tôt, j’avais la sensation qu’il y aurait beaucoup de musique dans le film, de la musique composée, qu’il n’y aurait pas de musique extérieure, ni de voix. Je voulais quelque chose d’assez classique, en tout cas dans l’orchestration, puisque c’est essentiellement du piano et des cordes. Il fallait que la musique emporte vers quelque chose de très lyrique et qu’elle ait un rôle très fort dans l’élan et dans le souffle du film et qu’elle donne ce sentiment d’aventure et de romanesque. C’est aussi le sens un peu de cette séquence d’ouverture qui lance le film, qui fait plus de 8 minutes, comme ça, et qui est entièrement musicale, avec quasiment pas de textes. Ça donne au film un élan très fort qui vient presque aspirer le spectateur et essayer de ne plus le lâcher en le faisant rentrer par un geste de cinéma et musical que j’ai essayé de faire le plus fort possible.
La musique dans le film ne vient pas souligner les émotions. Elle accompagne et d’ailleurs parfois est en opposition avec l’action, c’est à dire elle peut être plus dramatique dans des scènes joyeuses et inversement. Comment vous avez construit ça ensemble ?
Erwan Le Duc : Julie composait parfois sur l’image pendant le montage. Et souvent, avec la monteuse, qui s’appelle aussi Julie, Julie Dupré, on déplaçait les musiques. À part pour le début, il y a plein des musiques que Julie Roué a composé pour une scène et qu’on a déplacées ailleurs, justement pour amener une couche supplémentaire d’interprétation et jouer sur un contraste. On essayait les musiques un peu partout, pour voir. Parfois, c’était vraiment imprévisible. Tout d’un coup, on met une musique qui allait plutôt pas mal à un endroit, puis on la met ailleurs, et hop, il se passe vraiment quelque chose de tout à fait singulier et unique. Et parfois aussi, des musiques que j’écoute comme ça et qui ne me racontent pas grand-chose, il suffit de les mettre au bon endroit et tout d’un coup, ça prend beaucoup de puissance, ça fabrique des sentiments, de manière un peu inattendue.
Est-ce qu’à la fin du film, on peut dire que le personnage d’Étienne laisse Rosa devenir la fille de sa mère ?
Erwan Le Duc : Oui. Effectivement, c’est ça le trajet, à la fin, elle devient la fille de sa mère.Alors, on ne sait pas pour combien de temps, mais au moins pour quelques secondes. Au moins, le temps d’un échange de regards, je crois qu’elle l’est. Et ça lui permet, lui, de s’en aller. Mais en tout cas, dans le trajet d’Étienne, il y a certainement cette chose-là, qui est de rendre sa mère à sa fille, et cette fille à sa mère, de les remettre ensemble. Je crois que c’est beaucoup plus ça qui lui importe que quelque chose de l’ordre de l’égo. Pour moi, l’amour qu’il a pour cette femme, pour Valérie, il est terminé depuis longtemps. Ils n’ont plus rien à se dire. Mais ce qui lui importe, c’est que Rosa et Valérie, cette fille et sa mère, se voient, se réunissent, se reconnaissent et peut-être fassent connaissance. Mais ça, ça leur appartient à elles.