C’est un acteur qu’on ne présente plus et qui nous bouleverse. Il fait ses débuts en tant que réalisateur avec Deux Fils, un premier film au charme irrésistible, autant que l’est la performance des trois têtes d’affiche, Vincent Lacoste, Benoît Poelvoorde et Mathieu Capella. Rencontre avec Félix Moati, cinéaste prometteur.
Pourquoi avez-vous eu l’envie de raconter cette histoire de famille qui décortique la masculinité ?
J’ai commencé à avoir l’idée vers mes 25 ans, là je viens d’avoir 28 ans. Il y a avait l’idée de faire une étude de ma propre masculinité, et je me suis rendu compte qu’il fallait plusieurs personnages pour que cela créé le dialogue. J’ai donc confronté le souvenir de cet enfant que j’avais été qui refusait la faiblesse de ses modèles. Je trouve ça étonnant de voir à quel point, à certains moments de l’enfance ou de l’adolescence, on est très rigide. On a une rigidité qui est cruelle à l’endroit de la fragilité des autres. Je me souviens de ne pas avoir supporté que mon grand frère soit parfois mélancolique, un peu fragile et cette idée de faire dialoguer un grand frère confronté à une forme d’exil de sa propre vie comme un fantôme, un peu flottant avec un petit de 13 ans qui lui a envie de se saisir de la vie avec une sorte de fanatisme. Et qui est chaperonné par un père un peu en chute aussi.
Cette vision de la masculinité est vraiment au cœur du film …
Je ne suis pas du tout familier d’une masculinité virile. La question de la virilité je trouve que c’est dépassé et je pense que c’est l’obsession de notre époque, d’où la résurgence de tous les fascismes et tous les populismes à travers le monde. Ils utilisent cette pseudo virilité effondrée pour réclamer le retour de l’autorité. Je suis effondré par ce qui se passe au Brésil, avec Orban en Hongrie, par le rapport aux femmes qui est terrifiant. Ces gens instrumentalise la virilité avec des visées politiques. Pour moi la démocratie, c’est de la féminité et de la masculinité fragile, je crois vraiment à cette idée qu’on n’est jamais “plein de soi-même” mais qu’on a besoin des autres. Le père a besoin de ses deux fils, ils ont besoin les uns des autres.
Comment, partant de souvenirs un peu personnels, parvient-on à distribuer les rôles à des comédiens quand on est soi-même acteur ?
Le fait de ne pas jouer me protège et me met à distance. Si j’avais joué le rôle de Vincent Lacoste, puisque de tout évidence je n’ai pas l’âge de jouer le rôle de Mathieu Capella, il n’y aurait plus eu le plaisir de la fiction. Il ma fallait mettre cette distance entre le sujet et moi. Pour interpréter le père, et Benoît Poelvoorde n’a aucun orgueil par rapport à ça, cela devait être Depardieu. Ils nous a dit oui sans que je ne sache jamais pourquoi, il a quitté le projet sans que j’en sache plus ! Maintenant, je n’arrive plus à imaginer quelqu’un d’autre que Benoît que c’est comme ci je l’avais vraiment écrit pour lui ! Il connait tellement intimement ce dont on parle ! Il est très pudique mais il a ce truc d’extrême délicatesse, comme Vincent et tous les acteurs que j’aime, une sorte de nonchalance concernée. Il est là mais aussi un peu ailleurs et cet ailleurs lui appartient, il ne faut pas lui demander où il est ! Les acteurs qui se créent des espaces ça me plaît !
Et comment avez-vous dessiné le personnage féminin principal interprété par Anaïs Demoustier ?
Je voulais que ce soit une fille parfaitement libre et infidèle et que cela ne soit pas un sujet. Dans la représentation de l’infidélité au cinéma, c’est parfaitement admis chez les hommes et on doit toujours le justifier pour les femmes ! Elle est séduite par Vincent et amoureuse de son mec sans plus de justification que ça et c’était très important pour moi. On culpabilise toujours trop les filles, et leurs désirs !
De l’esthétique aux dialogues, le film baigne dans une véritable douceur, c’était l’esprit de ce que vous vouliez faire ?
Un de meilleurs amis me dit souvent que je cherche le conflit juste pour le plaisir de la réconciliation, et c’est comme si ce film n’était qu’une quête de réconciliation et de tendresse. Dans la vie, dans les films, dans la littérature, ce que j’aime ce sont les personnes en quête de consolation. Ce n’est que ça dans Deux Fils. On a peur de l’admettre mais on se sent tous affreusement seuls et on a tous besoin des autres, j’en suis certain. J’avais vraiment envie de faire un film là-dessus. Pour les dialogues, j’aime bien dans les films le mélange de banalités et de langage un peu sophistiqué ! J’aime les fulgurances chez les personnages. Le langage me fascine car il n’est jamais harmonieux, il peut être trivial, banal, normal, sublime et il dit tout d’un personnage, ses origines sociales, ses aspirations, ce qu’il cache. Quitte à ce que mes personnages puisse paraître parfois bêtement sophistiqué. Et on peut faire dire des choses à Vincent qui ne passeraient pas chez d’autres acteurs, c’est un génie !
Il y a une certaine filiation avec Simon et Théodore de Mikael Buch dans lequel vous interprétiez l’adulte confronté à un ado. Vous vous êtes inspiré de votre expérience de comédien, de vos rencontres pour écrire Deux Fils ?
Mikael Buch, particulièrement m’a beaucoup apporté ! Dans ce rapport, cette envie d’être admiré par un petit qui ne donne pas son admiration qui te dit juste “Attention, vieux, t’es un adulte et tu es corrompu par définition !“. Le principe même d’être un enfant c’est de ne pas accepter la corruption. Mikael Buch m’a beaucoup appris, Antony Cordier aussi avec Gaspard va au mariage, pour les dialogues et la direction d’acteurs. Donc, oui, évidemment je vole aux réalisateurs avec lesquels je travaille, c’est certain !
Et l’humour entre religion et psychanalyse a un petit côté “allenien” …
Ah ça me fait plaisir ! J’ai un amour très profond et très structurant pour Woody Allen ! Je tourne en ce moment avec Jesse Einsenberg, on joue deux frères dans un film sur le mime Marceau donc je suis à fond là-dedans !
Propos recueillis par Franck Finance-Madureira.
Deux Fils de Félix Moati, en salles le 13 février 2019.