Nos 5 coups de cœur “cinéma français” à découvrir au Festival “Avant-Premières !” du 2 au 10 juillet
Ils ont brillé au dernier festival de Cannes et vous pouvez les découvrir dès cette semaine dans le cadre du festival “Avant-Premières !” organisés par les Cinémas Indépendants Parisiens, association qui regroupe 29 salles d’art et essai et dont FrenchMania est partenaire. Pour vous donner envie de vous plonger dans la programmation foisonnante de ces 10 jours de cinéma qui s’ouvrent ce soir, nos envoyées spéciales à Cannes vous disent tout sur Les Fantômes (en salles dès demain), Le Royaume, Emilia Perez, A son image et Ce n’est qu’un au revoir…
Les Fantômes de Jonathan Millet (Semaine de la critique – film d’ouverture)
Traque intime
Hamid erre dans les rues de Strasbourg. Il parle peu, observe beaucoup. Son regard semble à la fois perdu quelque part au loin, et en permanence aux aguets. Quelques années auparavant, il a été torturé dans une prison en Syrie, et a perdu sa femme et sa fille ; sa mère, exilée près de Beyrouth dans un camp de réfugiés, semble être le seul lien familial qui lui reste. En France, Hamid fait partie d’un groupe secret, dont il rencontre des membres lors de rendez-vous discrets. Leur mission ? Traquer les criminels de guerre. Le corps de Hamid porte la trace de certains de ces crimes, et un jour à l’université de Strasbourg, ses yeux repèrent une silhouette élancée et quelque chose en lui s’éveille : c’est son tortionnaire, il en est persuadé. Commence alors une filature haletante, portée par la douleur et la soif de vengeance. Jonathan Millet a parcouru avec sa caméra plusieurs continents, de l’Amérique Latine au Moyen-Orient, avant de signer ce premier long métrage de fiction rempli de tension. Le résultat renouvelle le genre du thriller par le biais de l’intime, tant sur la forme que sur le fond : la mise en scène sensorielle colle à la peau de son héros, la caméra se faisant le prolongement de son regard et son obsession pour cet homme qu’il suit de près. Adam Bessa, vu dans Harka et Les Bienheureux, porte avec intensité et conviction cet homme hanté par son passé. Les Fantômes du titre ne sont pas forcément ceux que l’on croit… EM – En salles le 3 juillet 2024
Le Royaume de Julien Colonna (Un Certain Regard)
La fille de son père
Deuxième film corse de cette édition, présenté à Un Certain Regard, Le Royaume, premier long métrage de Julien Colonna, adopte une trame commune avec À son image de Thierry de Peretti : observer la destinée d’une jeune femme intégrée dans cette société masculine de guerre des clans en Corse. Ici, Colonna et sa coscénariste Jeanne Herry (Je verrai toujours vos visages) adoptent le point de vue de Lesia (Ghjuvanna Benedetti),15 ans. L’adolescente pensait vivre un été calme à la plage comme tous ceux de son âge, quand une moto l’emmène dans une villa cachée dans le maquis où se planquent son père Pierre-Paul (Saveriu Santucci, bouleversant) et ses hommes, comme autant de tontons aimants. Bienvenue dans le royaume de son père, énigmatique chef de clan recherché depuis mars 91, et dans les guerres fratricides ravageant l’île de beauté. Là où la vengeance appelle la vengeance, où l’on peut faire une déclaration déchirante à sa fille avant de tuer de sang froid un opposant, serrer dans ses bras avant de trahir même si « on a toujours peur. La peur on la mange, on la respire » explique Pierre-Paul. Colonna maitrise la complexité de ce territoire dans lequel s’engouffre Lesia, acceptant la traque comme la chasse simplement pour passer du temps avec ce père trop souvent loin d’elle. L’intime de la chronique père-fille et la violence en tension de l’histoire criminelle locale se confondent – et c’est là toute la beauté de ce Royaume. DL – En salles le 13 novembre 2024
Emilia Pérez de Jacques Audiard (Compétition, Prix du Jury et Prix d’interprétation féminine collectif)
Hymne à la joie
Une comédie musicale située au Mexique qui parle de justice sociale, de transidentité et de narcotrafic : ça paraît improbable mais c’est le pitch du nouveau Jacques Audiard… et c’est une réussite totale. Le réalisateur de Dheepan (palme d’Or 2015) s’est inspiré du roman Écoute de Boris Razon pour ce projet pensé initialement comme un opéra, et porté par trois femmes aussi similaires que complémentaires : Selena Gomez, Karla Sofia Gascon et Zoe Saldana. Cette dernière ouvre le film dans le rôle de Rita, avocate sous-exploitée au service d’une justice corrompue. Sa vie bascule quand elle rencontre Manitas, un gros bonnet du narcotrafic, qui lui promet de la rendre riche si elle l’aide à devenir la femme qu’il a toujours voulu être. Un rêve enfoui, que personne ne doit savoir, pas même son épouse et mère de ses enfants… Rita accepte, et Manitas disparaît pour laisser place à Emilia Pérez… C’est là que le film débute vraiment, nous entraînant avec sa caméra virevoltante, ses danses et ses chants, à travers une épopée moderne et utopique où les torts sont réparés, l’amour est célébré, et les puissants sont humiliés. Évitant tous les pièges narratifs classiques et attendus, Emilia Pérez est une proposition bouillonnante, enthousiasmante – et collective : on sent chez Audiard l’envie de bien s’entourer pour raconter des récits à plusieurs voix qui proposent d’autres façons d’exister. Le scénario a été coécrit par Thomas Bidegain et Léa Mysius, les mélodies sont de Clément Ducol et les paroles par Camille, et Damien Jalet signe les chorégraphies. EM – En salles le 21 août 2024
À son image de Thierry de Peretti (Quinzaine des cinéastes)
L’ Antigone corse
Adapté d’un roman de Jérôme Ferrari, À son image de Thierry de Peretti poursuit la photographie de sa Corse natale, déjà bien entamé avec Une Vie violente (2017) qui évoquait l’agitation des indépendantistes et le mouvement nationaliste du FLNC à la fin du XXe siècle. Ici, le réalisateur adopte une autre position en racontant la courte vie d’Antonia, une jeune photojournaliste obsédée depuis l’enfance par la quête de « l’image juste ». Interprétée par une comédienne inconnue et magnétique, Clara-Maria Laredo, elle-même enfant de l’indépendantisme insulaire, le film s’ouvre sur sa mort dans un accident de voiture avant de revenir par flashbacks fragmentés sur les décennies précédentes. À travers ce portrait d’une femme amoureuse d’un nationaliste, double témoin intime et oculaire via son appareil photo, De Peretti joue des narrations et points de vue. Un personnage féminin extérieur aux luttes, dont la vie est narrée par un membre du FLNC, et dont le « je » n’apparait qu’au milieu du film, nous révélant son identité, parlant uniquement de lui à travers elle. À son image se teinte d’une mélancolie trouble hantée par le destin funeste qui attend cette Antigone désireuse d’émancipation, et qui ira jusqu’en Yougoslavie comme reporter de guerre pour capter, tout aussi impuissante, un autre combat local. Le cinéaste filme ainsi en plein soleil cette jeunesse broyée dans son innocence, dévorée par la noirceur et les désillusions politiques… et d’Antonia, il se donne le rôle de son parrain, prêtre du village, celui qui lui a offert enfant son premier appareil photo, comme pour mieux se placer de l’intérieur en observateur concerné mais pas impliqué dans les luttes fratricides sanglantes. Brillant ! DL – En salles le 4 septembre 2024
Ce n’est qu’un au revoir de Guillaume Brac (ACID)
Tout ce qu’il leur reste
La fin du lycée sonne-t-elle la fin des amitiés ? Après L’île au trésor (2018) et la fiction À l’abordage (2020), Guillaume Brac retourne au documentaire et poursuit son observation de la jeunesse dans Ce n’est qu’un au revoir, présenté à l’ACID. Au cœur de la Drôme, une bande de lycéens “babos” joyeux, look sarouel et dreadlocks, s’apprête à quitter le lycée et l’internat dans lequel ils vivent en communauté depuis trois ans. Brac capture les derniers instants collectifs des discussions animées sur leur avenir, les baignades du début d’été, et les fêtes dans les champs. Des voix singulières s’échappent du groupe. Celles d’Aurore, Nours, Jeanne et Diane. Les jeunes filles ont accepté de prendre la parole chacune leur tour pour se raconter en quatre chapitres. En voix off, elles évoquent leurs drames personnels, déchirants pour certains, et leur rapport au monde. Leur place dans ce monde c’est ce dont il est question chez cette génération lucide et animée par des luttes écologiques et politiques, loin de l’insouciance usuelle. Un adieu ou un au revoir, seul le temps le dira. En attendant, le cinéaste cadre pudiquement et au présent la fin de cette époque bientôt révolue comme autant de gestes simples : des posters décrochés d’une chambre d’internat, des dreads que l’on coupe symboliquement, deux mains qui se touchent le temps d’un regard. DL
Programme complet ici : Films avant-premières – Cinémas Indépendants Parisiens (cinemasindependantsparisiens.fr)