Notre marathon-films continue dans les salles du Festival de Cannes. Journal de bord, épisode 2.
Benedetta de Paul Verhoeven (Compétition officielle)
Dieu m’a donné la foi
Tous les films de Verhoeven ont un caractère équivoque. Benedetta n’échappe pas à la règle et dès la première séquence, le trivial et le sacré jouent déjà des coudes. Une enfant qui a la foi s’impose face à une bande de vieux voyous qui lui réclament un miracle : c’est de la fiente d’oiseau qu’ils reçoivent sur le front telle une onction. C’est sur des antagonismes de cette nature que s’articule ce thriller érotique en monastère, tantôt drôle et graveleux, tantôt noble et mystérieux. Virginie Efira est démentielle dans le rôle de cette nonne que l’amour embrase et que le scandale gâte. La comédienne se donne corps et âme à son personnage. Une sainte qui n’a d’yeux que pour Jésus (Jonathan Couzinié), jusqu’à ce que Bartolomea (Daphné Patakia) entre en scène et l’éblouisse. L’équation n’est pas simple pour l’époque (un ménage à trois), elle est indigne pour l’Église monstrueusement sectaire. Pourtant, c’est bien sur une histoire de trinité que ses fondations reposent. Paul Verhoeven n’a ni perdu son mordant ni son goût du burlesque (poussé à son paroxysme dans les scènes de sexe). Photo, décors, costumes, tout invite au spectacle. Et ce spectacle, c’est bien celui d’une faction (le clergé) en décomposition, comme les corps qu’elle héberge, rongés par la peste. Charlotte Rampling en mère supérieure suspicieuse (et antisémite) est impeccable, comme Lambert Wilson dans le rôle du Nonce aux doigts sertis et aux pieds sales. Ils sont le vieux monde, un monde auquel Benedetta met le feu. C’est quelque part entre La Chair et le sang et Basic Instinct que Benedetta se trouve, un film trouble sur la fascination et la piété, si intenses qu’elles donnent le vertige et la fièvre. Benedetta, comme Catherine Tramell (Basic Instinct), Nomi Malone (ShowGirls) et Michèle Leblanc (Elle), est une héroïne pétrie de contradictions : ascète et jouisseuse, soumise et tyrannique, sage et possédée. Une énigme pour ses pères et ses sœurs. Une dame de pique et de coeur qui laisse les esprits intranquilles. A.C
En salles le 9 juillet 2021.
Tout s’est bien passé de François Ozon (Compétition officielle)
Chronique d’une mort annoncée
Elle est vivante, plus que jamais. Il est mourant et impatient de partir. En adaptant le roman autobiographique d’Emmanuèle Bernheim, François Ozon prouve, une fois de plus qu’il est un garçon plein de ressources. Il s’est attaqué, en trois ans, au film choral tiré de faits réels (Grâce à Dieu), au teen-movie adapté d’une lecture d’adolescent (Été 85) et, avec Tout s’est bien passé, à la chronique familiale. Il faut lui reconnaître un talent rare pour explorer et renouveler le récit en le travaillant comme une matière vivante. Ici, comme pour les deux films précédents, la mise en scène est sobre et comme dévouée à son propos tandis qu’Ozon instille l’inattendu. Son film sur les abus d’un prêtre lyonnais sur de jeunes hommes devenait une ode à la force du groupe dans la réparation des traumas, son “coming of age” gay et estival était hanté par la mort, et ce dernier opus multiplie les clins d’œil à la comédie sans se laisser dévorer par son sujet (l’euthanasie) ou par son contexte assumé avec une légère ironie (le drame bourgeois). Mieux, il offre à un trio de comédiens de premier plan, leurs meilleurs rôles depuis très longtemps : Dussolier excelle en vieillard tantôt acariâtre, tantôt fripon, salement amoché par un AVC et qui se plaît à déstabiliser son entourage en jouant avec les convenances. Géraldine Pailhas compose avec délicatesse et sans emphase son personnage de femme discrète qui s’est fait une raison et vit dans l’ombre de sa sœur. Sophie Marceau, longtemps convoitée par le cinéaste, est solaire comme jamais en fille préférée. Tout le long de son cheminement intérieur, qui sert de fil directeur au film, elle est au bon endroit, peut-être plus qu’elle ne l’a jamais été jusqu’alors. F.F.-M.
En salles le 22 septembre 2021.