Des films, toujours des films, nous n’avons d’yeux que pour eux à Cannes. Journal de bord, épisode 3.
Lingui de Mahamat-Saleh Haroun (Compétition officielle)
Ceci est mon corps
Du corps des femmes (couvert, nu, blessé, libéré), il en est question dans pratiquement tous les films de la compétition (Annette et Benedetta en tête), mais le long métrage de Mahamat-Saleh Haroun est jusqu’ici le plus ouvertement politique sur le sujet. C’est au Tchad que l’action se déroule, et si le tempo du film est doux, c’est la montre qui se joue. Amina vit seule avec Maria, sa fille unique de quinze ans qu’elle appelle “petite maman” et dont elle découvre la grossesse. Ce bébé, l’adolescente n’est veut pas, mais la loi interdit l’avortement. Commence alors le combat de ces deux héroïnes, qui à chaque pas se heurtent aux desiderata du patriarcat. Il y a là quelque chose de profondément tragique, mais le réalisateur ôte tout pathos à sa fable pour rendre le plus clair possible la trajectoire de ses personnages, des femmes qui marchent sur la terre des hommes et trouvent entre elles des subterfuges pour échapper à leur contrôle. Un peu d’espoir, beaucoup de finesse, et deux actrices qui nous touchent, Achouackh Abakar (Amina) et Rihane Khalil Alio (Maria), des voix et des visages qui ne s’oublient pas. A.C
En salles le 8 décembre 2021.
Julie en 12 chapitres de Joachim Trier (Compétition officielle)
La route vers soi
Elle a lâché médecine pour des études de psy, avant de finalement se tourner vers l’édition. Elle est passée du blond au rose, et papillonné avec plusieurs garçons, avant d’emménager avec Aksel (Anders Danielsen Lie, brillant) – il est plus âgé qu’elle, mais elle est sûre : c’est le bon. Quand s’ouvre le premier chapitre du nouveau film de Joachim Trier, on est ainsi préparé : à bientôt 30 ans, Julie se cherche, son désir d’enfant, son couple, la fidélité, son père distant… A travers ces « 12 chapitres, un prologue et un épilogue » comme annonce le carton d’introduction, Joachim Trier (déjà en compétition avec Louder Than Bombs en 2015) offre un portrait de femme aussi surprenant qu’enthousiasmant. Entre l’introduction et la conclusion, les chapitres prennent au fur et à mesure davantage d’ampleur, épousant le rythme de Julie qui avance à pas lents vers son émancipation. Le réalisateur prend du plaisir à explorer les codes de la comédie romantique, avec des couleurs rehaussées, et offre des scènes d’une grande fluidité, à la fois intimes et espiègles (le superbe chapitre « Infidélité » pourrait être un court-métrage à part entière) ou imaginaires (arrêter le temps pour retrouver l’être aimé). Dans le rôle de Julie, à la fois mutine et candide, quelque part entre Dakota Johnson et Vicky Krieps, Renate Reinsve est une révélation. Que ce soit dans nos hésitations amoureuses, nos ruptures difficiles ou notre but dans la vie, chacun de nous retrouvera, à un moment du film, un peu de soi dans Julie. E.M
En salles le 13 octobre 2021.
Bonne Mère de Hafsia Herzi (Un certain Regard)
Une femme en or
Après Paris et sa foule sentimentale (Tu mérites un amour, Semaine de la Critique 2019), Hafsia Herzi nous emmène sur ses terres, les quartiers nord de Marseille. Parmi les habitants de la cité, il y a Nora, 50 ans, femme de ménage, celle que tout le monde appelle “maman” ou “tata” parce qu’elle veille sur toutes les têtes. C’est son portrait que Hafsia Herzi fait ici. Un portrait plein de grâce, d’admiration et de tendresse. Le geste de la cinéaste s’est affûté, et son école est bien celle des filmeurs du réel, comme Philippe Faucon par exemple (des sensibilités communes). Ce qui frappe tout de suite, c’est le sens du cinéma de Hafsia Herzi (caméra à bonne hauteur, fluidité du regard et du découpage, délicatesse de la mise en scène), c’est la finesse de son appréhension des relations humaines aussi. Si Nora (épatante Halima Benhamed) est le coeur battant du film et du récit, Hafsia Herzi s’intéresse également à celles et ceux qui gravitent autour de ce soleil, à commencer par ses enfants, une fille et deux garçons qui à force de caprices lui font un peu perdre de sa lumière. Entre le drame intime et la chronique familiale, Bonne Mère se trouve, nourri à l’émotion, sans jamais forcer son trait. Il y a de l’or dans les yeux de Hafsia Herzi, et son cinéma est grand. A.C
En salles le 21 juillet 2021.