On l’attendait impatiemment, pourtant Tre Piani de Nanni Moretti nous a laissés sur le pas de la porte – maladroit et longuet. En revanche, Petrov’s Flu de Kirill Serebrennikov (papa du fantastique Leto) nous a mis le feu : une satire théâtrale et punk qui s’ouvre sur un homme qui tousse dans un autobus et répand ses microbes un peu partout autour de lui. Une allégorie de la société russe et ses poisons (racisme, homophobie, précarité, individualisme, violences, patriarcat). Un film fou, en couleur et en noir et blanc, qui ressuscite les fantômes du passé et du présent. Du côté de l’Iran, ça bouge aussi : Asghar Farhadi revient à Cannes au meilleur de sa forme. Un héros est en effet un sérieux candidat pour la Palme d’or (récit limpide, démonstration implacable, mise en scène tenue, acteurs épatants). Mais le film qui nous a le plus emballés ces derniers jours, c’est Titane de Julia Ducournau, en salles depuis le 14 juillet. Nous lui consacrons le 5e épisode de notre journal de bord.
Titane de Julia Ducournau (Compétition officielle)
Le chrome et le coton
Après avoir fait sensation à la Semaine de la Critique avec Grave (2016), Julia Ducournau revient à Cannes avec Titane, un film de genre qui nous impose de monter sur le ring. Sans mettre de gants, sans nous ménager un instant – le film démarre en trombe, au son du moteur d’une voiture qui roule (vite) – la réalisatrice nous (em)mène en balade et chaque virage est une surprise, chaque virage nous bouscule et nous brasse. Du cinéma de Cronenberg à l’univers des hentaï japonais, Titane contient en lui toute une histoire du cinéma de genre, du film d’horreur au revenge movie. Mais ces références, Ducournau les transcende par son récit. C’est un conte macabre qu’elle nous livre, un conte où l’héroïne est une jeune femme, enragée et bagarreuse, qui aime les carrosses (formidable Agathe Rousselle). Alexia est blonde et tatouée, elle porte de longs t-shirts en coton, mais de toutes les matières, c’est le métal qu’elle préfère. Une attraction fatale, qui va la cabosser. Ducournau poursuit son exploration du corps humain, sa chair, ses os, ses sécrétions, ses cicatrices, sa robustesse. Comme dans Grave, il est question d’identité, de filiation, de féminité, de masculinité, de désir, de plaisir, mais ici l’héroïne est plus âgée. Justine (Garance Marillier) était une adolescente, encore vierge. Alexia, elle, est une jeune femme qui n’a plus envie de plaire à papa, plutôt de lui donner des coups de pieds. Il y a dans Titane autant d’amour (vache) que de violence, autant de rose que de bleu. Les chemins se croisent, les destins aussi, sur la route d’Alexia, le danger, l’aventure et la douleur s’invitent en permanence. Forcément, notre propre corps réagit. Il se crispe, il sue, se contracte, se tord. Le plus dingue des manèges de l’été, c’est Titane. Une expérience inoubliable nimbée d’un frisson transgressif bienvenu. Jouissif. A.C
En salles le 14 juillet 2021.