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Festival de Cannes 2022 – journal de bord, épisode 1

par | 18 Mai 2022 | CINEMA, z - 1er carre droite

Hier soir, mardi 17 mai, était lancé le coup d’envoi de la 75e édition du Festival de Cannes, après l’annulation de 2020 et l’édition « covidée » de juillet dernier. Plus de 4000 journalistes sont de retour sur la croisette, et parmi eux : Diane Lestage et Elli Mastorou, qui tiendront le journal de bord FrenchMania cette année. Nous ferons évidemment des focus sur les films français et francophones, mais aussi nos coups de cœur et découvertes de pépites toutes sélections confondues, des mastodontes de la Sélection officielle aux talents émergents des riches sections parallèles que sont la Quinzaine des réalisateurs, la Semaine de la critique et l’ACID. Première journée hier et première projection avec La Maman et la Putain en version restaurée et en présence de Jean-Pierre Léaud et Françoise Lebrun, pile 49 ans après la première cannoise – un grand moment d’émotion. Ensuite l’ouverture fut festive avec Virginie Efira en maîtresse de cérémonie, Vincent Delerm qui chante du Johnny, et Michel Hazanavicius et son remake de films de zombies. Journal de bord, épisode 1 : c’est parti !

Coupez ! de Michel Hazanavicius (Hors Compétition)

Sushi au camembert

« Rapide, pas cher, et dans la moyenne » : C’est la devise de Rémi (Romain Duris), réalisateur à l’ambition endormie, spécialisé dans les commandes publicitaires. Alors quand on lui propose un remake d’un film de zombies nippon, son premier réflexe est de refuser. Il faut dire que c’est un plan plutôt casse-gueule : le film doit être tourné en une seule prise, et diffusé en direct… Le déclic viendra quand Rémi voit les yeux de sa fille briller devant l’interview d’un jeune premier. Voilà comment un beau matin, acteurs et actrices, techniciens et techniciennes, et tout le reste d’une équipe (plus ou moins) bien rodée débarque dans un centre commercial désaffecté pour relever cet improbable défi. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu… Remake de One Cut of the Dead de Shin’ichirô Ueda, le nouvel opus de Michel « OSS 117 » Hazanavicius s’ouvre sur ce plan-séquence sanglant, maladroit et comique, dans lequel une équipe de tournage sera confrontée à des vrais zombies à cause d’une vieille malédiction. Vient ensuite la seconde partie, qui remonte le temps pour raconter tout ce qui est arrivé en amont. Les deux parties se répondent, l’une éclairant l’autre, et le film joue sur plusieurs tableaux méta : film dans un film, Coupez ! est aussi un commentaire sur l’industrie du cinéma, du producteur (trop) arrangeant à l’assistante caméra qu’on sous-estime, en passant par l’acteur qui promet de ne pas être saoul sur le tournage et qui n’y arrive pas. Par ailleurs, Bérénice Bejo – alias Madame Hazanavicius dans la vie –  joue la partenaire de Romain Duris, et Romy, la fille du couple qu’ils incarnent, est jouée par une certaine… Simone Hazanavicius. Tous ces niveaux pourraient rendre le tout indigeste comme un mille-feuille trop sucré, pourtant cette comédie horrifique nous entraîne sans problème grâce à son rythme efficace, dans lequel on retrouve le goût du réalisateur de La Classe Américaine pour les dialogues enlevés. Oldfield tape dans le mille en jeune premier prétentieux, tout comme Grégory Gadebois en alcoolique maladroit, ou encore Luàna Bajrami en assistante pince-sans-rire… Sur le scénario, ceux qui ont vu le premier nous soufflent dans l’oreillette que c’est quasiment du plan par plan, donc on ne saurait dire si ce qui fonctionne tient davantage de la qualité de l’original japonais que de la plume du réalisateur français. Mais Hazanavicius joue de cette inter-culturalité avec aise, et livre un OVNI type « série Z » qui dégouline d’humour, de sang et de vomi. Efficace, drolatique et vaguement dégueulasse…  comme un sushi avec du camembert. E.M

En salle le 17 mai 2022

© films du losange / Photo Bernard Prim Collection Christophel

La Maman et la Putain de Jean Eustache (Cannes Classics)

À la recherche du film culte perdu 

49 ans après sa projection cannoise, le 17 mai 1973, La Maman et la Putain de Jean Eustache inaugurait cette édition 2022 du Festival de Cannes en version restaurée. Scandale d’époque accueilli par les applaudissements et les indignations, cette œuvre en partie autobiographique adulée par les cinéastes et cinéphiles était quasiment invisible depuis sa sortie. Sa somptueuse restauration par Les Films du Losange crée ainsi l’événement de ce premier jour de festival. Pendant 3h40, Jean-Pierre Léaud quitte Antoine Doinel, alter-ego de François Truffaut pour incarner celui de Jean Eustache. Affublé de foulards au cou, lunettes de soleil et cheveux plus longs, il interprète Alexandre, un jeune dandy désœuvré et oisif. Il flâne tous les jours, attablé au Flore, devant un verre de whisky. Alexandre vit chez Marie, la Maman (Bernadette Lafont), propriétaire d’une boutique de mode. Il aimerait récupérer Gilberte son ancienne amoureuse, mais va finalement séduire Veronika, la Putain (Françoise Lebrun). Évidemment, entre les terrasses des cafés et ce fameux matelas au sol où l’on disserte et s’aime, tout apparaît culte dans La Maman et la Putain. L’écriture très littéraire – presque proustienne – des dialogues d’Eustache et le vouvoiement des personnages se confrontent à un langage cru. Rien que le mot « baiser » y serait prononcé environ 120 fois. Inscrit dans cette époque post-soixante huitarde, apparaît une ébauche de relation libre, les difficultés des relations sentimentales, la défense de l’avortement. Les femmes assument pleinement leur sexualité, et parlent de cul et de Tampax. Malgré cette imprégnation indéniable de cinéma et cette apparente modernité, l’errance amoureuse et autofictionnelle d’Alexandre, observée avec des yeux actuels soulève parfois un décalage avec ce regard masculin d’une autre époque. Reste le souvenir de l’événement cannois inoubliable, celui de cette étreinte au bord des larmes entre Françoise Lebrun et Jean-Pierre Léaud, un grand moment d’émotion après la projection. D.L

En salle le 8 juin 2022.

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