Le Syndrome des amours passées d’Ann Sirot et Raphaël Balboni (Semaine de la Critique)
Toi + moi + tous ceux qui le veulent
Rémy et Sandra n’arrivent pas à avoir d’enfant. Leur médecin leur explique que c’est parce qu’ils sont atteints d’un syndrome particulier : celui des amours passées. Pour guérir, ils devront chacun recoucher avec tous et toutes leurs ex-amant(e)s… Sacré pitch que celui du nouvel opus d’Ann Sirot et Raphaël Balboni (Une Vie démente) qui depuis leurs courts-métrages questionnent abordent les relations humaines, et notamment le couple, avec humour et couleurs pop. Avec Le Syndrome, le duo de cinéastes pousse le curseur de l’imaginaire un cran plus loin. Comme l’histoire le laisse présager, on n’est pas dans un cinéma réaliste – et même si on reconnaît Bruxelles (et la commune d’Anderlecht en particulier) dans certaines scènes, les personnages évoluent en partie dans décors originaux hors de l’espace et du temps – comme l’appartement de Sandra et Rémy, sorte d’igloo aux murs d’un blanc immaculé, sur lesquels le duo va épingler les portraits de leurs ex, comme une galerie photo de leur parcours sentimental et sexuel. Mais c’est surtout dans les scènes de sexe, où se mêlent châteaux gonflables, masques d’animaux, paillettes et frôlements de peaux, qu’on ressent toute la malice et l’inventivité du projet. On a rarement vu ça au cinéma, et ça fait un bien fou ! À travers les parcours de Sandra et Rémy, le film chatouille nos conceptions normées du couple, de l’exclusivité sexuelle, de la performance masculine (Sandra a eu plus d’amants que Rémy), ou encore de l’injonction à la parentalité. Un film pétillant, pop et plein de charme, qui s’affranchit des conventions de manière jubilatoire sur la forme comme sur le fond. (EM)
Banel et Adama de Ramata Toulaye-Sy (Sélection officielle – compétition)
Mantra amoureux
Ce premier long-métrage venu du Sénégal en lice pour la Palme d’Or est signé Ramata Toulaye-Sy. À 36 ans, cette diplômée de la FEMIS cite parmi ses modèles les écrivaines Maya Angelou ou Chimamanda Ngozi Adichie. Dans un village reculé du nord du Sénégal, Banel (18 ans) et Adama (19 ans) sont amoureux. Le titre du film, ils se le chuchotent comme un mantra, une prière d’amour sans cesse répétée, un leitmotiv amoureux que Banel écrit sur les feuilles blanches de ses cahiers. Le couple aspire à avoir sa propre maison. Ce projet de vie va entrer en conflit avec la communauté, car Adama est censé succéder à son père et devenir le chef. Tandis que la sécheresse s’abat sur le village, l’harmonie entre Banel et Adama sera mise à mal par le poids de traditions ancestrales… On pense évidemment à Roméo et Juliette face à cette tragédie amoureuse plutôt classique de prime abord, mais qui se distingue par la modernité de ses héros ; jeune femme indépendante, Banel revendique la liberté de disposer son corps. Quant à Adama, taciturne et doux, il est loin stéréotypes masculins sur l’autorité. Mais c’est aussi et surtout dans la forme que Banel et Adama sort du lot, grâce à sa sublime photographie, et ses cadres composés comme des tableaux. Sous le soleil de plomb ou éclairées par la lune, les couleurs brillent, les peaux scintillent. Un poème d’amour au croisement de la tradition et de la modernité, aussi tragique que débordant de vie. (EM)
Connan de Bertrand Mandico (Quinzaine des cinéastes)
Bienvenue en Barbarie !
Dans un noir et blanc poisseux mais scintillant qui rappelle celui de son moyen métrage Boro in the box, la biographie fantasmée du cinéaste polonais Walerian Borowczyk, Bertrand Mandico sort de son chapeau un nouvel univers fantastique. Reprenant le personnage identifié du barbare Conan, cette figure majeure de l’heroic fantasy, le réalisateur des Garçons sauvages en fait une héroïne féminine, Connan, la plus barbare des barbares. Exit les hommes et les guerriers dont le règne dure depuis trop longtemps, le cinéaste de la fluidité des genres et des identités, donne une nouvelle fois aux actrices les personnages qu’elles méritent, les plongeant ici dans les horreurs les plus barbares. Avec ce scénario romanesque où les récits s’emboîtent – qui apparait un peu plus évident que ses précédents longs – les comédiennes se succèdent dans le rôle-titre d’une dizaine à une autre : Claire Duburcq (15 ans), Christa Theret (25 ans), Sandra Parfait (35 ans), Agata Buzek (45 ans), Nathalie Richard (55 ans), ne peuvent évoluer dans les âges de la barbarie qu’en se tuant elles-mêmes. Pour l’accompagner dans sa vie, le « plus fidèle ami de l’homme », Rainer, cerbère des Enfers, bipède conteur à la tête de chien et le corps d’une femme, celui de la magnétique Elina Löwensohn. En traversant les époques, des tréfonds de l’au-delà, aux terres visqueuses des amazones jusqu’au New York queer des années 1980, trouvant sa finalité dans un banquet suicidaire cannibale qui prend la forme d’un discours sur la place de l’artiste. Mandico, le fabuliste confirme son univers bien à lui, celui d’un merveilleux parfaitement sale et stylisé où les femmes règnent sur les siècles des siècles. (DL)
Vincent doit mourir de Stephan Castang (Semaine de la critique – Séance spéciale)
L’amour et la violence
Imaginez, vous vivez tranquillement votre vie routinière sans faire d’histoires quand soudain le stagiaire de votre entreprise se met à vous rouer de coups brutalement… Puis, le comptable vous agresse à son tour… Vincent (Karim Leklou) devient la victime de ces tentatives de meurtre à répétition qui surviennent en un regard. Comme le titre l’indique si bien, il doit mourir. Comme ça, sans explications logiques. Avec son premier long métrage présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique, Stéphane Castang croise les genres dans une ambiance apocalyptique où la violence la plus brutale se retrouve confrontée à l’amour le plus fort. En fuite, Vincent fait la rencontre d’une serveuse dont il va tomber immédiatement amoureux. Tel des Bonnie and Clyde persécutés, qui tentent de s’aimer sans pouvoir se regarder les yeux dans les yeux, Karim Leklou et Vimala Pons forment un drôle de duo à l’épreuve des coups. Si le film est victime à sa moitié de quelques petites longueurs répétitives, on lui pardonne facilement ces maladresses des prémisses. Car, Vincent doit mourir assume la radicalité de sa violence, déroulant son scénario de l’absurde à l’angoisse, du comique à l’effroi sans jamais prétendre être autre chose qu’une oeuvre inventive, allégorie de la société malade qui se laisserait contaminer par la victoire du romantisme. L’an passé, la présence de Karim Leklou prenait possession de la Semaine de la critique dans Goutte d’or de Clément Cogitore, on peut dire qu’il réitère cette année ! Et on en redemande. (DL)