Diamant brut d’Agathe Riedinger (Sélection Officielle)
Sainte Liane
Extensions à clips, seins refaits, faux ongles, lèvres augmentées. Tout semble factice chez Liane ; pourtant cette jeune femme d’à peine 20 ans est 100 % authentique dans sa détermination à atteindre son but : devenir une star de la télé-réalité. « Je veux être la Kim K française » balance-t-elle à ses copines entre deux virées en boite. La célébrité comme voie rapide pour s’élever socialement et se barrer de ce coin paumé du Sud de la France, où elle vit avec mère et sœur. Croyante, Liane prie sur la route vers le casting pour que son rêve se réalise. D’une icône à l’autre, il n’y a qu’un pas, et le film assume d’ailleurs ce parallèle entre la foi religieuse et la dévotion aux écrans ; son héroïne une Vierge moderne : inexpérimentée car méfiante face aux hommes, Liane porte aux pieds les stigmates de celle qui est perchée sur des talons de 12 toute la journée. Ils sont environ 50 000 apôtres à la suivre sur son Insta : entre louanges et quolibets, les commentaires apparaissant à l’écran tels des textes sacrés. Diamant Brut est l’histoire d’une jeune femme qui attend un miracle : la productrice la rappellera-t-elle, ou pas ? Porté par une mise en scène naturaliste attendue pour ce genre de sujet, avec sa caméra mobile et près des corps, la musique classique, qui s’impose parfois au-dessus des beats modernes, participe, elle aussi, à ce déplacement du sacré. Fort et fragile à la fois, Diamant Brut est le premier long d’une cinéaste fascinée par les notions de beau et de beauté, et qui questionne avec un regard bienveillant et non-jugeant son héroïne et ses rêves clinquants. « Ça dérange qui ? » demande Liane à sa mère qui porte un regard plein de mépris sur ses choix de vie – et le film, traversé par la question du mépris de classe, la pose à ses spectateurs par extension. Cagole, et alors ? Mercredi 15 mai, Agathe Riedinger et son actrice Malou Khebizi ont monté les marches de Cannes, où le film est en compétition. Liane est enfin célèbre, et la réalité rejoint la fiction. EM
Les Fantômes de Jonathan Millet (Semaine de la critique – film d’ouverture)
Traque intime
Hamid erre dans les rues de Strasbourg. Il parle peu, observe beaucoup. Son regard semble à la fois perdu quelque part au loin, et en permanence aux aguets. Quelques années auparavant, il a été torturé dans une prison en Syrie, et a perdu sa femme et sa fille ; sa mère, exilée près de Beyrouth dans un camp de réfugiés, semble être le seul lien familial qui lui reste. En France, Hamid fait partie d’un groupe secret, dont il rencontre des membres lors de rendez-vous discrets. Leur mission ? Traquer les criminels de guerre. Le corps de Hamid porte la trace de certains de ces crimes, et un jour à l’université de Strasbourg, ses yeux repèrent une silhouette élancée et quelque chose en lui s’éveille : c’est son tortionnaire, il en est persuadé. Commence alors une filature haletante, portée par la douleur et la soif de vengeance. Jonathan Millet a parcouru avec sa caméra plusieurs continents, de l’Amérique Latine au Moyen-Orient, avant de signer ce premier long métrage de fiction rempli de tension. Le résultat renouvelle le genre du thriller par le biais de l’intime, tant sur la forme que sur le fond : la mise en scène sensorielle colle à la peau de son héros, la caméra se faisant le prolongement de son regard et son obsession pour cet homme qu’il suit de près. Adam Bessa, vu dans Harka et Les Bienheureux, porte avec intensité et conviction cet homme hanté par son passé. Les Fantômes du titre ne sont pas forcément ceux que l’on croit… EM
Ce n’est qu’un au revoir de Guillaume Brac (ACID)
Tout ce qu’il leur reste
La fin du lycée sonne-t-elle la fin des amitiés ? Après L’île au trésor (2018) et la fiction À l’abordage (2020), Guillaume Brac retourne au documentaire et poursuit son observation de la jeunesse dans Ce n’est qu’un au revoir, présenté à l’ACID. Au cœur de la Drôme, une bande de lycéens “babos” joyeux, look sarouel et dreadlocks, s’apprête à quitter le lycée et l’internat dans lequel ils vivent en communauté depuis trois ans. Brac capture les derniers instants collectifs des discussions animées sur leur avenir, les baignades du début d’été, et les fêtes dans les champs. Des voix singulières s’échappent du groupe. Celles d’Aurore, Nours, Jeanne et Diane. Les jeunes filles ont accepté de prendre la parole chacune leur tour pour se raconter en quatre chapitres. En voix off, elles évoquent leurs drames personnels, déchirants pour certains, et leur rapport au monde. Leur place dans ce monde c’est ce dont il est question chez cette génération lucide et animée par des luttes écologiques et politiques, loin de l’insouciance usuelle. Un adieu ou un au revoir, seul le temps le dira. En attendant, le cinéaste cadre pudiquement et au présent la fin de cette époque bientôt révolue comme autant de gestes simples : des posters décrochés d’une chambre d’internat, des dreads que l’on coupe symboliquement, deux mains qui se touchent le temps d’un regard. DL
Ma vie Ma gueule de Sophie Fillières (Quinzaine des cinéastes)
Le monde de Barbie
Pas évident de ne pas être ému devant Ma vie Ma gueule, présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes. Sophie Filières, décédée en juillet 2023 à 58 ans d’une longue maladie peu de temps après la fin du tournage, avait confié à ses enfants Agathe et Adam Bonitzer et son monteur le soin de terminer son ultime film. Autoportrait tragi-comique posthume donc, d’une réalisatrice facétieuse, découpé en trois parties aux différentes tonalités : « Pif ! », « Paf ! » et « Youkou ! ». Agnès Jaoui endosse ce personnage, double de la cinéaste : Barberie Bichette, surnommée Barbie, poète publicitaire en pleine crise de la cinquantaine. Barbie parle seule, ment beaucoup, et vit dans un monde en décalage avec la réalité. Ce monde proche de celui de l’enfance la rend parfois gênante. Dénuée de filtres sociaux, elle bouscule nos certitudes en nous touchant à chaque instant. Comme à son habitude, Fillières joue des ruptures de ton permanentes, et Jaoui le lui rend bien dans chaque détail de ses postures et de sa voix. Hantée par la peur de la mort, Barbie parait pourtant plus vivante que ceux qui l’entourent, amis, amoureux d’enfance oublié, ou son psy. Dans cette quête testamentaire d’elle-même, il faudra laisser ses enfants sur la rive pour partir seule en Écosse toucher sa propre épiphanie et retrouver la vie dans un petit bout de pré carré, avec Philippe Katerine qui lui invente un chant intitulé « Lady Bichette » au ukulélé ; un hommage joyeux et triste à la fois, à l’image de son cinéma. DL