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Festival de Cannes 2024 – journal de bord, épisode 4

par | 24 Mai 2024 | CINEMA, z - Milieu, z- 1er carré gauche

The Substance de Coralie Fargeat (Sélection officielle – Compétition)

Doriane Gray

Elisabeth Sparkle (Demi Moore) était une grande star, avec ses fans, son Oscar, et son étoile sur Hollywood Boulevard. Mais ça, c’était avant. Désormais animatrice d’une émission de fitness à Los Angeles, elle apprend le jour de son anniversaire qu’elle va être remplacée par une femme plus jeune. Scrutant son visage devant le miroir, Elisabeth a l’impression d’être arrivée à sa date d’expiration. Alors quand elle découvre The Substance, un produit qui lui propose de devenir « une meilleure version d’elle-même », c’est difficile de résister à la tentation… Cette version améliorée s’appelle Sue (Margaret Qualley) : elle est plus jeune, elle a la peau plus ferme, le cul plus bombé. Mais la cure de jouvence n’est pas sans risques ; il y a des règles strictes à respecter. Sinon tout ça risque de mal se passer. Très mal. Très, très mal…  Par où commencer pour décrire toute la démesure monstrueuse dans laquelle bascule rapidement The Substance ? Seringues sous la peau, esthétique léchée, chairs gonflées et purulentes, lisses ou en lambeaux, litres de sang, couleurs pop, gros plans outranciers et montage haché : d’un point de vue formel, The Substance, second long de Coralie Fargeat (Revenge) est indéniablement impressionnant. Abordant le jeunisme et la misogynie de l’industrie du cinéma, le film pousse au maximum le curseur du body horror, jusqu’à friser un ridicule assumé. Tel le monstre de Frankenstein, le film est un assemblement unique de références – de l’univers de Cronenberg au Toxic Avenger en passant par Carrie. Dommage le fond manque de… substance : les fils narratifs sont quasiment inexistants, le film reposant quasi-exclusivement sur ses effets visuels pour raconter l’hypocrisie de l’industrie du cinéma et la haine de soi vers laquelle les femmes sont constamment amenées. Scénario minimal, résultat maximal – on retient quand même l’audace de Demi Moore, épatante dans le premier rôle, qui fait un grand retour sur le grand écran avec ce rôle aux accents méta, et qui prend littéralement ce rôle à bras-le-corps. Hard-gore. EM

Animale d’Emma Benestan (Semaine de la Critique) 

La terre des hommes

Avec son énergie, son audace et son regard pétillant, Nejma (Oulaya Amamra) est du genre à prendre le taureau par les cornes – littéralement : cette jeune femme s’entraîne à la course camarguaise, un sport risqué (mais sans mise à mort) où le but est d’arracher un attribut fixé sur le front de la bête. Seule femme dans le groupe des « raseteurs », Nejma tente de se faire une place, entre camaraderies, taquineries, et soirées bien arrosées. Mais l’ambiance fraternelle se délite rapidement quand une série de morts violentes se produit. Tout le village se met à chercher le taureau violent qu’on imagine responsable de ces tragiques incidents… Y compris Nejma, elle-même aux prises avec un conflit intérieur qui commence à se manifester physiquement… Au croisement du thriller, du récit d’apprentissage et du fantastique, Animale est un film aussi hybride que réjouissant. Emma Benestan abordait déjà les rapports homme-femme et déconstruisait la masculinité dans Fragile, son premier long remarqué. Elle retrouve de nouveau Oulaya Amamra dans ce film puissant qui subvertit le film de genre à travers un prisme féminin – et animalier (on pense parfois à Grave de Julia Ducournau ou au Règne Animal de Thomas Cailley). Une œuvre singulière et collective, créée en communion avec la communauté et la culture camarguaise, et qui porte à la fois le regard spécifique de sa réalisatrice, avec sa mise en scène soignée et organique, et son regard affûté sur les questionnements actuels. La violence, la vengeance et la résiliation exorcisées dans un film comme un grand cri face à l’oppression. Poussez-vous les taureaux : cette « tauresse » va vous terrasser. EM

Eat the night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (Quinzaine des cinéastes)

L’amour et la violence

Créer des mondes dans lesquels se réfugier. Immiscer de l’amour dans le chaos ambiant. Le cinéma du duo Vinel-Poggi impulse ses deux idées et Eat the night, leur deuxième long métrage après Jessica Forever (2018) présenté à la Quinzaine des cinéastes, et les sublime. Ici, ils s’emparent d’abord du réel pour la première fois avant d’y lier le virtuel. Les deux héros, frère et sœur, ont grandi dans une banlieue pavillonnaire havraise délaissés par leur parents. Depuis tout petits, Pablo (Théo Cholbi) et Apo (Lila Gueneau) s’échappent dans Darknoon, jeu vidéo multi-joueurs en réseau. Un univers ultra coloré, où via leurs avatars badass, ils se sont créé des moments de complicité à eux en dehors des affres de la vie. Quand un message apparait annonçant la disparition du serveur dans quelques jours, l’adolescente voit son jardin d’Eden s’anéantir. Pablo, lui, a un deuxième refuge, une cabane dans les bois où l’apprenti dealer fabrique des pilules colorées artisanales. Les cinéastes mêlent la tragédie au film noir, le teen movie mélancolique et le mélo queer quand Pablo rencontre Night (Erwan Kepoa Falé) sur le parking d’un supermarché après s’être fait tabasser par une bande de narcos. De nouveau, l’amour et la violence. La passion brûlante entre les deux garçons, proche dans ses scènes de sexe du cinéma de João Pedro Rodrigues, s’intensifie, et la tragédie contamine déjà de sa noirceur toutes les strates. Et si la dramaturgie de Eat the night apparait plus classique et accessible que leurs précédents films, Poggi et Vinel confirment leur singularité animée par l’hybridité des formes et des genres expérimentés. À la fin, le cœur dévoré et une question : l’amour est-il assez puissant contre la violence et la fin programmée de notre monde ? DL

La Pampa de Antoine Chevrollier (Semaine de la critique)

Dans les yeux de Willy

Vas-y Jojo, on a qu’une vie ! » lance un des cinq garçons à moto sur cette route de campagne. Le fougueux Jojo (Amaury Foucher) fait vrombir sa bécane, prêt à s’élancer à toute allure pour traverse le carrefour d’une route sans se faire faucher. La caméra de Antoine Chevrollier, dont c’est le premier long métrage, capte alors le regard de son meilleur ami Willy (Sayyid El Alami), inquiet et apeuré. C’est ce regard-là, sans cesse filmé, témoin d’une palette d’émotions, qui va guider La Pampa. Mélancolique quand il pense à son père, révolté contre sa mère et son beau-père, intrigué par l’étudiante angevine Marina… Celui porté sur son ami est différent… il l’accompagne rempli d’un amour inébranlable dans cette bromance à toute épreuve. Alors qu’il doit réviser son bac dans ce village aux alentours d’Angers, Willy passe son temps aux côtés de Jojo. Il est là pour le seconder dans ces entrainements pour le championnat de France de motocross, sur le terrain de la pampa où il est poussé par son père intransigeant (Damien Bonnard) et son coach joué par Artus. Chevrollier caractérise avec soin et sans manichéisme ses jeunes personnages dans cet univers rural confronté aux rumeurs, à la réputation, et à l’homophobie. S’il s’intéresse parfois un peu trop aux adultes et à la filiation, le cœur de ce premier film touche dans les scènes saisissantes sur l’adolescence, réalistes sans jamais être naturalistes, et par la révélation de ses comédiens impeccables. DL 

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