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Festival de Cannes 2025 – journal de bord, épisode 2

par | 18 Mai 2025 | CINEMA, z - Milieu, z- 1er carré gauche

Pour ce second journal de bord Cannes 2025, des coups de cœurs en compétition, à la Semaine de la critique, à l’ACID et à la Quinzaine des cinéastes…

Kika d’Alexe Poukine (Semaine de la Critique)

Sept fois par terre, huit fois debout

Kika est le portrait fragmenté d’une femme à différents moments de sa vie. Un fondu au noir de quelques secondes marque le temps écoulé entre chaque chapitre. Dans le premier, Kika est assistance sociale à Bruxelles, et vit une vie sur des rails entre sa fille, son mari, et son travail. Et puis au hasard d’un vélo à réparer, elle rencontre David et tout va être chamboulé. Kika tombe amoureuse et choisit d’écouter son cœur. La suite sera tragique, imprévue, dévastatrice ; mais elle forcera Kika à se réinventer. Film sur la débrouille, sur la précarité, sur la maternité, le premier long de fiction de la belge Alexe Poukine (Sans frapper, Palma) est un récit dur et doux à la fois, porté par une mise en scène naturaliste fluide et vive. Un humour inattendu surgit dans le drame, à la fois atout et fuite en avant d’une héroïne forcée d’avancer malgré tout. Et si Kika finit en domina pour boucler ses fins de moins, infliger de la douleur via le BDSM est aussi une façon d’éviter de confronter la sienne. Un chemin cathartique surprenant, fait de culottes sales et de sororité. La collègue (Ethelle Lardued, Amal), la dominatrice expérimentée (Anael Snoek, Les Garçons Sauvages), la mère douce-amère (Kadija Leclère, Le sac de farine), visages familiers du microcosme cinématographique bruxellois, forment une constellation bienveillante autour de Kika (mention aussi pour Thomas Coumans (L’Outsider) en mari puis ex-mari bienveillant). Porté par une écriture délicate pleine d’humanité même dans les chemins radicaux empruntés, Kika est incarnée par la franco-américaine Manon Clavel (La Vérité, Un petit frère), qui l’incarne avec tendresse et détermination.  EM

Cannes 2025

© New Story

 

 

 

Put your soul on your hand and walk de Sepideh Farsi (ACID)

Âmes soeurs

C’est l’histoire d’une rencontre entre deux femmes par écrans interposés. L’une s’appelle Sepideh, l’autre Fatma. La première est iranienne, réalisatrice, et vit à Paris. La seconde est une photojournaliste palestinienne de Gaza. Un monde les sépare, mais il existe des points communs entre leurs histoires – dans le rapport aux frontières, aux guerres, à la violence. Dans l’envie de raconter des récits de résistance par l’image aussi, via la photo, ou le cinéma. Leurs existences sont politiques, à leurs corps défendants : Fatma ne peut pas quitter Gaza, ou si elle part, elle ne pourra pas revenir. Sepideh ne peut pas rentrer en Iran, ou si elle rentre, elle ne pourra pas repartir. Entre avril 2024 et mai 2025, elles vont échanger autant que leur permet la connexion internet erratique d’une bande de Gaza assiégée et inlassablement bombardée. Sepideh filme leurs interactions sur l’écran de son téléphone, tandis que Fatma raconte la vie sous les gravats, la circulation entre les snipers sur les toits, et la vie sous l’occupation. Entre les images pixellisées des appels vidéo, les photos prises par Fatma apparaissent sur l’écran, respirations nécessaires et précieuses, images sublimes et terribles d’humains vivant dans la destruction. Le 16 avril dernier, après un an d’échanges, et au lendemain de l’annonce de la sélection du film à Cannes, Fatma et presque toute sa famille ont été tués par une frappe israélienne qui a ciblé leur maison. Une frappe délibérée – rappelons qu’à ce jour, dans ce que plusieurs ONG considèrent comme un génocide, plus de 200 journalistes ont été assassinés. Le film prend un tout autre sens avec ce décès. Un film-document, un film-testament, un film-hommage. Il reste le sourire de Fatma sur l’écran, un sourire éclatant, persistant, insensé et salvateur. Dans sa vie comme après, elle est la résilience incarnée. « Celui qui n’a rien à perdre n’a plus peur de rien ». Un film de résistance, d’amour et de lien, de l’Iran à la Palestine, du mouvement Femme vie liberté à celui pour la liberté du peuple palestinien. EM

© Pyramide Films

Sirat de Óliver Laxe (Compétition) 

Entre dans la transe

Sous la chaleur et la poussière d’un désert marocain, des teufeurs nomades se laissent aller dans la transe rassemblés pour une immense free party. Et sur cette musique qui « ne se danse plus qu’elle ne s’écoute », les vibrations émoustillent les sens. Très vite, Luis (interprété par Sergi Lopez) se démarque dans la foule. Avec son jeune fils Esteban, ils distribuent des papiers avec la photo de sa fille qu’il recherche depuis plusieurs mois. La liesse absolue est stoppée par des militaires mais Luis s’échappe en suivant une bande de marginaux éclopés qui prennent la direction d’une autre rave vers la frontière mauritanienne s’embarquant dans une traversée dont on ne ressort pas indemne. Le quatrième film du réalisateur franco-espagnol Oliver Laxe, Sirat, en langue arabe, désigne un chemin et aussi un pont entre le paradis et l’enfer. Dans cet entre-deux, situé quelque part entre aujourd’hui et le futur de Mad Max Fury Road,  le physique et le métaphysique, le vivant et le crépuscule, on embarque dans une œuvre rare, imprévisible, et sensorielle. Le film prend une route inattendue et joue avec les nerfs en permanence aidé par une bande-son dont les vibrations secoue les corps jusqu’à épuisement et une photographie éprouvant l’aridité des paysages. Le basculement vers l’effondrement se veut extrêmement radical. Comment survivre sur une terre devenue hostile et un monde en perdition ? Un dernier bastion d’humanité et d’empathie se crée dans ce groupe où la famille se choisit, mais pour combien de temps ? On sort de Sirat, effrayés comme si on avait survécu au voyage au bout de l’enfer, marqués par les affres de ces personnages dont pourtant on ne sait rien si ce n’est l’humanité viscérale. Déjà, une palme à nos yeux ! DL

© New Story

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que ma volonté soit faite de Julia Kowalski (Quinzaine des cinéastes)

Délivre-moi du mâle 

Dans son court-métrage, J’ai vu le visage du diable, la réalisatrice franco-polonaise, Julia Kowalski évoquait le désir homosexuel de son héroïne persuadée d’être possédée par le diable entre naturalisme documentaire et surnaturel. Son nouveau film, Que ma volonté soit faite, sélectionné à la Quinzaine des cinéastes se pense comme un prolongement, seulement, ici Maria Wrobel donne son visage troublant à Nawojka, une jeune polonaise vivant et travaillant dans la ferme familiale avec son père et ses deux frères. Rapidement, le film nous dit que sa mère décédée avait le diable en elle et Nawojka en a hérité malgré elle. Kowalski abandonne l’aspect exorcisme pour suggérer la possession comme métaphore des troubles du désir fluide embrasant le corps de la jeune fille entre attraction et répulsion. Cette petite communauté rurale révèle son vrai visage au contact de la fille des voisins décédés Sandra (Roxane Mesquida, actrice audacieuse), femme libre, venue vider sa maison alors que l’héroïne voit son pouvoir grandir. Vieilles rancœurs et monstruosités enfouies dans le patriarcat se réveillent à travers une ambiance Chiens de paille dans la campagne française. La photographie grise et âpre voire austère des films de l’Est rencontre tout ce qu’il y a de plus organique et visqueux, de la boue au sang jusqu’au final émancipateur où Nawojka survit à la violence traversant les routes comme la Carrie de De Palma délivrée du mâle. Effrayant, fiévreux mal aimable, Que ma volonté soit faite n’a peur de rien et nous ensorcelle allègrement ! DL

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