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Festival de Cannes 2025 – journal de bord, épisode 3

par | 20 Mai 2025 | CINEMA, z - Milieu

De la France au Brésil, des sections parallèles à la compétition : enthousiasme, émotion, et un peu de déception.

Des preuves d’amour de Alice Douard (Semaine de la critique)

Devenir mères

Dans son très beau court-métrage L’Attente, césarisé en 2024, Alice Douard réunissait Laetitia Dosch et Clothilde Hesme dans un huis clos à la maternité, des premières contractions à la naissance. Des preuves d’amour, son premier long-métrage sélectionné en séance spéciale à la Semaine de la critique, en est le prolongement thématique, remontant le temps quelques mois en arrière lors de l’enclenchement des démarches de co-maternité. Céline (Ella Rumpf, toujours plus magnétique) s’apprête à avoir un enfant avec sa femme Nadia, enceinte de six mois (Monia Chokri, parfaite à contre-emploi). Alors que la loi Taubira, accordant au couple de même sexe de se marier et d’adopter, vient tout juste d’être adoptée par l’Assemblée Nationale, le parcours pour être reconnue mère de l’enfant que l’on ne porte pas n’apparait pas si évident. Comment visualiser cette maternité quand on est pas celle qui est enceinte, et alors que l’on pourrait biologiquement l’être ? Comment supporter d’entendre les jugements et remarques sur ce choix à longueur de journée ? Céline consulte une avocate, campée par Jeanne Herry (joli clin d’œil à la réalisatrice de Pupille sur le long parcours d’adoption d’une femme célibataire), requérant d’elle 15 lettres de différents proches attestant de son désir de maternité et de sa place auprès du bébé pour prouver qu’elle peut être une bonne mère. De ce postulat très personnel – la réalisatrice ayant elle-même effectué ce cheminement d’adoption de sa fille portée par sa femme – Alice Douard offre un film aux émotions universelles, joyeux, tourné vers la lumière et la vitalité de ses deux héroïnes. Par la finesse de son écriture, le film dépeint l’appréhension naturelle de la maternité, poussant Céline à renouer avec sa mère, célèbre pianiste absente de sa vie (campée par Noémie Lvovsky). Mère et filles sont reliées par la transmission musicale plus que par l’amour filial, et la bande originale les accompagne, de Chopin à Beethoven jusqu’à la techno que joue Céline dans les club parisiens. Le remix par Flume de la chanson You & Me de Disclosure vient illustrer l’osmose parfaite d’un couple, mais surtout de deux actrices en parfaite harmonie, saisies dans une photographie teintée d’une mélancolie bleutée. La valse des sentiments magnifiés écrase un système toujours plus absurde et discriminant. DL

© Ad Vitam

L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho (Compétition)

Les visages du Brésil 

Après le film de genre Bacurau (en compétition à Cannes en 2019) et le génial documentaire d’archives Portraits fantômes (2023), le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho fait son retour en compétition avec L’Agent secret, une immense fresque labyrinthique à la fois intime et politique à laquelle on donnerait volontiers la Palme d’or. Des images d’archives du carnaval précèdent la découverte d’un corps gisant depuis plusieurs jours à une station-service déserte, et dont la police semble se désintéresser, préférant interroger notre héros Marcelo (Wagner Moura) fuyant le Sud pour retrouver sa ville de naissance Recife. Une fois de plus, le cinéaste situe son récit dans sa ville d’origine dont il aime filmer l’architecture. Il nous la dépeint cette fois-ci en pleine dictature militaire, dans une reconstitution colorée de l’année 1977. Mais sous cette apparence de film d’époque, L’Agent secret possède une toile de fond très contemporaine, où la corruption d’État qui règne fait écho autant à Bolsonaro qu’aux États-Unis de Donald Trump. En convoquant, voire manipulant, la mémoire et les fantômes à travers les époques et les strates narratives dont la reconstitution se fait progressivement à travers un montage brillant. Une jambe retrouvée dans le cadavre d’un requin frôle le gore, des instants partagés touchent au mélodrame, une cavale sanglante se veut polar… les genres se mélangent comme les différents niveaux de lecture, de l’horreur au grotesque. Les plans s’étirent comme pour mieux raconter la menace politique permanente, dans une mise en scène proche de l’écriture de l’écrivain chilien Bolaño. Mendonça Filho n’a jamais aussi bien raconté l’histoire du Brésil, les différences sociales qui opposent son Nordeste natal au Sud du pays, et l’héritage de ces années de dictature. Et que serait une convocation du souvenir sans celle de la pellicule ? De la référence explicite aux Dents de la mer (1975) que le réalisateur a lui-même découvert enfant dans un cinéma de Recife, à celle de L’Homme de Rio de De Broca – dont le titre brésilien est L’Agent secret, des cabines de projection aux cinémas transformés aujourd’hui en églises ou cliniques privées… Autant de pièces de puzzle pour une magistrale ode à la mémoire, au cinéma et à la démocratie. DL

Nino de Pauline Loquès (Semaine de la Critique)

Une boule dans la gorge

Un vendredi à Paris, suite à ce qu’il pensait être un banal examen médical, Nino apprend qu’il a un cancer de la gorge et qu’il est attendu à l’hôpital le lundi suivant pour débuter un traitement. Sans ambages ni fioritures, le film de Pauline Loquès s’ouvre avec cette scène brute et déconcertante – drôle aussi, presque involontairement, via un quiproquo créé par un système hospitalier sous-financé. Nino a 29 ans, c’est déjà un adulte mais encore un enfant, dans sa façon d’interroger le monde de son regard curieux et désemparé. Durant quatre jours, du vendredi au lundi, le film va suivre son parcours, entre recherche de ses clefs d’appartement, visite à sa mère, rencontres prévues ou involontaires, et une fête d’anniversaire. Une errance urbaine mélancolique et douce-amère, dans laquelle l’humour surgit par effraction, surprenant et inattendu comme la vie elle-même. On sent à travers l’écran, avec sa mise en scène sensorielle et ses mélodies pop-rock, toute la bienveillance de la réalisatrice pour son (anti) héros, incarné par un Théodore Pellerin bouleversant de fragilité. Face à la mort, la peur, et l’incertitude de la vie, Nino offre aussi une autre incarnation de la masculinité. A ses côtés, des existences entières et incarnées, des seconds rôles qui n’ont de second que le nom : le meilleur ami (William Lebghil), l’ancienne camarade de lycée (Salomé Dewaels) l’ex-amoureuse (Camille Rutherford), un SDF excentrique (Matthieu Amalric) ou encore sa mère (géniale Jeanne Balibar comme toujours). Une histoire précieuse car banale et vice-versa, sur la vie comme elle va, avec ses joies, ses pertes et ses fracas. EM

Alpha de Julia Ducournau (Compétition)

Génération désenchantée

Quand Alpha, 13 ans, rentre à la maison avec un tatouage gravé sur le bras par un inconnu lors d’une soirée arrosée, sa mère panique à l’idée qu’une aiguille sale ait contaminé sa fille. « Dois-je te rappeler qu’il y a un virus qui circule ? ». Maman sait de quoi elle parle, puisqu’elle travaille à l’hôpital et a été confrontée en première ligne à cette maladie. Cette peau marquée à l’encre formant la lettre A va faire ressurgir des traumas du passé, dans la figure de l’oncle Amin, le frère de Maman, dans la vie de la mère, et de la fille. Après avoir tétanisé la croisette avec sa titanesque Palme d’Or, Julia Ducournau s’éloigne avec ce troisième opus du film de genre gore pour un drame fantomatique sombre et inquiétant. Alpha navigue entre deux époques : le présent, soit les années 90, avec ses couleurs froides et désaturées, ses tons sombres et son climat orageux ; et le passé des années 80, avec ses couleurs chaudes et ensoleillées et ses tons orangés. Les film va et vient constamment, entre les époques et les étapes de l’épidémie. Film au passé douloureux et au futur incertain, dans lequel le virus du SIDA prend la forme d’une maladie qui pétrifie, Alpha est le récit d’une génération scarifiée (mais pas sacrifiée) déterminée à ne pas reproduire les affres du passé. Si on retrouve des éléments de ses opus précédents, de la chair triturée aux scènes cauchemardesques sous les draps de Grave, Alpha est plus sombre et poisseux que les précédents. On sent également que le film est très infusé de souvenirs familiaux (la langue kabyle, les repas d’Aïd bruyants). Golshifteh Farahani et Mélissa Boros, 19 ans en vrai, construisent un rapport mère-fille brut et bienveillant, tandis que Tahar Rahim livre une performance physique et viscérale. Tout est saturé et intense dans ce récit qui navigue entre les époques, entre Edgar Allan Poe et Mad Max Fury Road, entre mélodies classiques et Tame Impala – au point de s’éparpiller parfois à vouloir explorer trop de sujets à la fois. Peut-être est-ce l’excès de propositions, formelles, symboliques, temporelles et thématiques, qui font d’Alpha un cauchemar captivant, mais où, à notre grand regret la mayonnaise de l’émotion ne prend pas vraiment. EM

 

 

 

 

 

 

 

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