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Festival “Les Œillades” d’Albi (épisode 2) : 5 films en compétition / Focus sur “La Douleur”

par | 25 Nov 2017 | CINEMA, Interview

FrenchMania est partenaire du 21ème Festival du film francophone d’Albi, “Les Œillades” du 21 au 26 novembre. Des avant-premières, des invités, un focus sur les documentaires, des séances pour les scolaires et 13 films en compétition. Le jury ? C’est le public !

Pour ce deuxième épisode, retour sur 5 films de la compétition et rencontre avec Alexis Kavyrchine, le directeur de la photographie de La Douleur, magnifique adaptation de Duras par Emmanuel Finkiel, en salles le 24 janvier prochain.

Jusqu’à la garde  de Xavier Legrand

L’amour et la violence

Attention, film coup de poing. Xavier Legrand nous invite dans le quotidien d’un couple qui se sépare et le rythme cardiaque s’accélère. Tout commence dans le bureau de la juge aux affaires familiales. Une scène magistrale qui pose les enjeux du film : Miriam veut protéger son fils alors mineur d’un père abusif, mais Antoine nie avoir un comportement violent. La juge tranche et la garde des enfants est partagée. Commencent alors les épreuves et les supplices, le cauchemar d’une mère et de son fils, la spirale de la violence et le régime de la terreur. La tension monte crescendo jusqu’au finish, explosif. Jusqu’à la garde ne lâche rien, son écriture est incisive, sa mise en scène, précise, métrique. Porté par un Denis Ménochet et une Léa Drucker au sommet, le premier long métrage de Xavier Legrand épate autant qu’il bouleverse. La surprise vient de la sobriété de ce drame pourtant dense qui fait la nique à tous les clichés que le sujet pouvait porter en lui. Il a même soufflé la Mostra de Venise, le jury l’ayant doublement récompensé (Meilleur Premier film et prix de la mise en scène). Chapeau. A.C

Percujam  d’Alexandre Messina

Fausses notes

Le sujet de ce documentaire laissait présager le meilleur : une plongée dans le quotidien hors-norme de Percujam, un groupe de jeunes musiciens autistes qui rencontre un franc succès partout en France depuis quelques années. Les témoins et leurs paroles sont bien sûr forts et passionnants. Mais les bonnes intentions et l’envie généreuse de partager une expérience hors du commun ne sont pas toujours les gages d’un film réussi. Filmage plat, montage approximatif et manque cruel de progression narrative font de Percujam un objet documentaire un peu bancal qui ne tient pas ses promesse. D’autant plus décevant que les jeunes héros sont touchants, percutants, généreux, heureux d’être là et souvent vecteurs de poésie pure. Ils méritaient mieux. (En salles le 4 avril 2018). F.F-M.

La Douleur  d’Emmanuel Finkiel

La fille d’attentes

Juin 1944, la France vit ses derniers moments sous l’occupation allemande. Robert Antelme, écrivain, intellectuel et résistant est arrêté. Son épouse Marguerite entame alors un parcours de souffrance protéiforme. D’abord conquérante et sûre d’elle, elle cède aux invitations répétées du gestapiste Rabier (Benoît Magimel, opaque à souhait), une relation trouble de manipulation réciproque s’installe au grand dam de ses amis résistants. Puis les informations arrivent via ses camarades et son amant Dionys (Benjamin Biolay, fantomatique et puissant) : Robert a été déporté. Déporté est encore un mot qui n’a pas pris tout son sens, ses contours sont flous. La réalité va se faire jour petit à petit et Marguerite s’enfoncer dans les affres de l’attente. D’une douloureuse attente. Adapté du roman éponyme de Marguerite Duras, La Douleur est un film profond, intense, précis. Il donne à voir et à entendre comme rarement les tourments, les voix et la langue intérieurs de Duras. Tous les choix esthétiques sont justes et le film questionne le cinéma comme Duras questionnait la littérature dans ses livres. Mélanie Thierry n’a jamais été aussi vieille, aussi mûre, aussi crue, aussi vraie, aussi belle, elle est tout simplement époustouflante. Et jamais Duras n’a été aussi bien adaptée au cinéma. Emmanuel Finkiel, au sommet de son art, confirme qu’il est un réalisateur majeur en signant ce chef d’œuvre d’émotion et d’intelligence. (En salles le 24 janvier 2018). F.F-M.

La Fête est finie de Marie Garel-Weiss

Very bad trip

En 1998, Erick Zonka filmait avec grâce et sentiment le périple intérieur de deux jeunes femmes, une blonde et une brune, interprétées par Élodie Bouchez et Natacha Régnier. Impossible de ne pas penser à La vie rêvée des anges pendant la projection de La fête est finie, et forcément, ce dernier souffre de la comparaison avec son aîné. Marie Garel-Weiss met en scène deux adolescentes paumées et junkies qui cherchent une porte de sortie à leur cauchemar. Mais cette amitié fusionnelle devient évidemment le nouveau foyer de la dépendance. Démonstratif et suranné, La fête est finie nous laisse de marbre. Aucune émotion ne passe à travers l’image et les tremblements permanents du cadre finissent par avoir raison de nos nerfs. Ce premier long métrage de fiction filmé comme un documentaire tombe dans tous les pièges que le sujet tendait : la drogue c’est bon mais c’est mal, ça coupe du reste du monde, ça cache des traumas, mais ça se combat. Pas loin du spot de prévention. Sauf qu’on n’y croit pas. Jamais même. Les personnages sont sans épaisseur et contrairement à Erick Zonka, Marie Garel-Weiss joue la carte de la psychologisation à outrance, nous entraînant dans des groupes de prise de parole d’un didactisme affligeant. Les ficelles narratives sont énormes, et si les deux comédiennes, Zita Hanrot et Clémence Boisnard tentent tant bien que mal d’exister, leur intensité est broyée par le manque de subtilité dans l’écriture et la réalisation. Pataud, daté et mollasson. (En salles le 11 avril 2018). A.C

La Villa  de Robert Guédiguian

Famille décomposée

Entrer dans un film de Guédiguian, c’est retrouver une famille, un cadre, un certain confort. C’est encore plus vrai pour La Villa qui s’ouvre sur les retrouvailles d’une fratrie évidente (Daroussin, Ascaride, Meylan). Le père est très mal en point suite à une cigarette de trop. Angèle, l’actrice “parisienne” (Ariane Ascaride) et Joseph (Jean-Pierre Daroussin), le retraité malgré lui en pleine rupture avec sa jeune petite amie (Anaïs Demoustier) ont rejoint Armand (Gérard Meylan), le “bon fils” resté près du père et qui a repris la brasserie familiale. Unité de lieu (cette villa enclavée dans la calanque de Méjean), unité de temps (quelques jours) pour se concentrer sur l’essentiel : l’héritage, le deuil, et comme toujours chez Guédiguian, l’espoir d’un avenir meilleur. On aurait pu se passer du trauma lié à la perte d’un enfant et de l’arrivée un peu inopinée d’une jeune fratrie de migrants censée faire écho à notre trio de sexagénaires et qui apporte une relativisation un peu voyante. On préfère garder en mémoire la très belle présence de Robinson Stévenin en pêcheur, amoureux de théâtre et d’Angèle, et ce merveilleux flashback du trio Ascaride-Meylan-Daroussin, filmé il y a sans doute plus de 30 ans, sur le “I want you” de Bob Dylan. (En salles le 29 novembre). F.F-M.

Rencontre avec Alexis Kavyrchine, directeur de la photo de La Douleur : “Le refus de toute mièvrerie correspond bien à l’écriture de Marguerite Duras “

Sur quoi ont porté les premières discussions de travail avec Emmanuel Finkiel, réalisateur de La Douleur ?

Alexis Kavyrchine : J’avais déjà eu l’honneur et le bonheur de travailler avec Emmanuel Finkiel sur son précédent film, Je ne suis pas un salaud. J’étais très heureux d’aborder ce film-là en ayant déjà travaillé avec lui car le fait que l’action se déroule dans le passé ajoutait une complexité supplémentaire. La discussion était une sorte de continuité. Il m’avait envoyé le scénario qui était vraiment magnifique, son écriture est très forte, très visuelle, pleine de sensations. Je n’ai volontairement pas lu le livre de Duras avant pour éviter de comparer. Je l’ai lu après et c’est un très grand texte. Le jeu de correspondances entre le roman et le film est vraiment intéressant. On retrouve une sensation, la complexité, l’empathie et la dureté de quelqu’un qui nous ment et nous dit des choses sur nous-mêmes réellement profondes et d’une vérité incroyable. C’est un livre qui entrait en correspondance avec beaucoup des obsessions d’Emmanuel. Il en a fait quelque chose qui est complètement lui. Le premier élément était vraiment de se poser la question du passé. Sur Je ne suis pas un salaud, il fallait déjà partir d’éléments auxquels on croit, le commissariat était dans un vrai commissariat, l’école dans une vraie école et l’hôpital dans un vrai hôpital. Rendre compte de cette complexité du réel était important. Pour La Douleur le principe était le même à la seule différence que cet univers n’existe plus. Ce souci de mettre en place des éléments auxquels on croit, de faire en sorte de raconter une histoire à partir de cette situation, elle est là la tension entre le réel et la narration.

Où se posaient les enjeux en termes visuels ?

D’abord dans une continuité d’expression présente dans Je ne suis pas un salaud mais également dans ses films précédents et notamment un téléfilm, En marge des jours avec Michèle Laroque (réalisé en 2007, Ndlr) sur lequel je n’avais pas travaillé mais qui est déjà sur ce principe de longues focales avec des Steadycam. C’est vraiment le jeu entre un univers qui donne la sensation de ne pas être modifié par le cinéma et une façon de filmer qui, par ses jeux de flou, de longues focales, de montage et de constructions sonores notamment, nous rappelle sans cesse qu’on est au cinéma. On nous raconte une histoire. Donc nous avons beaucoup travaillé en lumière naturelle, avec des projecteurs cachés souvent dans le décor. Malgré le côté « film d’époque », on souhaitait un film moderne, au présent, qu’on soit vraiment là avec elle (Marguerite Duras interprétée par Mélanie Thierry, Ndlr), de façon directe et que l’image soit un chemin vers elle, qu’elle nous permette de la toucher, de sentir sa peau, de sentir ses vêtements, la suie sur les murs. Et dans ce sens-là ce n’est pas visible. On raconte l’époque en creux, on voulait non pas une stylisation mais qu’on sente l’époque. On a beaucoup travaillé avec des photographies couleur comme celles d’André Zucca, qui ont un certain contraste sans être saturées mais avec certaines couleurs très vives et explosives qui donnent une énergie à l’image et qui nous plaisaient bien : la flamme dans la cuisine, ses pulls rouge ou bleu. Il y avait une espèce de jeu pour mettre en avant la présence des comédiens et surtout celle de Mélanie Thierry, c’est aussi un film sur ces acteurs-là ! Mélanie est insensée, c’est une actrice incroyable !

Il y a un mot que vous avez cité et sur lequel on pourrait revenir c’est le “flou”, il y a un vrai travail entre le point et le flou …

Où mettre le point, c’est une décision de mise en scène. Là, évidemment, il y a un jeu qui permet de ne pas toucher à ce qu’on filme et de lui donner un côté abstrait juste par le biais du flou. Le film est une réflexion sur la représentation, sur le cinéma. Comment montrer des idées, une pensée, une époque, une réflexion sur une rupture, la découverte de l’existence des camps ? Ce n’est pas un film qui donne des solutions, des réponses mais qui pose des questions et interroge. Et ce travail sur le flou, on l’a poussé un peu plus loin et il peut se lire comme un partition musicale, une ligne et ses contrepoints. Au cadre, je suivais une certaine ligne narrative et au point la ligne narrative change un peu, on regarde quelqu’un puis on change et on regarde quelqu’un en amorce ou plus loin. C’est le résultat de discussion et cela se dose au montage. On met en place la situation et on se place à divers endroits avec un zoom, on va chercher des gros plans et on varie. Emmanuel engrange des « bouts de phrase » qui seront agencées au montage. Il y donc ces mises au point sur des endroits un peu inattendus, peu de profondeur de champ et de longues focales, donc le travail de mise au point, celui de l’assistant opérateur, est extrêmement difficile mais cette fragilité au point est une difficulté qu’aime Emmanuel. On est toujours dans la recherche de cette tension vers le plus net mais on se heurte à la réalité. C’est vrai au point mais aussi au cadre pour moi, j’essaie toujours que ce soit le suivi des mouvements les plus impeccables mais, évidemment, je suis aussi surpris, je panote, Emmanuel me demande d’aller chercher autre chose. Sur la lumière, mon honnêteté me pousse à dire que ce n’était pas du tout une volonté préalable mais on en a tenu compte en fin de montage et à l’étalonnage, tous les moments de réconfort sont dans l’obscurité, dans le sombre et tous les moments de drame, les moments les plus terribles sont en pleine lumière ! Le refus de toute mièvrerie et d’un côté affecté correspond bien à l’écriture de Marguerite Duras. Il y a du coup une espèce de brutalité qui me touche beaucoup.

Un débat assez vain a été lancé dernièrement sur la cigarette à l’écran et, ici, Marguerite fume tout le temps. Comment un chef opérateur gère-t-il cette donnée ?

On utilise parfois la fumée, même un peu invisible, pour matérialiser des lumières. Là, l’idée c’est de rester sur des images qui ne sont pas diffuses mais qui “donne à voir”, qui ont une certaine dureté, sans maquillage de cinéma notamment. Donc il n’y a pas de fumée rajoutée, aucune volonté de rendre les choses douces, aucun filtre mais effectivement ce plaisir de la cigarette ! C’est une donnée d’époque, tout le monde fumait partout, ce sont des gestes caractéristiques. Cela peut donner lieu à des problèmes de raccord mais il y a des situations où la fumée est mieux perçue que dans d’autres. Le film est parcouru d’enjeux moraux et cette présence décomplexée de la cigarette participe à cela.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué personnellement dans cette expérience ?

Je parle en mon nom mais ce qui me touche beaucoup ce sont les différents types d’amour qu’on perçoit dans le film : sensuel, intellectuel, plus sombre. Ces différentes façons d’aimer sont très touchantes, et permettent au personnage de Marguerite de se dédoubler, de se raconter, de se voir en train de faire. C’est un film très dense, extrêmement stimulant. Et c’est formidable de travailler sur un projet comme celui-là et d’enchaîner en janvier avec le prochain film de Michel Leclerc qui avait fait Le Nom des gens, c’est une comédie avec Edouard Baer et Leïla Bekhti qui se passe dans le monde de l’école.

Propos recueillis par Franck Finance-Madureira.

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