Ce soir s’achève l’édition anniversaire du festival international du film indépendant de Bordeaux, festival ovniesque qui a su marier exigence cinéphile, découvertes hors-circuit et ambiance festive et musicale.
Petit bilan de cette cuvée 2021 et gros plan sur la compétition « Contrebande », celle qui fait que le Fifib est le Fifib en proposant des films de tous formats misant sur une originalité de forme et de propos.
Les films hors-compétition et séances anniversaire de la section événementielle « Forever 10 » ont donné le ton de cette édition du festival autant par leur prestige que par leur ton : modernité, regard sur le monde d’aujourd’hui et dialogue avec la société. Après le Lion d’or à Venise et ses deux prix à Saint-Jean-de-Luz (Grand prix et Prix de la critique), L’Événement d’Audrey Diwan continue sa tournée des festivals automnaux, prouvant la triste contemporanéité de son propos à mettre en parallèle avec le très beau film de Sandrine Kiberlain, Une Jeune fille qui va bien, découvert à la Semaine de la critique et qui joue aussi avec le hors-champ pour se centrer sur l’expérience de son héroïne.
Côté français, le public bordelais a pu découvrir Le Monde après nous, le très joli premier film de Louda Ben Salah-Cazanas, ou celui, tragique et virevoltant d’Anaïs Volpé, Entre les vagues, et rien de moins que les nouveaux films de Thierry de Peretti (Enquête sur un scandale d’Etat, film d’ouverture), Laurent Cantet (Arthur Rambo), Samuel Theis (Petite Nature), Alice Diop (Nous), Alexis Langlois (Les Démons de Dorothy) ou Bertrand Mandico (After Blue).
Si le jury long métrages composé d’Anna Mouglalis, Charline Bourgeois-Tacquet, Diane Rouxel, Marie Papillon et Ludovic et Zoran Boukherma devra ce soir établir son palmarès parmi huit films dont deux français (A la vie d’Aude Pépin et Vous ne désirez que moi de Claire Simon) et trois coproductions (Rien à foutre, excellent film franco-belge d’Emmanuel Marre et Julia Lecoustre avec une Adèle Exarchopoulos au sommet, le franco-indien Toute une nuit sans savoir de Payal Kapadia et la plongée suédo-néérlandaise dans le porno US Pleasure de Ninja Thyberg), les jurées de la section « Contrebande », la réalisatrice Frankie Wallach et son actrice de Trop d’amour, Agnès Hurtzel (Jeune et Golri), les comédiennes Raya Martigny et Dustin Muchuvitz (vues chez Alexis Langlois et dans Dustin de Naïla Guiguet) et Aurélie Chesné (Libre Court sur France 3) auront à départager des films originaux et forts répartis en quatre programmes.
La compétition « Contrebande »
C’est la fierté du FIFIB et pour Natacha Seweryn, directrice de la programmation du festival, « chaque film répond à sa façon au caractère nécessaire et urgent de la création ». Ces onze films (quatre longs et sept courts plus ou moins longs) sont tous français ou coproduits par la France et constituent une programmation d’une qualité, d’une richesse et d’une diversité exceptionnelles.
Le premier programme contrebandier cette année, c’est le film de 60 minutes réalisé par Gisèle Vienne a partir de sa création théâtrale culte, Jerk d’après Dennis Cooper. Plan séquence frontal face à la performance incroyable du comédien Jonathan Capdevielle, le film n’évite jamais le malaise que suscite la violence trash et sexuée du propos et parvient à transmettre des émotions à la base très théâtrales sans perdre de leur force.
Le deuxième programme qu’on aurait pu sous-titrer « Errances » proposent trois parcours erratiques très différents. D’abord celui de Léo (Léo la nuit de Nans Laborde-Jourdàa, 23mn), jeune père qui vit la vie comme un jeu et oublie ses enjeux en vivant l’instant, rien que l’instant. C’est charmant, ludique et plus profond que ça en a l’air. Autre errance, le pas de deux de Janna et Auréa, deux jeunes filles qui marchent dans un Paris estival à la recherche d’un hypothétique lieu pour danser, saisit par sa fraîcheur. Evoquant leurs amours multiples et complexes, elles échangent et questionnent l’époque en alternant gravité et légèreté au fil de la nuit et des rencontres (Elles allaient danser de Laïs Decaster, 30mn). Enfin, dans Un Tipo strano, film franco-iltalien de 45 minutes, Samuel Gratacap décrit avec justesse et humanité le parcours d’un jeune réfugié gambien en Italie. Ce portrait gracieux d’Amadou, jeune homme plein de vie et d’envies est mis en parallèle d’images qui documentent les migrations actuelles et les errances politiques sur le sujet. Un film simple, efficace et poignant.
Le troisième programme de cette compétition « Contrebande » est composé d’un court d’animation et d’un long documentaire. Dans Mom, Kajka Aki Ferrazzini interroge la force du rapport mère-fille dans une tragédie dystopique qui met en scène la force du souvenir et son pouvoir consolateur : 9 minutes immersives et haletantes. As I Want de Samaher Alqadi est un documentaire à la première personne dans lequel la réalisatrice interroge les violences sexuelles qui se sont produites lors de la révolution égyptienne sur la place Tahir et sa condition de femme et de mère. Le film, à la fois personnel et historique, intime et politique, est bouleversant d’intelligence.
Le programme 4, malgré trois films aux tons très différents c’est un peu « Comment te dire adieu ? ». Dans Les Sentinelles, essai chorégraphique sur le départ, Nora annonce à son groupe d’amis qu’elle les quitte pour un ailleurs. Patrick Muroni nous entraîne dans 15 minutes d’un ballet-vérité qui permet aux sentiments mêlés une exaltation inhabituelle, hypnotique et salvatrice. Tchau Tchau, c’est un merveilleux court de confinement, qui, en 18 minutes, nous fait traverser une palette d’émotions assez folle. On est touché par la relation forte qui unit une petite-fille à son grand-père qui vit loin (au Brésil) et avec qui elle communique via Facetime, ému par son décès, tandis qu’une scène toute simple d’enterrement numérique nous entraîne l’espace d’un instant sur des territoires burlesques. Une belle surprise que ce film de Cristèle Alves Meira ! Dans Au jour d’aujourd’hui, Maxence Stamatiadis suit le quotidien de Suzanne et Edouard aux Pavillons-sous-bois : les relations avec leur petite-fille ado capricieuse, l’agression dont est victime Suzanne en voiture, et Edouard qui réfrène ses envies de meurtres en se défoulant sur des jeux vidéo violents avant de mourir. Quelques années après, Suzanne télécharge une appli qui lui permet de faire revivre son époux défunt. Avec son style naturaliste de zone pavillonnaire, Stamatiadis fascine avec ce film d’anticipation low-fi finalement très émouvant.
Le dernier programme était sans doute le plus conceptuel. D’abord, Khtobtogone de Sara Sadik dans lequel Zine, beur marseillais raconte en voix off et en images tunées en mode GTA quel homme il veut être avant de demander sa bien-aimée en mariage. Entre fantasmes de toute-puissance à coup de muscles et d’accessoires logotypés et aveux d’échec devant un monde qui le déconsidère, cette confession d’un enfant du siècle est saisissante et explore des territoires esthétiques et narratifs relativement inédits au cinéma. Tout comme Bottled Songs 1-4 de Chloé Galibert-Laïné et Kevin B. Lee, un film de PC épistolaire, qui suit les échanges et cheminements de pensée des deux réalisateurs au sujet des méthodes de communication de l’Etat Islamique. C’est un peu abrupte et souvent trop théorique mais cela n’en reste pas moins une création visuelle, intellectuelle et émotionnelle innovante et passionnante à l’image de cette sélection « Contrebande ».