Queer un jour, Queer toujours !
En recevant son prix il y a pile un an pour son remarquable film Pornomelancolia, Manuel Abramovich avait remercié le jury et le FIFIB, attribuant à ce dernier la mention du « festival le plus queer qui soit » ! Si les auteurs queer sont ceux qui réfléchissent aux fluidités de genre, d’identités et de formes, alors oui le FIFIB est incontestablement dans cette ligne éditoriale. Des courts et longs qui captent et se font les témoins d’un nouveau monde, flottant loin de la binarité imposée, questionnant par là-même les conséquences de ces mutations sur le formel et la mise en scène. Caractéristiques traversants toutes les œuvres présentées cette année encore à Bordeaux entre le 18 et le 23 octobre.
Retour en cinq coups de cœur sur cette édition queer mais pas que…
Lauréat du grand prix, Nome, la fresque intime de Sana Na N’Hada avait été présentée précédemment à l’ACID à Cannes, section sans récompenses. Il est dont réjouissant que les membres du jury menés par Camélia Jordana aient salué cette œuvre réalisée par un cinéaste guinéen qui remémore le conflit à la fin des années 60 entre les forces coloniales portugaises et l’armée de résistance et populaire du pays occupé. Politique, esthétique, fantastique (un spectre protecteur parcourt le film) et féministe, agrémentée d’images d’archives filmées à l’époque par le metteur en scène alors tout débutant, cette plongée mémorielle dans les heures de la libération puis dans celles plus sombres de l’après victoire avec l’avènement de la corruption, conjugue avec pertinence la poésie des images à l’évocation plus amère d’un grand changement tué dans l’œuf.
Mention spéciale pour Toll de la brésilienne Carolina Markowicz. Suellen (interprétée par Maeve Jinkings, comédienne fidèle de Kleber Mendonça Filho), femme qui travaille dans un péage, découvre que son fils, né d’amours anciennes, poste des vidéos où il danse lascivement et de manière suggestive devant la caméra. Choquée et poussée par une des collègues (une femme ronde 50 ans obsédée sexuelle, adultérine et catholique fervente !) pousse cette mère désemparée à inscrire le fruit de ses entrailles à un groupe de thérapie de conversion. Sauf que le gamin, mineur pour encore quatre mois, est très heureux dans son corps de jeune gay. Entre une vision sociologique remarquablement ciselée du Brésil contemporain, des personnages bouleversants de vérité, des thématiques peu traitées comme l’homosexualité en milieu prolétaire, et surtout un plan final déchirant comme pas possible, Toll est une merveille, tant d’interprétation que de perspicacité de mise en scène.
Toujours présenté en compétition, le remarquable Melk de la réalisatrice néerlandaise Stefanie Kolk. Repartie avec le prix Erasmus +, ce premier film accompagne une jeune mère dont l’enfant est mort avant l’accouchement. Inutile de sortir les mouchoirs, l’autrice refuse tout pathos préférant se focaliser sur le deuil silencieux de cette femme et sur son obstination à vouloir absolument offrir le lait maternel qu’elle produit en grandes quantités. Un film remarquablement construit, sans insistance déplacée sur un deuil impossible, sur le transfert psychanalytique et obsessionnel de cette activité altruiste ainsi que sur une névrose silencieuse. Une claque.
Pour finir, deux avant-premières : La Rivière de l’excellent Dominique Marchais, documentariste auquel le FIFIB consacrait une rétrospective bien méritée. En suivant le cours de moins en moins tranquille d’une rivière (baisse des eaux, disparition des faunes et flores environnantes, perspectives politiques autour de l’écologie, changement des conditions climatiques…), l’auteur de l’inoubliable Le Temps des grâces en 2009 parvient à vous passionner et humaniser ce qui n’aurait pu être qu’un doc alarmiste et théorique. Sortie le 22 novembre. Enfin, il faudra attendre jusqu’au 10 avril pour découvrir Sylvie Hofmann, le nouveau film de Sébastien Lifshitz, fidèle invité du FIFIB. En deux mots le cinéaste suit une infirmière d’un service d’oncologie (tragique ironie le cancer hantant sa vie professionnelle et intime) à quelques mois de la retraite et dans la tourmente de la crise sanitaire du Covid. Une merveille empathique et pudique, attestant de l’intelligence de son auteur qui, dans la folie exsangue d’un service débordé d’un hôpital publique marseillais, trouve toujours l’exacte place et distance pour regarder son modèle. Grand film sur lequel nous reviendrons évidemment.