Les films marquants de la sélection francophone
La 13ème édition du Festival International du Film Black de Montréal s’est achevée dimanche dans la métropole québécoise. Créé par la Fondation de la comédienne, productrice et réalisatrice haïtienne Fabienne Colas, le FIFBM s’est imposé comme une vitrine pour le cinéma black international, avec ses préoccupations, ses enjeux et ses réalités propres. Comme chaque année, le festival a accordé une belle place au cinéma de la francophonie avec la présentation d’une douzaine d’œuvres issues des Antilles, de Belgique, de France ou du Canada. FrenchMania vous présente quelques films francophones marquants de la sélection.
- Section courts-métrages : On attend, Passagers et les autres
La présence francophone au FIFBM s’est particulièrement distinguée dans les sections courts métrages de fiction et courts-métrages documentaires, avec 8 œuvres de jeunes réalisateurs québécois, belges et français.
C’est le film On attend du réalisateur belge Dimitri Sterkens qui a remporté le prix du meilleur court métrage de fiction. Allégorie conceptuelle du calvaire des réfugiés, ce court récit oppressant expose la violence froide de la bureaucratie désincarnée. On y suit une jeune femme à la recherche de sa famille, Camille Boro, coincée dans une frontière interminable où elle doit systématiquement passer sous une douche avant de se présenter à des douaniers qui refont ses papiers d’identité. La mécanique est kafkaïenne. Chaque douche efface l’encre fraîche du passeport délivré par le douanier précédent. Le suivant lui annonce que le document n’est plus valide, lui fait décliner son identité, l’adresse qu’elle n’a pas, puis lui tend un nouveau passeport et lui intime de suivre les lignes. Jusqu’à la prochaine douche, jusqu’au prochain douanier. Avec sa mise en scène étouffante, sa photo sombre et ses sons agressifs, ce court-métrage de 12 minutes nous plonge avec force dans cet effrayant tonneau des danaïdes administratif.
Dans leur court métrage Passagers, Bépé Nènèb et Chritophe Agelan évoquent le crash du vol Panama – Fort-de-France qui a fait 160 victimes en 2005. Rigo, fantasque jeune homme au look de cowboy, y a perdu sa mère alors qu’il était encore enfant. Profondément marqué par le drame, il a développé un trouble d’anxiété verbale et une hypersensibilité qui le rendent imprévisible.
Rigo se réfugie dans la poésie, improvisant des slams, des blagues et des bons mots pour se dérober à sa réalité. Dix ans plus tard, il doit participer à un hommage qui sera rendu à sa mère et aux autres victimes du crash au Musée Gauguin, dans le nord de la Martinique. A grands renforts de danse, de poésie et d’hallucinations, il tente de supporter cette journée de commémoration.
Ce court-métrage lumineux doit beaucoup à l’interprétation de Rigo par l’acteur martiniquais Guillaume Ruffin-Bayardin, à la fois touchant et désopilant dans ce rôle de personnage lunaire. Servi par une mise en scène audacieuse et un scénario tout en subtilité, Passagers est une œuvre pleine de charme qui aborde la question du deuil avec une grande originalité.
Autres bonnes surprises francophones de cette sélection de courts-métrages, le touchant Plane du réalisateur français Jonas Dinal, où un fugitif veut laisser un souvenir marquant à son frère autiste passionné d’aviation avant d’être arrêté, et le court métrage belge La Loi du déshonneur de Francisco Luzemo, dans lequel la fille d’une famille musulmane est confrontée à la violence de sa mère et de son frère lorsqu’elle révèle son homosexualité.
- Documentaire : Mariannes noires
La projection du documentaire Mariannes noires en présence de ses deux réalisatrices restera un des moments forts de cette 13ème édition du FIFBM. Réalisé par la Franco-sénégalaise Mame-Fatou Niang, professeure de littérature française aux États-Unis, et son étudiante Kaytie Nielsen, le film dresse le portrait de sept femmes françaises noires : les réalisatrices Isabelle Boni-Claverie et Alice Diop, la pionnière de la danse hip-hop Bintou Dembélé, la fondatrice de la galerie d’art BAB’s Galerie Elisabeth Ndala, la créatrice du food truck Black Spoon Fati Niang, la maître de conférences Maboula Soumahoro et la fondatrice du salon Boucles d’Ebène Aline Tacite.
Au fil des entrevues sur les représentations de la femme noire, la citoyenneté française, leur rapport à elles-mêmes et aux autres, ce documentaire apporte son lot de réponses édifiantes à une question que le cinéma français pose rarement : qu’est-ce qu’être une femme noire en France ?
L’enfance, la prise de conscience de la différence, le rapport au corps, la construction de l’estime de soi…Le film propose une plongée passionnante dans l’intimité de ces femmes qui racontent leur construction, en dépit des représentations stéréotypées, des préjugés et des discriminations.
Les réalisatrices ont fait le choix de s’entretenir avec des femmes dont la réussite professionnelle et les accomplissements personnels sont manifestes. Un choix qui prend toute sa pertinence dans le contraste qui s’établit dès le début du film entre leur sérénité actuelle et le récit de leur long cheminement vers l’acceptation de soi. Leur fierté et les rires captés par la caméra rompent avec la rudesse des questionnements identitaires et culturels qui ont jalonné leurs parcours.
Quand Alice Diop raconte qu’enfant, elle pensait qu’être adulte, c’est être blanc, Aline Tacite lui fait écho en contant sa honte passée d’avoir les cheveux trop frisés, la peau trop foncée, et son envie de gommer ce qui l’éloignait des canons de beauté qu’on lui imposait. Bintou Dembélé explique quant à elle qu’elle a préféré renoncer à tenter de définir son identité, afin de ne pas s’enfermer dans telle ou telle représentation.
Ce sont ces questionnements communs qui font que ces sept femmes forment avec beaucoup d’autres ce que les réalisatrices nomment une “communauté d’expérience”, l’expérience d’être une femme noire en France, avec la multitude de spécificités particulières que cela implique pour chacune.
Entre les entrevues filmées classiquement, le documentaire suit les déambulations curieuses et symboliques d’une jeune inconnue dans un Paris de carte postale, s’épanouissant au fil du film parmi les principaux symboles de la nation française, jusqu’à cette savoureuse scène d’appropriation de l’espace par la danse, au cœur de la capitale. Chaleureux et pudique en même temps, ce documentaire fait réfléchir sans porter de message explicite, et offre avant tout une reconnaissance méritée aux talents incontestables de ces Mariannes noires, entrepreneuses, intellectuelles et artistes françaises.
- Long-métrage fiction : Kafou
Seul long métrage tourné et financé à Haïti en compétition, Kafou est le premier film du jeune réalisateur Bruno Mourral.
Co-écrit avec le producteur Gilbert Mirambeau Jr et l’acteur Jasmuel Andri, Kafou suit les pérégrinations nocturnes de Doc et Zoe, deux types missionnés par un policier corrompu pour conduire une voiture et son mystérieux chargement d’un point à un autre de Port-au-Prince. Ils ont trois règles à respecter : ne pas ouvrir les vitres, ne pas ouvrir le coffre, et ne pas s’arrêter. Un chien immobile à une intersection suivi d’un effet domino délirant vont sérieusement compromettre leur mission. Complètement barré et truffé d’un irrésistible humour noir, ce film tourné en créole évoque la violente réalité du pays, à la fois toile de fond et protagoniste principale de cette épopée sanguinaire. Corruption, prise d’otage, lynchage, entre rires nerveux et moments d’extrême tension, le film accumule les rebondissements spectaculaires et maîtrise parfaitement son rythme frénétique, jusqu’à une mémorable course-poursuite meurtrière dans un bidonville de Port-au-Prince.
Avec son ton si singulier, Kafou oscille entre le film de genre et la comédie noire avec un culot réjouissant, rendant un hommage tendre et facétieux à la culture haïtienne, sans jamais se priver d’être critique vis-à-vis de la réalité sociale de l’île.
Venus présenter leur film à l’issue de la projection, Bruno Mourral et son producteur Gilbert Mirambo ont raconté la galère que représente la réalisation d’une telle œuvre dans un pays où l’industrie cinématographique est quasiment inexistante. L’équipe n’a pas manqué de défis logistiques, sécuritaires et financiers à relever, entre le blocus à la frontière dominicaine qui a compliqué l’acheminement du matériel, l’absence totale de subventions et la violence de la rue qui s’est parfois invitée au cœur du plateau. A les entendre, la réalisation de ce film relève presque du miracle. Et la réussite est totale.
C’est le grand réalisateur haïtien Raoul Peck qui a suggéré à l’équipe de Kafou de réaliser ce film de 50 minutes pour montrer de quoi ils étaient capables, avant de s’attaquer à un long métrage inspiré du même univers qui s’intitulera Kidnapping SA et qui est en cours de préparation. Mais bien plus qu’une carte de visite pour les futurs producteurs, Kafou insuffle un vent de jeunesse sur le cinéma haïtien et marque la naissance d’un trio très prometteur de réalisateur / producteur / scénaristes qu’on ne manquera pas de suivre.
Timothée Beurdeley