Frédéric Farrucci (Le Mohican) : “La Corse est un formidable territoire de western”

par | 15 Fév 2025 | Interview, z- 1er carré gauche

Après l’exploration de la Mafia chinoise dans le Paris nocturne de son premier long métrage La Nuit venue, Frédéric Farrucci rentre chez lui en Corse. Avec Le Mohican, il raconte le destin d’un homme qui refuse de céder devant les pressions et de sa nièce qui va construire sa légende en mobilisant la population. Le cinéaste évoque avec nous les influences du western, ses inspirations et ses choix.

Le Mohican a été inspiré par une rencontre, pouvez-vous nous en dire plus ?

Frédéric Farrucci : L’histoire vient effectivement d’une rencontre avec un berger du littoral sud de la Corse. J’avais fait un documentaire sur lui en 2017. À l’origine, c’était un documentaire qui devait se faire autour de son activité, de son travail de berger. Et peu à peu, la discussion a tourné autour d’une obsession qu’il avait. Il se disait le dernier des Mohicans et jugait qu’il était désormais une anomalie sur son territoire parce que tout autour de lui, ça construisait. Il pensait qu’il pourrait travailler jusqu’à la retraite mais il ne se voyait pas transmettre l’exploitation à ses fils. Il disait que ça serait un cadeau empoisonné à leur faire, que tôt ou tard, ils recevraient la visite de gens qui lui expliqueraient qu’ils ne peuvent plus élever les chèvres sur ce lieu-là. Des gens avec des degrés d’intimidation qui peuvent être problématiques… Donc ça part de cette rencontre-là et d’une situation, d’un véritable conflit de territoire qui se noue en ce moment sur le littoral corse, d’une vraie poussée du tourisme et de beaucoup de spéculations autour de ces territoires dont la valeur a explosé. Même les endroits qui ont été sanctuarisés par des normes, des lois littorales, sont en danger parce qu’il y a plein d’exceptions qui se mettent en place et on voit arriver des constructions à des endroits où on ne les attendait vraiment pas.

Le désir de cinéma pour cette île était en vous depuis longtemps ?

Je ne sais pas si je me pose la question dans ce sens-là. Le désir de tourner en Corse, il naît du fait que c’est mon territoire, en fait, c’est le territoire qui me travaille, qui me nourrit, dont les évolutions me troublent et me questionnent le plus. Du coup, c’est un territoire que j’ai forcément envie d’interroger sur un plan cinématographique. J’ai l’impression qu’en plus, le cinéma me donne la possibilité, en filmant un lieu, en filmant les individus qui habitent ce lieu, d’aborder des questions très universelles. Je me dis que j’ai peut-être plus envie d’aller travailler sur ce territoire que sur un autre parce que c’est ce territoire qui me travaille. En plus, c’est l’endroit où je me sens aussi plus légitime à aborder des questions politiques. Donc, j’ai eu le sentiment de travailler plus vite et de manière plus intuitive. C’est une terre de cinéma et mon désir se porte là et je pense que la Corse est un formidable territoire de western.

Comment se créent ces liens avec le western pour vous ?

Quand j’ai fait ce documentaire sur ce berger, je le voyais juché sur son quad en train d’emmener ses chèvres en pâturage et j’avais l’impression d’être complètement plongé dans un western. Le western se nourrit de deux fondamentaux dont, en premier lieu, le conflit de territoire. Et là, on en a vraiment un, avec un individu organiquement lié à un endroit qui va y être mis en danger, voire chassé pour des intérêts économiques. L’autre aspect, c’est l’aspect légendaire. Mon film culte, c’est L’Homme qui tua Liberty Valence. En Corse, il y a encore cette mythologie populaire qui érige au rang de légendes des individus issus du banditisme ou plus récemment de la lutte indépendantisme. J’avais envie de travailler aussi sur ces deux pôles.

Il y a aussi ici l’idée de la traque et de la connaissance du territoire qui devient une force… Le scénario a été écrit sur une cartographie précise ?

Je connais ces territoires par cœur et le film s’est écrit en pensant à des endroits précis. J’avais bien une cartographie en tête : tel ou tel village pour le milieu du film, le lieu dans lequel j’ai tourné mon documentaire, qui m’a vraiment inspiré et pour toute la fin du film, j’avais aussi ce désir d’être dans le nord de la Corse, dans des endroits qui ont toujours évoqué pour moi le western.

Est-ce que la Corse sort un peu des clichés avec des films et des points de vue plus nombreux ces derniers temps ?

La Corse a souffert pendant des siècles de clichés apportés à la fois par la fiction ou par les actualités, venus exclusivement de l’extérieur. Dès lors qu’on arrive avec un regard intérieur, avec le désir d’évoquer son propre territoire, d’évoquer les mots de sa société, de mettre en scène des imaginaires qui sont intérieurs, le tournage est forcément bien accueilli. C’est un mouvement général effectivement, de besoin de réappropriation de nos fictions, de nos histoires, et le désir d’évoquer la Corse contemporaine pas comme elle est fantasmée, mais sur la base d’un réel. Nous, on est particulièrement légitimes pour l’évoquer parce qu’on n’est pas seulement des observateurs de ce réel, on le vit, on le subit. Si ça peut faire bouger, effectivement, la vision que l’extérieur a de la Corse, c’est super. C’est aussi le fait de travailler avec la langue, de travailler avec des comédiens locaux…

Et si le film s’inspire du western, il inclut aussi toute la modernité des moyens de communication actuelle et notamment les réseaux sociaux…

Effectivement, je pars sur une stylisation qui est le western. Je me pose tout de suite la question de cette légende, comment est-elle portée ? Et je vois la façon dont elle est portée dans le réel en Corse aujourd’hui, et les réseaux sociaux alimentent beaucoup ça. Donc, j’avais très envie de jouer avec les outils de mon époque pour essayer de voir ce que ça pouvait donner.

Et il y aussi l’influence du film de traque, du « survival »…

Oui et, à ce titre, il y a un film que je porte aux nues qui est Essential Killing de Jerzy Skolimowski qui est pour moi un dieu vivant !

Comment avez-vous choisi vos acteurs principaux au cœur d’un casting très divers ?

On est partis avec Julie Allione, la directrice de casting, sur un casting mixte, sauvage et professionnel. Quand Alexis Manenti est entré dans la pièce pour faire des essais, je trouvais qu’il y avait une justesse, une authenticité par rapport à ce berger, alors qu’Alexis est plutôt citadin. En fait, j’avais l’impression d’avoir mon berger face à moi. Il était dans une gestuelle assez lente, très économe dans sa façon de ponctuer les phrases. Et du coup, j’ai eu vraiment un coup de foudre pour sa proposition. Pour le personnage féminin c’était plus simple puisqu’elle vient de l’extérieur, d’horizons différents. C’est simplement une rencontre avec une comédienne que j’ai trouvée très subtile et avec beaucoup d’énergie. Le personnage de Vannina est une battante et j’avais besoin d’avoir quelqu’un dont je crois au militantisme. On a parlé de politique avec Mara (Taquin, NDLR) et j’ai senti ça chez elle. Ça a nourri énormément le personnage.

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