Actrice majeure du cinéma français et présidente du jury du festival international du film de Saint-Jean-De-Luz, Géraldine Pailhas a vibré toute la semaine devant les films de la compétition. A quelques heures de l’annonce du palmarès, elle évoque pour FrenchMania sa passion absolue pour le cinéma et sa cinéphilie éclectique, sa relation aux cinéastes, les rencontres marquantes de sa carrière, avec Pialat, Klifa ou Ozon notamment, sa vision de son métier d’actrice…
Quelle a été pour vous la première image de cinéma ?
Géraldine Pailhas : Pour être très honnête, celle qui me revient là, tout de suite, c’est John Wayne dans un film de John Ford, Fort Apache. Qu’est-ce que j’aime ce film ! Je voyais beaucoup de westerns quand j’étais petite avec mon grand-père paternel. Le cinéma n’était pas très présent mais les westerns, en français bien sûr, il y en avait beaucoup à la télévision pendant les vacances ou dans le cadre de « La Dernière séance » qu’animait Eddy Mitchell. J’en ai revu pas mal récemment parce que ça me manquait et j’avais oublié à quel point c’est la Bible du cinéma. Et Fort Apache est particulièrement extraordinaire, j’avais oublié cette scène de danse à laquelle Pialat rend hommage dans Van Gogh ! C’est une scène de bal pendant laquelle ils se prennent bras dessus, bras dessous et avancent en regardant tout droit. C’est très solennel. J’ai aussi vu récemment La Porte du Paradis de Michael Cimino que je n’avais jamais vu et il y aussi un hommage appuyé à cette séquence !
C’est amusant que vous évoquiez cette scène en particulier car vos débuts artistiques, c’était la danse…
Géraldine Pailhas : C’est vrai ! Mais là j’évoquais ce détail parce que je suis très sensible aux citations. Qu’un cinéaste en évoque un autre, lui rende hommage, c’est quelque chose qui m’émeut beaucoup. C’est mon côté un peu geek. J’adore parler de cinéma. Le cinéma a toujours été présent dans ma vie, j’ai toujours adoré la fiction aussi bien au cinéma qu’en littérature. Je pense que j’ai une capacité d’empathie particulièrement développée qui fait que je suis actrice car je n’ai pas vraiment appris ce métier. Je sais comment devenir l’autre, me projeter en lui ou m’approprier tout ce que j’ai pu déceler comme qualités ou défauts qui me permettrait de m’approcher de ce personnage. J’étais danseuse et Stéphane Clavier m’a proposé de danser dans le clip des Gipsy Kings mais il avait simplement vu une photo de moi sans savoir que je dansais. En plus je danse n’importe comment dans ce clip, je danse beaucoup mieux le flamenco aujourd’hui ! Je l’ai remercié quand j’ai reçu César et je le remercie tout le temps parce qu’il a été premier à me dire qu’il y avait quelque chose chez moi qui méritait d’être regardé, filmé. Le cinéma était jusqu’alors pour moi un plaisir solitaire, je me créais ma petite collection de cassettes avec de nombreux films d’horreur que j’adorais sans avoir l’âge de les regarder. Quand j’ai eu l’âge, je me suis précipitée sur Cronenberg, De Palma et Lynch qui sont devenus mes dieux. Donc mes compagnons de voyage étaient les cinéastes. Beaucoup d’acteurs parlent des histoires, des scénarios qui sont évidemment très importants mais ma porte d’entrée à moi ce sont les cinéastes, leurs regards sur une histoires, certes, ou sur des acteurs mais surtout la mise en image, et ce cadre qui est une sorte de couloir que j’ai envie d’emprunter, que je laisse m’aspirer et qui m’émeut follement. Souvent quand on parle de mise en scène on parle d’intellect et pas d’émotion comme si c’était indigne de la mêler à la mise en scène, alors qu’en réalité sans émotion il n’y a rien. Ces cinéastes que je chéris, ces plans que je chéris sont telluriques, c’est quelque chose qui me secoue physiquement. Quand je me suis autorisée à me dire que cela pouvait cohabiter vraiment, beaucoup de choses se sont libérées chez moi.
Vous disiez ne pas avoir appris à jouer…
Géraldine Pailhas : Non, vraiment pas, et ça se sent ! En tout cas ça s’est senti pendant un moment ! (Rires)
… Quelles sont les bases de votre technique de jeu ?
Géraldine Pailhas : Ce qui est terrifiant, c’est que je m’abandonne totalement pour me mettre à disposition du cinéaste et pour que tout soit possible à un moment T et, en même temps, je suis archi-consciente de ce que je fais, rien ne m’échappe. L’idée pour moi, c’est de prétendre toute ma vie à l’amateurisme mais d’avoir compris tout ce dont j’ai besoin pour m’appuyer pour que la technique soit au cordeau, notamment pour faire des comédies. Je sais déjà faire un truc qui n’est pas mal et que peu d’acteurs savent faire c’est de me déplacer. Je ne savais pas jouer mais je savais bouger ce qui n’est déjà pas mal ! Il y a des acteurs qui toute leur vie ne sauront jamais bouger. Je suis très sensible aux actrices et aux acteurs qui savent utiliser leurs corps et dont le corps déborde avant même qu’ils aient ouvert la bouche. Pour moi, tout part du corps. Un acteur ne doit pas penser quand il joue. Cela ne doit pas passer par ce prisme, on réfléchit avant mais pas pendant. Je suis à la botte des cinéastes si je puis dire, sans être bien sûr d’une docilité effrayante mais je deviens leur bras droit, leur cœur, leurs viscères. C’est ce que je fais, c’est ce type de relation que j’ai avec eux, je suis engagée à leur côté. J’ai des relations très profondes, riches et intelligentes avec les cinéastes avec lesquels je travaille.
La première fois que vous portez un film, c’est La Neige et le feu de Claude Pinoteau, vous êtes très jeune, comment vivez-vous cette expérience ?
Géraldine Pailhas : Je crois que j’étais d’abord très heureuse que les choses se passent comme ça. Je m’étais donné un an à Paris avant de repartir à Marseille et de reprendre la danse ! Et Claude Pinoteau était le metteur en scène qui avait filmé pour la première fois Isabelle Adjani et Sophie Marceau. On n’a d’ailleurs pas manqué de m’y associer à la sortie ce qui était flatteur. Mais ce n’était pas moi, je n’ai ni la magie d’isabelle Adjani qui pour moi était une déesse, et Sophie Marceau était celle que tout la monde avait adoptée. Mais moi je ne me voyais que comme une collaboratrice mais je ne me voyais pas être une star. Une vedette, oui, c’est pratique, on peut monter des films autour de vous et j’avoue que cela me manque un peu. Parfois je me dis que j’aurais dû plus insister sur les premiers rôles mais je préfère faire un second rôle qui m’inspire avec un cinéaste que j’aime. Mais je travaille, je ne fais pas partie des dix actrices les plus gâtées mais je ne me plains pas et je suis juste derrière donc je me dis que je ne suis pas trop mal. Faire des films pour être en haut de l’affiche n’a jamais été mon but.
Les deux films qui font de vous une actrice populaire et reconnue se succèdent et sont extrêmement différents : il y d’abord Le Garçu de Maurice Pialat puis Les Randonneurs de Philippe Harel. Comment les choses se sont-elles enchaînées ?
Géraldine Pailhas : Le cinéaste avec qui j’ai eu envie de tourner après ce César qui me faisait comprendre que j’étais la bienvenue, c’était Maurice Pialat et ce, depuis longtemps en fait, même avant de savoir que j’allais être actrice. J’ai refusé beaucoup de choses à ce moment-là. Ma première rencontre avec Pialat, c’était au Fouquet’s une semaine avant les César. France 2 avait choisi quelques-uns des nommés au César de l’espoir et je m’étais retrouvé avec deux comédiennes de Van Gogh. Donc j’étais avec mon idole et ses deux actrices, Alexandra London et Elsa Zylberstein, et la journaliste me dit que j’ai de fortes chances de remporter le César. Maurice a grommelé “Ah ben voilà, c’est fait, c’est gagné, elle l’a eu ». Et en plus je l’ai eu, je me suis dit que ce type que j’adorais me détestais déjà et à jamais…
Plus tard, Sylvie Pialat m’a vue dans l’émission « Nulle part ailleurs » et a trouvé que je lui ressemblais, elle a dit à Maurice « Tu devrais la prendre ». Donc une fois de plus ce n’était pas vraiment pour mes qualités d’actrice ! Le premier rendez-vous a été épouvantable, une véritable torture, je ne suis même pas sûre qu’il ait posé les yeux sur moi. Je ne sais pas ce qui s’est passé mais quelque chose à dû quand même lui plaire chez moi. J’ai détesté le rôle qu’il me proposait mais j’ai dit oui quand même et, au dernier moment, une semaine avant le tournage, il m’a proposé l’autre rôle. Je me souviendrais longtemps de ce bouquet de fleurs qu’il m’a envoyé pour me remercier, il avait simplement écrit « Gratitude » qui est devenu mon mot préféré.
Après Le Garçu, on a continué à beaucoup se voir avec Maurice et Sylvie Pialat et je n’ai pas tourné pendant presque un an et demi parce qu’il fallait que je me remette de ce tsunami. Le Garçu m’a donné le sentiment d’avoir été élevée, d’avoir vieilli aussi, de 10 ans en 4 mois facile. C’est comme si j’avais été dans une machine à laver, mais emplie de lumière. Et ce que j’ai compris c’est que cela arrangeait Maurice parce qu’il avait bien envie d’être le dernier ! Un jour, je lui ai dit « Ca y est, je sais quel film je veux faire, ça va être Les Randonneurs de Philippe Harel ! », je changeais complètement de registre et cela me donnait l’occasion de ne pas avoir à comparer avec ce que je venais de vivre et Maurice m’a répondu « Et donc tu sais ce qui va se passer ? On ne se verra plus ! ». J’y étais prête, je savais qu’il l’avait déjà fait avec d’autres. Mais, finalement, on se croisait et je n’ai pas lâché le morceau, je lui envoyait des cartes postales, je lui souhaitais son anniversaire chaque 31 août. Et de temps en temps on s’appelait. Il aimait se foutre de ma gueule quand il me voyait à la télé. J’avais joué dans un épisode de la série David Lansky pour TF1 quand j’avais 17 ans et c’était un personnage qui s’appelait Souad Belkacem et il m’avait appelé en répétant « Souad Belkacem » en éclatant de rire ! C’était génial !
Les deux réalisateurs avec lesquels vous avez une véritable collaboration au long cours sont très différents. Comment avez-vous rencontré Thierry Klifa et François Ozon ?
Géraldine Pailhas : Avec Thierry on s’est rencontré parce qu’il m’a interviewée, c’était je crois le premier journaliste à me rencontrer pour La Neige et le feu. En tout cas, c’est ce qu’on se dit entre nous ! Il est devenu entre temps l’un de mes meilleurs amis, il est le parrain de ma fille… Et j’ai eu la chance que lui et Christopher Thompson, l’homme avec qui je vis depuis très longtemps, m’écrivent trois films, trois rôles très différents et nourris de choses qu’ils connaissaient de moi (Une vie à t’attendre, Le Héros de la famille, Les Yeux de sa mère, ndla). Notamment Les Yeux de sa mère pour lequel ils m’ont écrit le rôle d’une danseuse-étoile, ce que je n’aurais jamais pu être dans la vie puisque même si j’étais une bonne danseuse, une bonne technicienne avec du caractère, je n’aurais jamais eu le niveau nécessaire. Je n’avais pas dansé depuis 20 ans ! Je n’avais pas eu le temps d’en faire le deuil quand j’ai commencé le cinéma. Ils m’ont permis d’en faire le deuil et de dire au revoir à cette période de ma vie en m’offrant quelque chose de totalement illusoire avec cette nomination de danseuse-étoile sur la scène de l’Opéra de Paris. C’était un moment très fort et il y avait dans ce film quelque chose de très almodovarien, des femmes qui se battent avec force, amour et chagrin, c’est un mélo et c’était vraiment génial. Là, je trouve qu’il tarde un peu à me proposer quelque chose, même si on avait un projet qui ne s’est pas fait. Ozon, je suis tombée amoureuse de lui ! J’avais vu Sous le sable que je trouvais sublime et je l’ai vu monter les marches à Cannes pour Swimming Pool, un film torride, vénéneux, il était en smoking blanc et je me suis sentie immédiatement connectée à lui et je ne rêve que d’une chose, le rencontrer. Quelques fois, on a de la chance, j’ai passé un casting pour lui lorsqu’il recherchait son couple pour 5X2. Il formait des couples de façon artificielle, moi j’étais avec Yvan Attal mais ce sont Valeria Bruni-Tedeschi et Stéphane Freiss qui ont fait le film. Au milieu du tournage, Ozon m’a appelé pour me proposer le rôle de la femme du personnage de Stéphane Freiss qui apparaît dans le dernier chapitre qui est en fait le début de l’histoire. Je me suis tellement amusée, je me suis senti libre comme jamais sur son plateau. On s’est beaucoup marré ! On a tourné des scènes de cul – je ne sais même plus si elles sont dans le film ou pas – avec Stéphane et Valeria à poil dans un lit avec des positions inouïes… J’aurais pu être mortifiée mais je me suis rendu compte qu’avec lui, les choses étaient pour moi d’un coup plus simples. C’est direct mais c’est joyeux. Nous avons donc entamé cette relation qui s’est poursuivie et il sait que, quoi qu’il fasse, quoi qu’il me demande, je viendrais ! Même sans savoir de quoi il s’agit. Et je crois qu’il m’en est très reconnaissant, qui n’oublie pas ce qu’on fait pour lui, il est très fidèle. Je n’ai jamais eu le rôle principal, il faudrait d’ailleurs qu’il y pense. Pour Tout s’est bien passé, je pense que cela le faisait beaucoup rire de nous imaginer, Sophie Marceau et moi en sœurs, sachant qu’on a tourné toutes les deux avec Pinoteau et Pialat. On ne se connaissait pas avec Sophie et ça a été une super rencontre, elle est très simple, c’est un bon petit soldat et j’aime beaucoup ça. Et puis c’est grâce à elle que j’ai fait Jeune et jolie puisqu’elle avait refusé le rôle mais cela n’a aucune importance pour moi. François travaille vite et ça aussi j’aime ça. Il a une énergie simple et positive. Avec les années je suis de plus en plus impatiente donc cela correspond à mon rythme ! Avec Thierry Klifa comme avec François Ozon, je suis sereine, je sais qu’on retravaillera ensemble.
Vous pouvez nous dire quelques mots de la mini-série en 6 épisodes sur les jeunes années de Bardot co-réalisée par Danièle et Christopher Thompson que France 2 diffusera au printemps prochain ?
Géradine Pailhas : J’y suis aux côtés d’Yvan Attal, Hippolyte Girardot, Anne Le Ny, Louis-Do de Lencquesaing et de très jeunes gens et je crois qu’ils ont tous adoré tourner avec Christopher. Moi j’ai fait trois films avec lui et je crois vraiment que c’est un homme qui était fait pour ça, pour être sur un plateau et réaliser des films. Quand on vit avec quelqu’un et qu’on assiste à ça, ce sont des moments importants de la vie, peut-être même les plus importants. La série raconte l’histoire de Bardot entre ses 15 ans et ses 23 ans, ses jeunes années avec Vadim, Trintignant, Distel, Bécaud et Charrier bien sûr. La vie de cette jeune femme d’extraction bourgeoise, sa découverte du sexe et du plaisir, et la rencontre avec les carcans dans lesquels on veut la mettre. Je joue la mère de Brigitte Bardot et je suis horrible ! La jeune femme qui interprète Bardot est torride et bouleversante, un vrai miracle. Je crois que ça va être très très bien.
Des projets ?
Géraldine Pailhas : Rien d’acté. Quand je ne tourne pas, je vois au moins un ou deux films par jour dans mon sous-sol aménagé avec un grand écran. Pour me sortir de là, il faut vraiment avoir de très bons arguments donc je fais vraiment ce qui me passionne, ce qui me rend heureuse. Je suis suffisamment sereine pour ne pas tourner quand je n’ai pas très envie. Et ce n’est pas hyper facile de trouver de très beaux rôles à 50 ans. J’ai plein de propositions de gens très jeunes qui font leurs premiers films et qui me voient tous dans le rôle de leur mère ! Je lutte encore un peu parce que je ne veux pas de fonction, qu’on m’attribue une fonction moi qui ait passé ma vie à dire à mes propres enfants que je n’étais pas que leur mère !
Est-ce qu’il y a des réalisatrices ou des réalisateurs de la nouvelle génération qui vous donnent envie, avec qui vous aimeriez tourner ?
Géraldine Pailhas : Enormément et j’ai peur d’en oublier ! Les premiers auxquels je pense sont Julie Ducournau et Jean-Bernard Marlin qui a réalisé Shéhérazade. J’aime aussi beaucoup le travail de Thierry de Peretti, de Rebecca Zlotowski, d’Hafsia Herzi, de Clément Cogitore. Leurs films m’ont bouleversée. J’ai fait des essais avec Bertrand Mandico avec qui j’aurais adoré tourner mais je n’ai pas été prise ! Les Garçons sauvages m’avait ébloui. Et, même si la probabilité est très mince, je rêverais de tourner avec Joachim Trier…