Cela fait maintenant 10 ans que le comédien fait partie de la famille Guédiguian. Après L’Armée du crime, Les Neiges du Kilimandjaro et Une Histoire de fou, il est Bruno, le “premier de cordée” de Gloria Mundi, sorti mercredi en salles. FrenchMania a rencontré l’acteur et réalisateur lors du Arras Film Festival pour évoquer ce rôle de “méchant”, la façon dont il l’a construit et le fond politique du cinéma de Robert Guédiguian.
FrenchMania : Est-ce que c’est quelque chose de particulier de faire partie de cette famille de cinéma qu’est celle de Robert Guédiguian ?
Grégoire Leprince-Ringuet : Évidemment ! C’est quelque chose de particulier parce que lui est un cinéaste particulier dans le paysage du cinéma français. Déjà par la fidélité qu’il a envers ses acteurs, et par rapport à ses thèmes même s’il a fait des films très différents : des fantaisies, des comédies, des films très sombres historiques. Il a la vraie carrière d’un cinéaste qui a exploré divers genres et il a quelque chose que personne ne peut lui ôter, c’est cette vision politique, cette manière de parler d’une réalité sociale, des plus démunis, de ceux qu’il faut aider. Plus personnellement, c’est une chance car Guédiguian est le seul à m’avoir donné de vrais rôles à contre-emploi ou vraiment différent, des rôles de l’ordre de la composition qui consiste à élaborer un personnage. Là, je joue un méchant, un type qui ment à tout le monde et qui est un vrai salaud ! J’en ai joué d’autres mais là, cela exigeait quelque chose de moi, d’aller au-delà de l’image que je dégage habituellement !
Et quel directeur d’acteurs est-il sur un plateau ?
Grégoire Leprince-Ringuet : C’est un directeur d’acteurs très malin parce qu’il n’en dit pas beaucoup et c’est à vous de faire le travail, de faire le chemin. Guédiguian c’est un directeur d’acteurs qui compte sur es comédiens et les responsabilise. Du coup, c’est à nous de fournir le travail, d’imaginer le personnage, il ne va pas nous donner la béquée ! Comme ça on arrive sur le plateau avec des idées à confronter à sa mise en scène et cela devient très riche.
Comment avez-vous réagi en découvrant sur le scénario ce personnage de Bruno qu’il vous proposait ?
Grégoire Leprince-Ringuet : J’ai trouvé ça génial ! C’est vraiment plus amusant de jouer les méchants, c’est toujours plus jouissif. Il y a un vrai plaisir à mentir qui est intrinsèque au fait d’être comédien, on falsifie la vérité, on joue d’artifices, et ce plaisir est décuplé quand on joue un méchant Il faut séduire et justifier la méchanceté de son personnage, le déculpabiliser de ses actes. Les méchants qu’on aime bien au cinéma, que ce soit dans Pirates des Caraïbes ou ailleurs, ils ont toujours un côté séduisant ou drôle, ils parlent beaucoup, promettent et trahissent. C’est amusant à construire. Pour un acteur c’est ce qui a de plus jouissif !
Votre personnage se définit en tant que “premier de cordée”, comment est-ce qu’on s’inscrit dans un film politique en tant que comédien ?
Grégoire Leprince-Ringuet : C’est un film politique qui avant tout encourage la solidarité et pas à l’égoïsme. Mon personnage représente exactement le contraire : un type égoïste, qui ne pense qu’à lui, ne donne pas d’aide même quand on lui en demande, qui promet des choses et ne tient pas ses promesses. Moi je suis bien sûr en accord avec le propos du film et mon rôle c’est d’incarner au mieux ce personnage pour que l’effet maximum sur le spectateur soit celui attendu. Après je ne suis pas économiste, je suis comédien. Guédiguian vous répondrait mieux que moi mais le propos c’est que l’injonction d’être égoïste ne marche pas, ne marchera jamais. La fameuse théorie du ruissellement qui dit que si chacun va à son propre profit, tout le monde s’enrichit, finalement, c’est faux et il faut regarder à côté de soi, s’entraider, être attentif aux autres. On est toujours mieux ensemble, et pas seulement mieux économiquement, mais aussi mieux en tant que personne quand on est inséré dans la société, qu’on parle à des amis, à sa famille. On est une meilleure personne quand on s’intéresse plus aux autres qu’a soi, c’est ça le vrai enjeu politique du film.
Vous êtes devenu réalisateur avec La Forêt de Quiconces en 2016, un film singulier, très surprenant et poétique. Qu’est-ce qui a “ruisselé” en vous de quelqu’un comme Robert Guédiguian en tant que réalisateur ?
Grégoire Leprince-Ringuet : Je lui avais fait lire le scénario et c’est un des premiers qui m’a fait confiance et qui m’a dit “Ouais là tu tiens un truc-là, c’est intéressant !“. Mon premier film était très littéraire et j’ai un rêve, c’est que le public puisse ressentir au cinéma l’émotion que m’a fait la littérature, que le cinéma soit un outil pour que les gens puissent avoir le vrai plaisir des textes, des beaux textes. C’est une quête que je continue à mener et Guédiguian, dans son côté engagé et qui ne va pas dans le sens du courant, il a été forcément une influence, par son courage. J’écris en ce moment un deuxième film qui est moins directement littéraire que le premier qui était écrit en vers. Il parlera de la poésie mais plus comme un besoin lié à la spiritualité. Cela parait très intello comme ça mais en fait pas du tout, c’est quelque chose de très simple !