Président du jury du Festival du film des Arcs qui s’est achevé ce week-end, le réalisateur Guillaume Nicloux revient, pour FrenchMania, sur ses premiers émois cinéphiles et les grandes lignes de sa carrière. Il évoque ses débuts dans le film noir, son attrait pour l’écriture automatique et pour les comédiens venus d’horizons différents. Un éclectisme presque naturel. Rencontre avec un cinéaste contrebandier.
Propos recueillis par Frédéric Mercier au Festival des Arcs pour FrenchMania
Quelle est la première image de cinéma qui vous revient ?
Guillaume Nicloux : C’est d’abord la mort de la mère dans Bambi. Rétrospectivement, je me rends compte que mon cinéma est hanté depuis toujours par la question du deuil et de l’abandon de l’être aimé.
Quel amateur de cinéma étiez-vous adolescent ?
Guillaume Nicloux : Je mangeais de tout. Ça allait du film de genre à Paul Vecchiali, du porno de Luca Damiano au Manuscrit trouvé à Saragosse de Wojciech Has. J’adore ce film. Il me fait penser à Jean Epstein, c’est-à-dire à un cinéma magique, alchimique, un cinéma hypnotique qui s’adresse aux fantômes de votre inconscient.
Est-ce que vous aimez Werner Herzog ? Il y a quelque-chose de commun dans vos approches respectives du cinéma : l’un comme l’autre, vous envisagez chaque film, chaque tournage, comme un défi.
Guillaume Nicloux : Oui, il me touche depuis toujours, quel que soit son sujet. A chaque fois, il se met en danger. Il faut qu’un tournage soit pour lui une épreuve d’initiation, quelque-chose qui doit s’éprouver dans son corps. Comme lui, j’aime me faire violence. Je fais en sorte d’être toujours sur un fil, au bord du précipice. C’est la condition que je m’impose pour espérer être le plus juste avec la façon dont j’ai envie de raconter une histoire.
Ce devoir de se mettre en danger, vous l’avez toujours appliqué à votre travail. Vos premiers films au début des années 90 étaient rédigés en écriture automatique. Pratiquez-vous encore cette méthode ?
Guillaume Nicloux : Oui, je continue. Évidemment pas sur tous mes films. Le Concile de Pierre ou La Religieuse sont par exemple des adaptations. Je dois donc m’y prendre un peu autrement, en faisant appel à des co-auteurs. Mais certains films de la dernière période, comme L’enlèvement de Michel Houellebecq, Valley of Love et Thalasso ont été conçus en écriture automatique.
Comment vous y prenez vous ?
Guillaume Nicloux : Je me mets à l’ordinateur. J’écris un mot, puis une phrase. Je continue comme ça et on voit où ça mène. Il faut que je devienne le premier lecteur-spectateur de ce que j’écris. Mais la rampe de lancement de tous mes projets est toujours activée par un lieu, un décor. J’ai écrit Thalasso en pensant au centre de thalasso de Cabourg ou Valley of love avec l’image de la vallée de la mort. C’est la même chose avec la maison utilisée dans L’enlèvement de Michel Houellebecq que j’avais déjà utilisée dans La Clef avec Guillaume Canet. Au fond, même quand j’ai écrit tous mes films noirs au début des années 2000 (Le Poulpe (1998) puis la trilogie noire composée de Une Affaire privée (2002), Cette Femme-là (2003) et La Clef (2007), NDLR), l’écriture automatique ne m’a jamais quitté. C’est mon truc.
Mais le film noir est un genre très codifié, comment fait-on pour activer de la spontanéité dans un cadre aussi contraignant ?
Guillaume Nicloux : C’est dans la contrainte qu’on jouit le plus à fabriquer son espace de liberté. Le plus important, c’est de se maintenir dans la zone du désir. Or, nous sommes rentrés dans une société de la jouissance depuis les années 80 et la fin de la libération sexuelle. Quelque-chose a vraiment basculé à ce moment là. On s’en rend évidemment compte par la consommation du porno. Avant, il y avait une simili intrigue : le pompier venait frapper à la porte et puis… On avait un petit quelque-chose qui créait du désir. Aujourd’hui on est dans le « fucking » immédiat, dans la jouissance pure. Aujourd’hui on veut voir tout de suite pour jouir immédiatement. Cela a des résonances partout et notamment au cinéma. Moi, en écrivant des films noirs, je voulais bâtir du souterrain dans un cadre ultra codifié. Je voulais voir ce qui allait se glisser, déborder, creuser à l’intérieur d’un format aussi contraignant où j’employais des acteurs populaires. Ce que je voulais, c’était parvenir à glisser à l’intérieur de ce cadre des choses secrètes, cryptées, bref de réaliser un vrai cinéma de contrebande qui serait produit par TF1 !
Si vous utilisez encore les mêmes méthodes qu’à vos débuts, qu’est-ce qui a changé ou évolué depuis ?
Guillaume Nicloux : Au début, j’apprenais, je découvrais tout : l’écriture, le tournage, l’image, les acteurs. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je ne savais donc rien. Et j’étais très naïf. Pourtant, on m’a fait confiance. J’ai eu beaucoup de chance. On m’a permis d’apprendre aux côtés de Raoul Coutard, le chef op de la Nouvelle Vague. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Chaque nouveau film est l’occasion de désapprendre pour garder l’énergie et le désir d’un jeune homme. J’ai évidemment mes propres trucs en ce qui concerne l’écriture. Par exemple, je dois essayer de ne pas trop penser à mon œuvre ou m’interroger dessus. Cela pourrait orienter mon écriture et donc la rendre fausse. C’est vraiment ce que j’ai essayé de faire avec Les Confins du monde. J’ai voulu encore sortir de ma zone de confort en me déplaçant en Asie du sud est, en touchant à un sujet historique, en choisissant Gaspard Ulliel. Nous ne sommes pas maîtres de notre désir. Nous sommes à sa merci. Et c’est ce qui selon moi importe le plus pour demeurer le plus juste avec soi-même et accéder à une vérité. Mais évidemment, c’est dangereux de se laisser guider par lui. Voilà pourquoi la plupart des gens préfèrent bâtir leur existence sur la volonté plutôt que sur le désir. C’est beaucoup plus commode.
Des films comme L’enlèvement de Michel Houellebecq et Thalasso sont nés du désir de pouvoir travailler avec Depardieu et Houellebecq et de les laisser improviser ?
Guillaume Nicloux : Oui et surtout de montrer quelque-chose d’eux que personne n’avait réussi à montrer auparavant. Je voulais sortir de la posture documentaire qui se révèle handicapante quand on veut délivrer un message très humain, très vrai sur ce que sont réellement ces deux types. Si nous voulions parvenir à livrer une palette un peu plus vaste que ce les médias continuent d’entretenir comme visions de ces artistes, je devais passer par un biais fictionnel. Ce cadre leur permet d’endosser eux-mêmes leur propre personnage. Et dans ce cadre-là, ils se sentent en confiance pour se livrer comme jamais.
Anémone, Balasko, Deneuve, Huppert, Daroussin, Rochefort, Piccoli, Nahon et maintenant Houellebecq et Depardieu, vous avez le goût des natures, des gueules plutôt que des acteurs de composition ?
Guillaume Nicloux : J’ai démarré dès mon premier film avec Michel Delahaye, c’est-à-dire un type qui trimballait avec lui toute la mythologie des Cahiers du Cinéma. J’ai craint que ça m’enferme dans une case. Dès lors, j’ai voulu pouvoir travailler avec toutes les catégories d’acteurs et lier des figures populaires comme Thierry Lhermitte ou Marion Cotillard à des comédiens plus underground ou plus pointus. Je veux casser les hiérarchies entre eux. C’est cette confrontation des deux qui peut créer quelque-chose de dissonant et qui m’intéresse. Mais vous avez raison, j’aime les gueules et Depardieu en est l’incarnation même. C’est une sorte d’absolu. Et voyez comme j’ai essayé de l’essorer : on a fait quatre films en cinq ans ! On a même joué ensemble dans un court où je lui raconte mes rêves. Ce qui est au fond marrant quand on pense que dans The End, un téléfilm onirique encore produit par TF1, il interprète mon rôle dans un de mes propres rêves.
Goût de l’improvisation, absence de scénarios, recherches d’imprévus sur le tournage. Au fond, vous êtes très proche des méthodes des cinéastes de la Nouvelle Vague ?
Guillaume Nicloux : Je suis le pire spectateur de mes films car ce n’est pas forcément le cinéma que j’aime regarder. Même si je cherche à m’en défaire en tant que cinéaste, j’aime les réalisateurs de la maîtrise, le cinéma du contrôle. Certains films de Kubrick ou de Haneke me fascinent.
Vous avez réalisé des films d’auteurs, des œuvres populaires, des adaptations prestigieuses, des films semi improvisés, des téléfilms, des courts-métrages et maintenant une série avec Il était une seconde fois. Encore ce goût de l’inattendu et du risque ?
Guillaume Nicloux : J’ai souhaité faire une série qui serait sans cesse en train de muter. Arte a été gonflé de me faire confiance sur ce coup là car je fais tout pour déstabiliser et casser les habitudes. La temporalité est totalement déstructurée de manière à vous faire décrocher de tout repère temporel. J’ai même cassé les repères dans les durées de scènes. Certaines sont très longues, d’autres extrêmement courtes. Je voulais essayer de pervertir tout ça. Ça m’intéressait l’idée d’inconfort dans la série. Je ne voulais pas que cette série se consomme, qu’elle soit regardée allongé dans son lit ou sur un téléphone.
Puisque vous parlez d’inconfort, avez-vous vu que certains clients de Netflix ont proposé que l’on puisse découvrir le dernier film de Scorsese en plusieurs fois pour éviter une séance trop longue et peut-être ennuyeuse ? Qu’en pensez vous ?
Guillaume Nicloux : Je vais vous choquer sur ce sujet (rires) car tout ça me ravit. J’adore que l’on puisse enfin casser la vision très protectionniste et sanctuarisée de l’œuvre. J’aime la dépossession, la trahison. J’aime le fait qu’un objet mute. C’est ce que je me demande à moi en tant que cinéaste. Je dois donc l’accepter aussi pour les œuvres des autres. Le plus important, c’est de faire en sorte que quelque-chose demeure toujours vivace. Nous devons braver la mort. Et la mort, c’est la sacralisation de l’œuvre d’art.
Vous êtes en train d’écrire ?
Guillaume Nicloux : J’ai terminé l’écriture de mon prochain film, oui. Et on a terminé pour moi un autre film. Un film dont je ne suis pas le scénariste principal bien que j’y participe. J’ai encore essayé des choses que je n’avais pas tentées jusqu’à maintenant. Je dois toujours trouver des moyens de m’amuser.