Après, entre autres, Le Ciel au-dessus de ma tête et Funambules, le réalisateur Ilan Klipper plonge dans le quotidien d’un couple avec Le Processus de paix, une comédie brillante et tourbillonnante co-écrite avec son actrice principale Camille Chamoux qui forme un couple percutant avec Damien Bonnard. FrenchMania l’a rencontré.
Le Processus de paix est un film de bagarres folles et d’amour fou.
J’ai souhaité rendre hommage au combat que nous menons tous, chaque jour, pour essayer d’être meilleurs. Certes, Simon et Marie se bagarrent pour tenter de sauver leur couple mais ils se battent aussi pour essayer de trouver les réponses pour mieux vivre. Pour essayer d’être des gens biens. Pour prendre les bonnes décisions par rapport à l’entourage, aux enfants. Et s’affranchir de tout ce qu’on leur a foutu dans la tête enfant.
Le film est un tourbillon qui ne retombe jamais…
J’aime que ce soit efficace. Avec des dialogues très précis où les comédiens ne sont jamais en roue libre. Je veux que l’on soit dans une dynamique énergique, rythmée et précise. Je ne travaille jamais sur l’improvisation mais sur des choses préparées, millimétrées.
Vous avez collaboré avec Camille Chamoux au scénario. Comment avez-vous écrit les deux personnages principaux ?
Chaque personnage est inspiré de gens que nous connaissons ou de choses qui nous ont été racontées. J’ai besoin de cet ancrage. De cette véracité. Je ne suis pas un cinéaste de l’imaginaire. Je pars de choses avérées pour leur donner un peu plus de saveur, une dimension plus cinématographique.
La première force du film ce sont ses dialogues…
Ils sont au cœur de mon travail d’écriture. Certains vont se focaliser sur l’histoire, la dramaturgie. Je vais plutôt me focaliser sur la scène. Essayer de valoriser le jeu des comédiens. Quand nous étions en train de travailler avec Camille Chamoux, nous nous demandions quelle scène nous voulions écrire ? Comment faire honneur au travail des actrices et acteurs ? Quel dialogue sera surprenant ? Chercher cet inattendu qui mettra le spectateur en éveil. Mais si mes dialogues sont extrêmement précis, je travaille en revanche beaucoup avec les comédiens avant le tournage afin de leur donner encore plus de chair. J’aime que les acteurs puissent d’une certaine manière se reconnaître dans leur personnage. Cela leur permet de se sentir à la bonne place au moment de jouer.
Dans la comédie, tout est question de rythme…
C’est primordial. La comédie doit épouser l’idée du tourbillon de la vie. De ce que vivent mes héros. Ils sont malmenés, dans le stress et le speed. Cette impression d’être pressurisés que nous ressentons toutes et tous. La forme du film devait épouser cela. Du coup : peu de plans larges, pas de scènes d’installation. De manière à être directement au cœur de l’action. En comédie, on est toujours un peu limité en termes de mise en scène. Le drame ou le film noir permettent de longs plans séquences, de gens qui marchent de dos avec de la musique. En comédie on ne peut pas se le permettre. Il faut découper, être efficace, il faut filmer les visages, les expressions au moment où ils ont la parole… tout ce qui amène l’humour. Tout émerge de la qualité du travail des acteurs. Le rythme, la précision, leur incarnation…
Mais le chaos ça s’organise sur le plan formel…
Absolument. Il faut que les films soient à l’image de la vie. Surprenants. Complexes. Partant dans plein de directions. Je n’ai aucune envie que l’on connaisse par avance le programme. M’intéressent et m’amusent des personnages multiples et des scènes qui partent dans tous les sens pour finir dans un chaos généralisé. La comédie est par essence absurde car la vie l’est également à sa manière.
Dans cette perspective, comment travaillez-vous la direction d’acteur ?
Je viens du documentaire. Donc voir les comédiens jouer sur un plateau est un plaisir extraordinaire. Ils me fascinent. Je les regarde sans me lasser. Sous prétexte que l’on a dit action, ils se mettent à s’agiter dans tous les sens (rires). À aller dans plein de direction. C’est ce que j’essaie de capter. J’essaie de les mettre dans des situations où ils ne sont pas juste en train d’ajouter des éléments à une dramaturgie. Dire une phrase juste pour faire avancer la dramaturgie, je trouve cela triste. Nous tournions en plans séquence de manière à leur laisser le temps de se lancer dans quelque chose de drôle. Il faut leur laisser de la place. Les amener vers des situations burlesques, déjantées.
Comment avez-vous dirigé Camille Chamoux qui est votre coscénariste ?
Elle est comédienne, autrice. Elle a donc une vision globale indispensable à l’écriture. Sur le plateau, mon boulot était de la faire un peu descendre en termes de rythme. Pour le jeu je n’avais rien à lui dire car c’est une excellente comédienne. Mais dans certains films, je la trouvais un peu “up”, un peu énervée ou en colère. Et j’avais peur que Marie, qui est assez combative et véhémente puisse paraître antipathique. Donc ma principale indication, pour ne pas dire la seule, c’était de l’inviter à aller et à parler moins vite. Et cela a fait jaillir selon moi quelque chose chez elle d’encore plus émouvant. On est bien avec elle. Elle m’époustoufle, c’est une virtuose. De par son expérience du one woman show, elle connaît parfaitement les questions de rythme. Et pour un metteur en scène c’est précieux. C’est une alliée.
Et Damien Bonnard éblouissant dans un rôle inattendu chez lui ?
Ce qui m’intéressait chez lui c’est sa bonhomie naturelle. Il est rassurant. On a spontanément envie d’être avec lui. Avec quelque chose de rustique, d’empêché. Et pour moi, Simon c’est exactement cela. J’avais envie d’un personnage gentil, bien élevé mais ayant du mal à exprimer ses émotions. Il a été inhibé et a du mal à sortir de lui. Et son épouse ressemble à sa mère, une grande gueule prenant tout l’espace. Damien incarne cela à merveille. Avec beaucoup de sincérité. Il n’a jamais cherché à faire rire ce qui est, pour moi, est le secret de la comédie. Ne pas ajouter d’effets. Il était naturellement touché par ce qu’il jouait, laissant l’humour naître de la scène et de l’absurdité des situations. C’est un véritable partenaire avec lequel on peut dialoguer. Extrêmement travailleur et impliqué.