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Interview de Léa Mysius, réalisatrice de AVA

par | 17 Juin 2017 | CINEMA, Interview

 Le défi au scénario et au montage a été de créer des variations. D’arriver à basculer dans un récit de moins en moins naturaliste.

 A cinq ans, elle rêvait d’être écrivain, mais c’est au lycée que Léa Mysius s’est intéressée à l’écriture par l’image. Après des études de Lettres, elle passe le concours de la Fémis, section scénario, et intègre dans la foulée la prestigieuse école de cinéma. Un enseignement de quatre ans riche en expériences, rencontres et projets de films. Le 21 juin, Ava, son premier long métrage, sort en salles, une chronique d’été qui a pour thèmes l’adolescence, la découverte des sens et des responsabilités. Une première œuvre pleine de promesses, récompensée du Prix SACD 2017 à Cannes. Interview de Léa Mysius, talent brut.

Quel a été le point de départ de cette histoire ?

Le scénario – qui était l’objet de mon travail de fin d’études à la Fémis – est né de l’image d’un chien noir qui traverse une plage bondée. Le chien est une sorte de guide, il fait la jonction entre l’artificiel et le sauvage, entre le réel et le fantasme. Il accompagne Ava dans ce voyage vers la sensualité et la sexualité. Pendant l’écriture, j’ai eu des migraines ophtalmiques assez violentes qui m’ont forcée à écrire dans le noir. C’est comme ça que le désir de voir est arrivé au cœur du film. Ava est une jeune fille de 13 ans qui a une maladie de l’oeil qu’on appelle rétinite pigmentaire. Au début de l’histoire, elle est dégoûtée par le corps : ceux étendus sur la plage, vautrés et indécents, celui de sa mère, qui couche avec un homme, de sa petite sœur qu’elle considère comme un tube digestif vivant, et le sien évidemment. Perdre la vue progressivement l’oblige à développer ses autres sens, à accepter son corps et celui des autres.

C’est aussi le récit d’un éveil amoureux, de la découverte du désir, du choc des cultures…

Ava rencontre en effet un jeune homme, Juan (Ndlr, interprété par Juan Cano). Ce personnage est inspiré d’un garçon que j’ai connu au collège. Il était plus âgé, grande gueule, intelligent. Il se faisait rejeter violemment par élèves et professeurs parce qu’il était gitan. Ça m’a marquée. C’est de là que vient le personnage de Juan, Gitan andalou qui fascine Ava. Autour d’elle, personne ne voit l’obscurité progresser, personne ne se sent concerné à part Mathias, copain qu’elle se fait durant l’été, qui lui chuchote à l’oreille : « C’est bientôt la fin de notre civilisation ». J’ai grandi dans la région du Médoc – où le film a été tourné – et quand j’étais adolescente, les seuls étrangers étaient les gitans, hautement stigmatisés. Je me souviens de la violence des professeurs, de la police. Personne n’est véritablement accueillant.

Quels ont été les principaux défis pour ce premier long ?

Le défi au scénario et au montage a été de créer des variations. D’arriver à basculer dans un récit de moins en moins naturaliste. La musique nous a beaucoup aidés. On avait dès le début l’idée d’utiliser des sons un peu étranges, des cordes atonales, et de filer le contre-point avec de la musique pop. Ava qui a peur de n’avoir vu que de la laideur préfère le romanesque au naturalisme, le surréalisme au réalisme. Elle veut réenchanter le monde.

Comment s’est passé le tournage ? Convaincre vos producteurs de tourner en 35mm n’a pas été trop difficile ?

Je peux remercier mes producteurs de m’avoir suivie sur le 35mm ! On a tourné mon dernier court métrage en 16mm avec Paul Guilhaume (Ndlr, directeur de la photo du film). J’avais donc goûté à la pellicule – et j’étais mordue – mais je ne savais pas si c’était financièrement possible de tourner ce premier long en pellicule. Je ne voulais pas plomber le budget du film. Jean-Louis Livi (Ndlr, l’un des producteurs) n’était pas emballé par l’idée de tourner en 16mm, il ne voulait surtout pas que ça fasse “cheap”, mais il a encouragé le filmage en 35. Les producteurs ont tout fait pour rendre ça possible. On a tourné pendant huit semaines, et Jean-Louis me disait souvent : “c’est un premier film, l’important c’est d’avoir du temps”. On a eu de la chance avec la météo, après on a tout fait pour avoir de la chance parce qu’on a tourné aux bonnes périodes de l’année. Toutes les hypothèses avaient été étudiées avec la première assistante, au cas où. Le tournage s’est déroulé en août et septembre.

Léa Mysius et Noée Abita lors de la première de AVA présenté à La Semaine de la Critique à Cannes cette année – photo ©Manuel Moutier

 

Comment avez-vous découvert Noée Abita ?

Elle avait fait le mur avec une de ses meilleures copines pour aller voir une agent. Noée se disait qu’elle avait envie de jouer et elle voulait tenter sa chance, au culot. L’agent lui a parlé du casting du film. Elles sont arrivées toutes les deux, c’était le premier jour du casting, j’avais vu cinq jeunes filles, mais dès que j’ai vu Noée, c’était l’évidence. Noée était débutante et même si elle est naturellement intense, il y a eu du travail, sur la diction, le corps, la posture … Il y a eu une préparation de deux mois, et sur le tournage, elle était prête. Elle a un regard incroyable. Elle est courageuse, n’a peur de rien, elle monte sur un toit en un claquement de doigt !

C’est Laure Calamy qui interprète la mère d’Ava. Vous lui offrez un rôle complexe et fort.

J’ai pensé à elle avant de rencontrer Noée, pendant que j’écrivais le scénario. On l’avait vue avec Fanny (Ndlr, Fanny Yvonnet, l’une des productrices) dans un court métrage qui nous avait plu. Mais je tenais tout de même à rencontrer d’autres comédiennes, pour voir si ça matchait avec Noée. Quand Laure est arrivée, bon voilà, on savait que c’était pour elle. Elle est drôle, naturelle. Le personnage de la mère s’est adouci au montage. Il fallait doser.

Le prénom de l’héroïne était un titre évident ?

Je n’ai jamais eu d’autres titres en tête. J’adore ce prénom.

Propos recueillis par Ava Cahen

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