Jane Roger, à la tête de la société de distribution JHR Films qui porte haut un cinéma défricheur et singulier, en avait rêvé et l’a fait. C’est grâce à elle que le film Neige, vibrante immersion dans le Pigalle des années 80 en forme d’objet ovniesque et novateur, réalisé par le couple que formaient son père, Jean-Henri Roger, et la comédienne Juliet Berto, ressort sur les écrans en version restaurée.
Cela fait longtemps que vous saviez que vous alliez un jour ressortir Neige ?
Jane Roger : Oui, depuis le jour où j’ai créé JHR Films, en 2015, très peu de temps après le décès de mon père. Dans les derniers moments partagés avec Jean-Henri il y avait eu l’édition dvd de Neige avec Epicentre où je travaillais à l’époque et j’avais vu à quel point cela le comblait. Il rêvait que le film passe un jour au Louxor qui était encore en travaux à l’époque. Donc effectivement, je me suis toujours dit que cela serait formidable de ressortit le film. Mais même si j’avais un peu l’impression d’avoir une espèce de droit moral d’ordre génétique, le travail a été long.
Justement, quels ont été les grandes étapes de ce travail ?
Jane Roger : La première a été de retrouver les ayant-droits, je me suis lancée en 2019 quand je me suis sentie installé comme distributrice. J’avais en tête le contact de Tamasa qui avait les droits de distribution mais qui n’en faisait rien et ne les a pas renouvelé puis ils m’ont redirigé vers Studio Canal. Ensuite, il y a eu des histoires de contrats à gérer et. on a récupéré le matériel en 35mm et lancé la restauration en 4K sous la supervision de Renato Berta pendant la phase de covid. Le film aurait du être présenté à Cannes Classic en 2020 mais suite à l’annulation du festival, il a fait sa première au Festival Lumière à Lyon le mois d’octobre suivant, puis à Belfort en 2021.
Avez-vous constaté lors de ces premières que le film avait marqué une génération de cinéphiles ?
Jane Roger : A chaque fois qu’on a fait une projection, il y avait des jeunes cinéphiles curieux qui avaient dû entendre parler du film et, toujours, des gens qui viennent me voir à la fin pour me dire qu’ils avaient vu le film à sa sortie et qu’il avait vraiment marquer une époque pour eux. Dès que j’ai commencé à parler du projet de ressortie aux exploitants qui ont entre 50 et 60 ans, leurs réactions étaient unanimes : le film a été une sorte de déclencheur et chacun se souvenait d’où et quand il l’avait vu. C’est comme si ce film avaient été pour nombre d’entre eux un moment important de leur histoire personnelle avec le cinéma.
Comment vous l’expliquez ?
Jane Roger : Je pense que cela ne ressemblait à rien d’autre, que c’était un film extrêmement novateur mais que, l’air de rien, on pouvait facilement s’approprier de façon proche, voire intime. Et le fait de remettre au centre des personnages du film noir populaire qui s’était un peu perdu, cela a rapproché les gens. Il y a un sentiment d’appropriation fort avec Neige et un vrai capital sympathie et c’est sans doute dû au regard tellement libre porté sur les personnages.
Le film est ancré dans un quartier particulier en pleine transformation…
Jane Roger : Oui il y a comme une fonction de film-témoin même si le quartier n’a finalement pas tant changé que ça. Je pense qu’ne prenant une caméra la nuit dans certains endroits, on peut retrouver les personnages du film. Il y a encore quelques bistrots qui ressemblent à celui du film même si Neige donne à voir un Paris perdu.
Le film est aussi une véritable passerelle esthétique entre les séries B des années 50-60 et le renouveau formel du cinéma français des années 80…
Jane Roger : Oui c’est vrai et c’est vraiment l’âme de Juliet et de Jean-Henri qui n’étaient pas du tout dans le cloisonnement. Ils étaient modernes, il y a dans les films un personnage féminin très puissant, des hommes noirs, un travesti… Et c’était la vie, leur vie, le monde dans toute sa complexité. Et ce quartier qui devient un personnage mouvant, qui change. On est à la fois dans le polar classique et le film d’avant-garde. Ce que disait mon père, c’est que Neige c’était le film de Juliet et que Cap Canaille (leur deuxième film réalisé en duo en 1983, NDLR) était le sien. Si mon père s’est installé avec Juliet avenue Trudaine où elle vivait en tribu avec sa sœur et sa nièce, c’était vraiment avant tout son territoire à elle et cette histoire était la sienne. Et Cap Canaille a été tourné à Marseille qui était plus son territoire à lui.
Donc c’est l’étape d’après de restaurer Cap Canaille ?
Jane Roger : J’aimerais beaucoup mais cela bloque un peu au niveau des droits car l’un des détenteurs est injoignable. Mais oui, cela se répond et j’aime beaucoup Cap Canaille que pas grand monde n’a vu ce qui me motive encore plus !