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Jean-Pierre Lavoignat raconte La Reine Margot

par | 3 Oct 2025 | CINEMA, Interview, z - Milieu

A l’occasion de la reprise en salles depuis mercredi du film de Patrice Chéreau, La Reine Margot, FrenchMania est revenu sur l’histoire du film avec le journaliste cinéma Jean-Pierre Lavoignat qui avait suivi le tournage pour le magazine Studio et qui prépare un livre sur le sujet. Retour en 1993 sur la genèse de cette superproduction européenne.

Tu travailles sur une livre pour raconter l’histoire de La Reine Margot, quand verra-t-il le jour ?

Jean-Pierre Lavoignat : Cela fait deux ans que j’y travaille. J’ai fait toutes les recherches de documents, d’interviews…Et comme je faisais plein d’autres choses à côté, c’était compliqué d’écrire. Donc là, j’ai décidé de refuser pas mal de choses et de me consacrer au livre parce que sinon, il ne sortira jamais. Donc, il est prévu pour l’année prochaine.

Pourquoi ça t’a semblé important et intéressant d’écrire sur La Reine Margot plus de 30 ans après ?

D’abord parce que c’est un film que j’aime énormément, que c’est un film dont j’ai suivi tout le tournage quand j’étais journaliste à Studio. Ensuite c’est Luc Roux (photographe emblématique des couvertures de Studio, NDLR) qui a été détaché de Studio pour être photographe de plateau. Il a quitté le magazine pendant six mois et il a suivi tout le tournage, il y a un matériel photo magnifique et inédit. Il y avait un casting d’enfer et c’est un film qui a mis cinq ans à se faire, qui a coûté cher, et, en même temps, c’est quand même un film d’auteur. J’adore Chéreau, Adjani, Auteuil, Anglade et tout ça faisait de très bonnes raisons d’en faire un livre.

A l’époque, comment est accueilli le projet quand il est annoncé ?

Il est accueilli avec beaucoup d’excitation parce que c’est un projet des plus inattendus, avec le casting le plus excitant qui soit, produit par Claude Berri. Il y a vraiment un truc très ambitieux et forcément excitant, en tout cas pour les gens comme moi.

Quels sont tes souvenirs forts du tournage ?

Mon plus grand souvenir, c’est la scène du mariage qui était tournée à la basilique de Saint-Quentin et c’était hallucinant de voir tous ces figurants habillés en costumes d’époque et il y avait quasiment tout le casting réuni. C’était vraiment impressionnant. Et en même temps, Chéreau qui avait l’air de n’être concentré que sur les acteurs eux-mêmes et sur les scènes à tourner. Il était à la fois fébrile et exigeant et avec une manière de diriger les acteurs qui était incroyable.

Justement, il n’était pas débordé par les enjeux, par le budget, par tout ça, par toute la pression ?

Non, même si on sentait que c’était lourd. Mais il était bien entouré et puis, il était quand même complètement dans son élément. Dans son activité de metteur en scène de théâtre et d’opéra, il avait l’habitude de se confronter à des gros projets, je dirais même que c’est quelque chose qui l’excitait. Après il a eu des jours de doute, d’interrogation, on. J’en parlais il n’y a pas longtemps avec son premier assistant, Jérôme Enrico, qui me disait que c’était quelqu’un qui remettait toujours les choses en doute C’est-à-dire qu’à chaque fois, quand il apportait une idée, il disait: C’est une bonne idée, mais on ne peut pas trouver mieux ? Ou : On est sûr que ça raconte la bonne chose. J’ai passé beaucoup de temps dans les archives de Chéreau à la Cinémathèque et c’est incroyable. On se rend compte qu’ il a tout gardé et qu’il écrivait partout, au dos des menus de restaurant, au dos des sacs en papier des avions, sur des feuilles volantes… On voit qu’il ne cesse de faire des listes de casting, de recopier des extraits de livres, à la main. C’est incroyable la force de travail qu’il avait.

Combien de temps a duré le tournage ?

A peu près 6 mois ce qui est devenu une exception. C’est quand même une aventure hors normes. En plus, la préparation a été arrêtée, a été reprise. À un moment donné, Adjani n’était plus sûre de vouloir ou de pouvoir le faire. Il y a eu des tas de rebondissements.

Le film a fait sa première à Cannes en 1994, comment est-il accueilli ?

Moyennement. En tout cas, l’accueil français a été un peu mitigé parce que je pense que personne ne s’attendait à ce film-là. C’était un film qui était plus noir, plus violent, plus sanglant que ce qu’on imaginait. Peut-être un film moins grand public. Et puis, il y avait un côté opératique quand même. Ce qui est intéressant, c’est de voir que 30 ans après, le film a gagné en statut. C’est-à-dire que c’est devenu un film culte, c’est devenu un film de référence. Je croise sans arrêt des jeunes acteurs et, quand je dis que je fais un livre sur le film, ils me disent : C’est mon film préféré, je l’ai vu 10 fois. On sent que le film a très bien vieilli. Je suis curieux de voir ce que ca donner cette reprise en salles !

Il a laissé une forme d’empreinte sur des productions plus récente ?

On ne savait pas à l’époque, mais bien sûr, il a marqué le début d’une espèce d’esthétique qui a nourri, par exemple, des séries comme Game of Thrones ou Les Tudor. Ce côté décoiffé, les cheveux longs en sueur et en sang, on l’a retrouvé après.

Oui, cette vision un peu rock’n’roll du film en costumes…

Oui, c’est ça. Chéreau disait tout le temps qu’il ne voulait pas faire un film historique, et que sa principale référence, c’était Les Affranchis de Scorsese. C’est vrai qu’il y a un côté moderne dans le film qui est étonnant. Je pense qu’à l’époque, c’est surtout que le film ne correspondait pas à l’image que les gens s’en étaient fait, ils imaginaient un film peut-être plus plus romantique, plus académique.

Toutes ces morts, tout ce sang, on dit que Chéreau voulait aussi évoquer l’hécatombe liée au sida qui le touche de près…

Oui, en tout cas, ce n’est pas la principale source d’inspiration. C’est évident qu’il y ait pensé puisqu’il avait quand même perdu beaucoup de ses proches, que ce soit Guibert ou Koltès. C’est sûr que c’était là, mais visuellement, il s’est aussi inspiré des guerres en Bosnie, au Rwanda, des guerres civiles, des charniers. Dans ces archives, par exemple, il y a beaucoup de photos. Il y a quelques photos de mort du sida, de mecs très malades, mais il y a beaucoup de photos des charniers en Yougoslavie. Il y a même une photo de cadavres en Bosnie dans une charrette et c’est exactement le plan qu’il y a dans La Reine Margot.

Quelle est la carrière du film en salles ?

Le succès est quand même au rendez-vous vu le film que c’est. Il fait près de 3 millions de spectateurs. Ce qui, vu la nature du film, n’est pas si mal, quand même. Mais aux États-Unis, par exemple, il n’a pas si bien marché que ça. Mais il a bien voyagé en Italie, en Allemagne, en Angleterre aussi.

Est-ce que ça a été un point de bascule dans la carrière de Chéreau ?

Ça a été un moment très important pour lui. Après, il a voulu prendre le contrepoint, il fait Ceux qui m’aiment prendront le train, qui est un film très contemporain, mais aussi très éclaté et très choral. Mais après, il fait Un frère et Intimité qui sont exactement l’opposé, qui sont de petits films à petit budget. Claude Berri disait de Chéreau qu’il n’avait pas voulu devenir le Visconti français, qu’il avait préféré “tourner ses petites histoires”. Après, il a essayé de travailler sur un Napoléon avec Al Pacino qui n’a jamais pu se faire parce que Pacino a dit oui, puis non, puis peut-être, et puis ils avaient des problèmes de financement. Chéreau ne fera finalement jamais plus un film d’une telle envergure.

La Reine Margot, reprise en salles depuis le 1er octobre – Version restaurée – 2h41 – Malavida 

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