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Jérémie Laheurte (Paris Police 1900) : “La série n’est pas policée, elle a quelque chose de viscéral, de vénéneux”

par | 5 Fév 2021 | SERIES, z - 2eme carre gauche

Si vous ne connaissez pas encore son nom, retenez-le bien ! Jérémie Laheurte a à peine trente ans et déjà une solide filmographie. Kechiche (La vie d’Adèle), les sœurs Coulin (Voir du pays), Diastème (Juillet/Août), Herzi (Tu mérites un amour), autant de collaborations qu’on lui connaît. Les choix de Jérémie sont à la hauteur de sa vision du métier d’acteur : exigeants, réfléchis. Dans Paris Police 1900, série noire conduite par Fabien Nury, diffusée sur Canal + dès le 8 février prochain, Laheurte joue Antoine, un jeune inspecteur parisien pris entre deux feux, celui d’une enquête sur des meurtres en séries, et celui, plus politique, qui oppose les dreyfusards aux anti-dreyfusards. Entretien avec un jeune acteur qui a le profil des grands.

Connaissiez-vous le travail de Fabien Nury ?

Jérémie Laheurte : J’avais lu ses BD, La mort de Staline m’avait énormément plu, et quand j’ai été choisi pour tourner dans la série, j’étais comme un gosse parce que je me disais que ce mec avait travaillé avec Michael Palin des Monty Python, ça m’a rendu dingue de bonheur ! Pour tout vous dire, j’avais passé le casting pour la série Guyane (diffusée sur Canal + en 2017, écrite par Fabien Nury NDLR), mais à ce moment-là, j’avais envie de faire du cinéma d’auteur, je ne voulais pas me disperser, et s’engager dans une série, c’est s’engager sur la durée. Je ne suis pas du genre à me jeter sur la première occasion qui se présente. Je préfère ne pas tourner, même si ça m’angoisse, plutôt que de faire des choses qui ne me ressemblent pas, avec lesquelles je ne suis pas 100% à l’aise. Quand j’ai commencé la préparation de Paris Police 1900, Fabien m’a confié qu’en écrivant la série, il m’avait en tête, qu’il m’avait mis en haut de sa liste d’acteurs favoris. Donc nos retrouvailles ont été très heureuses, et cette expérience m’a conforté dans l’idée qu’il fallait toujours écouter son coeur. Quand j’ai entendu parler du projet de cette série, j’ai tout de suite appelé mon agent pour lui dire que je voulais en être, ou en tout cas, passer des essais. Ça a été un très long processus de casting, il a fallu convaincre tous les protagonistes, tous les porteurs de ce projet.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement plu dans cette série ?

Jérémie Laheurte : Déjà, le style de Fabien, son écriture, ses dialogues, sa patte est partout. Il est le showrunner de la série. Même s’il collabore avec d’autres auteurs, c’est vraiment lui qui porte la vision d’ensemble. J’ai lu le scénario avec beaucoup de plaisir, je l’ai trouvé dense et précis. Il n’évitait aucun sujet de société, qu’il s’agisse de l’antisémitisme en France au début du XXème siècle, de la rigidité patriarcale, de la condition des femmes. Ce n’était pas des béquilles ou des artifices. Tout le récit policier s’articule autour de ce contexte-là, il en est nourri. Puis, c’est une histoire et une période auxquelles je suis sensible, ma famille a souffert de l’antisémitisme durant la Seconde guerre, ce sont des récits qui me touchent. En plus de ça, à l’école primaire, j’étais dans la classe de la petite petite petite fille de Dreyfus. J’ai donc grandi avec cette histoire, et que cette série s’empare de ce qui est pour moi l’un des plus terribles maux du siècle dernier et malheureusement du notre encore, je trouve ça important. Je me suis senti concerné. La manière dont Antoine traverse ces épisodes sociaux et politiques m’intéresse beaucoup. Ces relents d’antisémitisme aujourd’hui me consternent, et d’ailleurs, je me souviens d’avoir vu le premier jour de tournage un tag – qui n’était pas un artifice du décor – avec écrit “Mort aux juifs”. Je l’ai pris en photo, je l’ai envoyé à Julien Despaux (l’un des réalisateurs, NDLR), et je lui ai écrit en légende : “voilà, le tournage a commencé“. Je ne fais pas de politique, mais en voyant ça, je me suis dit qu’on était en train de faire quelque chose d’important avec cette série-là. Le constat que je fais, c’est que l’antisémitisme est toujours le marqueur de quelque chose de plus grave dans la société, il s’intensifie dès lors qu’il y a des crises et qu’il faut trouver des boucs-émissaires. Je ne me dis pas seulement qu’il y a un problème pour la communauté juive, mais qu’il y a un problème dont la racine est profonde, et qui nous concerne tous.

Comment décririez-vous Antoine ?

Jérémie Laheurte : Il est naïf, il est jeune, et les œillères qu’il va falloir qu’il ôte, avant de voir la société telle qu’elle est vraiment à ce moment-là, sont nombreuses. Quand il réalise ce qui se passe, son engagement redouble. Il est dans une quête de justice qui, pour moi, fait totalement sens. J’ai adoré interpréter Antoine, défendre ce personnage. Et ce qui m’a plu aussi, ce sont les personnages féminins de cette série, tous, du plus petit au plus grand rôles. Parler de cette époque sans parler de son machisme, ne pas parler de la condition des femmes, ce n’était pas possible. Quand j’ai abordé mon personnage, je l’ai senti proche des femmes de cette histoire, enfin, c’était celui qui essuyait le plus de préjugés, du fait de son âge et de son physique. Il a des difficultés avec sa hiérarchie, elle le moque parfois parce qu’elle ne voit qu’un bleu maigrelet en lui. Et je repense du coup à cette scène où Jeanne (interprétée par Eugénie Derouand, NDLR) dit qu’elle est avocate, ce qui fait rire tous les hommes du bureau, parce que c’est inconcevable à cette époque qu’une femme exerce ce métier-là. On voit bien que mon personnage ne réagit pas tout fait comme les autres. Ces moqueries à terme vont finir par le crisper. Antoine est certes le produit de son époque, mais plus il avance dans son enquête et ses découvertes, plus sa vision des choses et des normes change. C’est marrant parce que j’étais, je crois, le plus jeune acteur sur ce tournage. J’ai côtoyé de grands comédiens et comédiennes, je les ai écoutés, regardés travailler, nous avons échangé, ils ont été hyper généreux, et j’espère l’avoir été tout autant avec eux. Avant de commencer le tournage, je n’arrêtais pas de faire des cauchemars où j’oubliais mon texte alors que je le connaissais sur le bout des doigts ! On a ça en commun avec Antoine, l’envie de faire nos preuves, de bien faire notre travail. Mais j’ai été, c’est vrai, très impressionné par mes partenaires de jeu. Ça a redoublé mon niveau d’exigence vis-à-vis de moi-même, j’étais tout le temps stimulé.

C’est la première fois que vous tournez dans une série, comment s’est passé le tournage ?

Jérémie Laheurte : Je trouve qu’on a eu beaucoup de chance globalement. On a eu du temps, le tournage a duré 8 mois, le budget était conséquent, les costumes, les décors, tout était maitrisé… Dès les premières lectures avec mes partenaires, j’avais senti qu’on tenait quelque chose, mais en arrivant sur le plateau, de voir tout ça prendre vie et forme, c’était très excitant. L’équipe a été formidable, et c’est justement grâce à elle qu’on a réussi à tenir ce tournage sur un temps plus long et ne rien lâcher. C’était très intense donc mais aussi très confortable pour un tournage de série, on tournait 4 jours par semaine, c’était physique, et après, on avait un sas de décompression de 3 jours. J’ai dû porter la moustache pendant 8 mois dans la vraie vie du coup (rires).

Ce rôle, c’est aussi un rôle physique. Des courses-poursuites, des cascades, des combats rapprochés…

Jérémie Laheurte : J’ai toujours rêvé de rôles un peu physique comme vous dites. J’ai tout de suite dit à la production que je tenais à faire mes propres cascades, et pour ça, ça voulait dire s’entrainer ! C’est quelque chose que j’ai pris l’habitude de faire, quand je ne tourne pas, je m’entraine, parce que je me dis qu’un jour, ça me servira pour un rôle ou pour un autre. Mon temps libre, entre les tournages, je le passe à me perfectionner, j’anticipe, j’essaie d’être toujours prêt, comme ça, si on me demande de taper un sprint, de sauter en parachute ou de démonter un flingue, je sais le faire. Donc j’ai dû convaincre là encore la production de me laisser faire mes cascades, j’avais un emploi du temps tout dédié à mes entrainements, pour limiter les risques encourus bien sûr. L’anecdote amusante, c’est que quelques mois avant le tournage de Paris Police 1900, je devais tourner dans un film de gangsters de Nick Cassavetes aux côtés de Morgan Freeman et Jean Reno, et, pour ce rôle, j’avais dû prendre du muscle, 14 kilos exactement. Malheureusement, le film ne s’est pas fait, la date de tournage de la série approchait, et Julien Despaux m’a demandé de perdre du muscle et du poids. Lui et Fabien n’imaginaient pas Antoine baraqué mais sec, un jeune homme tellement travailleur qu’il en oublie le reste, parfois même de vivre sa jeunesse. Du coup, j’ai dû fondre en seize jours ! Mais ça m’a vraiment aidé à rentrer dans le personnage, ça m’a connecté à sa fragilité de corps et de condition.

Les séries historiques françaises ont le vent en poupe ces dernières années : Versailles sur Canal +, Le Bazar de la charité sur TF1 ou encore La Révolution sur Netflix. Qu’est-ce qui rend, selon vous, Paris Police 1900 singulière ? Son contexte, les problématiques politiques et sociétales, le soin apporté à la restauration de l’époque ?

Jérémie Laheurte : Je crois que l’une de ses principales qualités, c’est sa crédibilité. Fabien et ses équipes ont fait un travail hallucinant de recherches, de documentation. Ça se sent bien sûr à travers les décors et les costumes. Rien n’a été laissé au hasard, tout a été étudié. L’immersion dans l’époque fonctionne complètement du coup, et ce dès les premières minutes du premier épisode. Ça vient aussi du travail sur la lumière et l’image. La série n’est pas policée, elle a quelque chose de viscéral, de vénéneux. On a tous épousé la vision de Fabien Nury parce qu’elle était claire et cohérente. C’est un homme au talent fou, discret, plein de surprises, et extrêmement cultivé. Il arrive dans cette série à marier les contrastes comme les registres. Il a réalisé un épisode, et, là encore, m’a vraiment impressionné par sa maitrise. Il était très précis dans sa façon de diriger. Je me souviens que lors d’une scène avec le personnage d’Eugénie, je devais m’emporter, j’avais envie de monter un peu le curseur mais Fabien, au contraire, m’a fait gommer certains excès. Antoine dans cette scène aurait pu être explosif, il est finalement glacé par sa colère, droit, et quand j’ai vu le résultat, la scène m’a vraiment plu.

Le personnage du Préfet de police dit en parlant de la police justement : “Mais pourquoi tout le monde a si peur de nous ?“. Là aussi, on touche du doigt une problématique très actuelle que la série ne met pas de côté. 

Jérémie Laheurte : C’est ce que je trouve remarquable dans cette série, c’est qu’elle montre bien le caractère systémique de tous ces maux qui nous reviennent comme des boomerangs dans la figure aujourd’hui. Quand la police fait son travail, c’est une entité rassurante, mais quand ça tourne mal, quand en son sein, il y a des dérapages, des délits et des crimes commis, quand elle ne sert plus les intérêts qu’elle doit servir, alors ça devient très angoissant. On se dit que si quelque chose nous arrive, on ne peut même plus se retourner vers l’État ou la police. Quand la trahison vient de là, on n’a plus confiance, c’est naturel.

Pour finir sur une note plus légère, est-ce que vous êtes vous-même amateur de séries ?

Jérémie Laheurte : J’adore les séries. J’en ai beaucoup regardé pendant le confinement. Ce qui me plait, c’est de voir évoluer les personnages sur la durée. Parfois, quand je regarde un film que j’adore, je suis frustré qu’il ne dure pas plus longtemps. La série qui image le plus mon sentiment, c’est Breaking Bad. Ça commence comme une chronique un peu banale de la vie américaine et ça vire au drame explosif. Les personnages deviennent de plus en plus complexes, humains, on apprend à les connaître et on ne veut plus les lâcher.

Où est-ce qu’on vous revoit prochainement ?

Jérémie Laheurte : Vous retrouverez bientôt Antoine sur le petit écran, puisqu’il y aura une saison 2 de Paris Police 1900, le tournage est en janvier prochain. Là, je tourne dans le film de FGKO, réalisateur de Voyoucratie, film à tout petit budget qui avait fait son petit bonhomme de chemin. C’est une adaptation du roman Du crépitement sous les néons, écrit par un flic qui en a vu de toutes les couleurs, et qui va parler du réseau de prostitution nigériane en France. C’est à la fois un road-movie et une histoire d’amour !

Paris Police 1900, série créée par Fabien Nury. Saison 1 diffusée dès le 8 février 2021 sur Canal +.

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