Faire un point d’étape sur le Fifib (Festival international du film indépendant de Bordeaux) lors de cette 9ème édition avec Johanna Caraire, la co-fondatrice et directrice artistique du festival, c’est aussi observer l’évolution du jeune cinéma français sur lequel l’événement cinéphile bordelais a toujours eu l’œil notamment via sa compétition de films français et sa programmation défricheuse de talents si bien nommée “Contrebandes”. Entretien.
Est-ce qu’une neuvième édition, dans les conditions particulières d’organisation de cette année, peut être l’occasion d’un bilan ?
Johanna Caraire : On peut, même si c’est bizarre de faire un bilan une année comme celle-ci pendant laquelle on a un peu de mal à se réjouir. On a de la chance d’avoir été épargné par les mesures gouvernementales et préfectorales mais on préfère toujours regarder vers l’avenir, c’est l’avenir qui nous préoccupe. Le secteur va mal et souffre énormément en ce moment donc c’est difficile mais on n’a eu de la chance et cette édition était bénie avec une énergie de dingues. On est arrivé à un moment où il n’y avait pas de festival à Bordeaux. Nous ne venions pas du monde des festivals et nous ne nous sentions pas légitimes, on l’a fait de façon un peu naïve et pulsionnelle, sur un coup de tête, en se disant qu’on allait faire un tout petit truc. Et puis ça s’est développé parce qu’on a rencontré des gens super et que c’est devenu une œuvre collective. Si je dois faire un bilan, ce qui en ressort c’est cette énergie de groupe, cette solidarité et une équipe qui continue à être épatante même dans des conditions compliquées.
Il y a un vrai renouveau du cinéma français depuis une petite dizaine d’années. On a l’impression que le festival est arrivé au bon moment et qu’il a su l’accompagner…
Johanna Caraire : Complètement. On s’est rendu compte qu’il y avait un renouveau qui allait de paire avec les jeunes réalisateurs qu’on a reçus au festival qui ne venaient pas du même milieu social culturel que les générations précédentes de réalisateurs français qui étaient plutôt des bourgeois parisiens, il y avait une sorte de formatage. Là on voit les frères Boukherma qui viennent de Marmande, des talents comme Caroline Poggi et Jonathan Vinel qui ont grandi dans des milieux ruraux ou pavillonnaires… La nouvelle génération a une autre cinéphilie, une autre approche, d’autres références culturelles, très pop avec une forte empreinte des réseaux sociaux, des jeux vidéos, de références différentes mais qui sont aussi du domaine des arts visuels. Et il y a aussi un côté très familial, une idée du cinéma en groupe. Cette jeune génération de réalisateurs français a envie d’oser des choses courageuses et de le faire dans des styles très différents. Ils ne sont pas enfermés dans des carcans de création. On a une compétition internationale intéressante mais c’est vraiment sur le cinéma français qu’on a toujours essayé de se démarquer, notamment en s’intéressant aux courts métrages ou en prenant des chemins de traverse avec la programmation “Contrebandes”. Et il y a la partie professionnelle qu’on a mis en place progressivement : les aides à la post-production, des résidences d’aides à l’écriture qui nous permettent de suivre des auteurs dès les débuts. On met en place une formation avec la Fémis sur la passage du court au long métrage. On aime se situer à cette jonction et accompagner les gens, on aime inviter ceux qui sont venus en compétition à faire partie du jury, on forme une espèce de famille. Des vraies histoires se nouent, des rencontres se font. Céline Sciamma a rencontré Valeria Golino ici par exemple ! Caroline Poggi et Jonathan Vinel sont venus en résidence et y ont écrit une partie de Jessica for ever…
C’est un positionnement d’accompagnement important des films, comment définiriez-vous la ligne éditoriale du FIFIB sur ces projets ?
Johanna Caraire : Le type de cinéma que nous défendons, c’est celui de la prise de risque. Des films qui sont plutôt fragiles et qui ne sont pas faciles à financer, on repère, on défriche. Si personne ne fait ça, on est dans le consensus mou ! Et tout cela passe par une démocratisation des outils…