Issu du dessin de presse, Aurel a travaillé pour divers journaux comme Le Monde ou Le Canard Enchaîné avant de réaliser Josep, son premier long métrage d’animation, lauréat du label Cannes 2020. Un film entre hommage au dessinateur Josep Bartoli, déclaration d’amour au dessin et récit historique de la difficile réalité des camps. Rencontre.
Dans Josep, vous traitez d’une histoire vraie, celle du dessinateur Josep Bartoli. Quel est votre rapport à cette histoire ?
Aurel : Je n’ai aucun lien personnel avec cette histoire. J’ai découvert la vie de Josep Bartoli, à travers son dessin. Je l’ai vu pour la première fois dans un livre écrit par son neveu.
Pouvez-vous nous parler du choix de point de vue : celui d’un garde, témoin et participant à l’histoire de Josep ? Cela faisait-il partie d’une volonté de fiction ?
Aurel : Il n’y avait pas forcément de volonté de faire de fiction en soi. Mais quand j’en ai parlé au scénariste, Jean Louis Milesi, il a fait part de son besoin d’un personnage sur lequel se projeter dans cette histoire, étant donné que ni lui, ni moi n’avions de lien personnel avec les camps de concentration. De plus, il s’agit d’un film français, donc nous avions besoin d’une attache française.
Chose rare dans les films d’animation, la question de la langue est intégrée au film : les Français parlent français, les Espagnols parlent espagnols et parfois cela complexifie les relations et les dialogues. C’était important pour vous ?
Aurel : Le film est comme l’agglomérat de toutes ces langues que l’on pouvait entendre dans les camps, et nous avons eu la chance que la production ne nous demande jamais de revenir au 100% français. Je pense que cela fait partie de l’intérêt que le public éprouve pour le film, tout particulièrement dans les territoires qui ont abrité ces camps, et qui sont donc toujours bercés par ces langues-là.
Vous vous êtes concentré sur une période particulière. Vous n’avez par exemple pas parlé de la vie de Josep à New-York, bien qu’on la devine à la fin du film. Pourquoi ce choix ?
Aurel : On a très vite exclu l’idée d’un biopic global et intégral. Le choix de se focaliser sur les camps de concentration était très important. D’une part, cela se déroule en France et nous sommes français, donc il était important de connaître les endroits dont on parle. D’autre part, nous souhaitions parler d’un moment de l’histoire de France commune avec le peuple espagnol. De cette manière, le film revêt une autre dimension. Il n’est pas uniquement un moment de la vie de Josep Bartoli, ni un hommage au dessin. Il s’agissait également d’une manière de traiter cette histoire souvent méconnue.
Pourquoi y a-t-il eu une telle invisibilisation de ce sujet dans l’histoire ?
Aurel : Je pense que la Seconde Guerre Mondiale a tout de suite éclipsé ce pan de l’histoire du fait de leur concomitance. Elle n’était pas du tout glorieuse pour les Français et elle était également très honteuse pour l’Espagne. Elle a donc été tue des deux côtés de la frontière. Elle a seulement commencé à rejaillir grâce aux descendants des personnes ayant vécu dans ces camps, qui ont commencé à creuser, à poser des questions et à mettre en lumière cette période.
Votre technique d’animation est très particulière : on n’est ni dans de l’image de synthèse, ni dans du stop motion mais du dessin pur. Pouvez-vous parler de votre technique de dessin ?
Aurel : Il y a tout de même beaucoup de technologies, puisque nous avons utilisé des logiciels assez performants. Venant du dessin de presse, j’ai découvert ces technologies d’animation. C’est aussi probablement cela qui m’a encouragé à ne pas faire d’animation pure et à garder mon dessin. En effet, les logiciels nous ont permis d’aller dans ce sens, en faisant vivre un dessin qui n’était pas animé pour autant.
Vous avez reçu le label Cannes 2020. L’année dernière on retrouvait Les Hirondelles de Kaboul, J’ai perdu mon corps. Peut-on parler d’un renouveau du cinéma d’animation français ou simplement d’une meilleure visibilité ?
Aurel : Je ne me sens pas très légitime pour répondre à cette question, étant donné que Josep est ma première incursion dans le cinéma d’animation. Je ne peux que trouver que c’est une excellente idée de considérer le cinéma d’animation au même titre que le cinéma en prises de vue réelles. Peut-être justement parce que ce cinéma-là est en train d’opérer une mue depuis déjà plusieurs années ; s’écartant d’une simple dimension ludique, pour traiter de sujets plus durs comme Persepolis de Marjane Satrapi), Valse avec Bachir d’Ari Folman ou, plus récemment Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec et J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin.
Réalisé par Aurel, avec les voix de Sergi Lopez, Gérard Hernandez, Bruno Solo… – 1h14 – FRANCE-ESPAGNE-BELGIQUE. En salles le 30 septembre – Sophie Dulac Distribution.