Dans Icon of French Cinema, série dont elle est l’auteure, la metteure en scène et l’interprète, la comédienne s’invente un double pour raconter brillement avec humour et désarroi un métier qu’elle connaît depuis toujours. Et dont elle connaît la beauté comme la férocité. Entretien.
Pourquoi avoir choisi le format de la série pour raconter l’histoire de cette « icône » du cinéma français ?
Je suis partie vivre aux États-Unis. Là-bas j’ai développé une idée de série pour HBO qui ne s’est finalement pas faite. En revanche, j’ai découvert la forme épisodique et avais envie de la retrouver. J’avais alors plusieurs idées de script. Comme une sorte de puzzle où je voulais raconter une histoire de sororité autour de trois personnages féminins de génération différentes. Mais aussi parler d’une femme actrice qui élève ses enfants et qui revient en France. Des idées qui se sont mises à prendre forme grâce au format sériel. Au tout début, je voulais écrire une histoire aux États-Unis, là où je vivais, mais je me suis rendue compte que pour être vraiment sincère et aller au cours des choses, il fallait que cette série se passe en France. Et que le personnage d’aujourd’hui soit nourri par son passé. Que le présent renvoie à des moments spécifiques du passé. Comme un effet boomerang.
Quel a été l’élément déclencheur de l’écriture ?
Ce désir de me raconter et de raconter mon enfance dans le cinéma français est née parce que j’ai une fille qui avait 16 ans au moment de l’écriture et qu’en la regardant, en la voyant évoluer avec son désir d’être actrice et artiste, la nécessité de raconter cette histoire s’est imposée.
Comment s’est déroulé le découpage en épisodes ?
Je souhaitais que les épisodes aient un impact les uns sur les autres. Avec des histoires entremêlées qui se dénouent. L’écriture s’est faite très spontanément. Je ne savais absolument pas si cette série allait voir le jour, ce qui a eu pour effet de libérer l’inspiration. Comme une désinhibition totale. J’écrivais, déracinée, depuis ma chambre à Los Angeles avec la vue sur les collines, recréant un monde qui me ressemble avec la liberté de celle qui n’a de compte à rendre à personne. Sans peur de devoir plaire à mes pairs (rires) et au monde du cinéma qui m’a vue grandir et qui m’a validée. En plus, j’écrivais entièrement en anglais, sans entrave. Le seul miroir était sur la page. Je pouvais m’aventurer dans les chemins des souvenirs d’enfances et de ce que j’inventais de cette femme contemporaine. Je pouvais complètement me laisser aller. Inventer des situations rocambolesques et parler du patriarcat justement parce que je ne fais plus partie de la crème de la crème en France. Je n’avais de compte à rendre à personne. En n’avais rien à perdre. J’étais juste comme une guerrière essayant d’accomplir quelque chose.
Qui est cette Judith 2, votre double de fiction ?
J’aime particulièrement dans la comédie et certains séries américaines, les personnages qui se moquent d’eux-mêmes. Ici, entre ce que je fantasme, ce que j’invente et ce qui m’est vraiment arrivée, toute protection tombe. C’est une forme de mise à nu. Une pyramide faite des angoisses qu’une actrice peut avoir et des réalités désagréables du métier. Comment plaire ? À qui ? Comment est-ce que l’on aime être vue par les gens ? Quelle est l’image idéale que l’on aimerait qu’ils vous renvoient de vous-même ? Suis-je une actrice du cinéma d’auteur qui aime être vue comme une icône ? Où est-ce que je préfère être reconnue comme la comédienne de Bimboland ? Tout cela donne lieu à des situations dramatiques ou pathétiques mais très drôles dans le fond. L’écriture joue avec l’idée de statut, les passe-droits et la misogynie de ce milieu. La Judith de la série a conscience de ce que l’on attend d’elle pour récupérer son “rôle”. Ce qui est vital pour elle. Et moi, auteure de la série, je pousse le bouchon en l’habillant en Ingrid Bergman dans Les Enchainés. Dans le fond, au lieu de juste filmer une actrice qui se met sur son 31 et qui se maquille, je joue une sorte de mise en abyme. Elle devient elle-même un fantasme, elle en joue. Et bien sûr je m’en moque en la montrant se prendre les pieds dans le tapis. Elle se perd dans son propre personnage.
La peur de l’abandon dont vous parlez dans le dernier épisode est-il l’un des moteurs de la série ?
Tout à fait. Il y a celui de ceux que l’on aime. Ceux que l’on a peur d’abandonner. Ceux dont on a peur qu’ils nous abandonnent. Mais aussi être abandonné par son milieu. Mon ancrage dans la société, le monde qui m’a accueillie depuis que je suis toute petite c’est celui du cinéma. Je n’ai rien connu d’autre. Si ce monde ne veut plus de moi se pose alors la question de mon identité. Quel est ce personnage s’il n’est plus ce qu’il était ? Thématique qui me permet aussi de questionner le rapport à la toute puissance. Lorsque l’on est connue très jeune, il y a un sentiment très troublant de l’importance que l’on nous donne. J’étais encore mineure lorsque j’étais invitée par Anne Sinclair ou à discuter sur un plateau avec Françoise Giroud. Mais cette parole donnée est éphémère. Elle peut être retirée du jour au lendemain. On est comme un équilibriste à croire que ces choses sont acquises alors qu’elles ne le sont pas. Comment jouer, avec cela ? Comment négocier avec ce droit de parole que l’on vous attribue mais qui dans le fond est complètement artificiel. J’étais certes assez mûre pour mon âge, mais complètement livrée en pâture aux journalistes qui prenait ce qu’il y avait à prendre, c’est-à-dire une jeune fille qui n’est ni entourée ni protégée.
Votre personnage est entourée de différentes femmes. En particulier sa fille. Une sororité plurielle qui est au cœur de l’intrigue…
Ce qui était très important pour moi c’était l’idée de la transmission. De passation. Et surtout de réparation. L’idée que les jeunes femmes des générations à venir puissent enfin vivre leur vie armées. Parler de ma fille à travers un personnage inventé, qui raconte une histoire qui n’est pas celle de ma fille, c’est témoigner que les femmes d’aujourd’hui se défendent. Elles s’échappent et ont appris à dire non. La force qui me revient et que je puise dans la promotion de cette série me vient des femmes qui m’acceptent avec générosité comme si nous nous connaissions depuis toujours. Cette sororité que j’ai voulu décrire dans Icon…, je la vis sans m’y être attendue. C’est déjà une victoire pour moi.
Votre mise en scène est très inventive…
Je me suis lancée dans cette entreprise et dans cette mise en scène comme si c’était la première fois. Alors que j’avais déjà réalisé un film mais où je n’avais pas osé aller aussi loin que j’aurais pu. Je m’étais brimée dans un souci constant de “Est-ce que cela va plaire ?“. Et en dénouant ce nœud de l’angoisse de ne pas faire partie d’un sérail, j’ai laissé mon univers s’affirmer. Cette série c’est vraiment moi. Moi qui ne cherche plus à plaire coûte que coûte. Il y a ici un désir de cinéma délié.
Comment l’avez-vous travaillée ?
Mon langage technique cinématographique est métaphorique. Il passe par des images et la photographie. C’est une approche presque sensuelle. Je vis et pense les scènes physiquement. Et je les décris de cette manière. L’écriture est chez moi cérébrale mais au bout du compte ma mise en scène est viscérale. Je vis les choses de manière très physique et très profonde. Nous manquions souvent de moyens pour finaliser mes idées. Mais l’équipe étant dans une énergie créative un peu folle, guidée par moi qui le suis aussi un peu (rires), et nous finissions toujours par trouver des solutions avec les moyens du bord. On inventait tout le temps et j’ai adoré cela.