La Bête noiseuse
L’ Homme d’argile est d’abord l’histoire d’un corps. Celui d’un homme. Ou plus précisément celui de l’acteur Raphaël Thiéry, récemment aperçu dans L’Envol de Pietro Marcello. Un physique de colosse à la Michel Simon, un oeil de cyclope échappé des mythologies antiques. Pour son premier long métrage, Anaïs Téllenne pose son regard sur le comédien, par le prisme de son personnage auquel elle donne le même prénom. Raphaël apparait en gardien d’un immense manoir vide et d’un domaine laissé à l’abandon dont il s’occupe et sur lequel il veille de son seul oeil. Le film installe soigneusement son décor dans des scènes rurales quotidiennes lorgnant vers l’absurde : plans fixes sur des repas partagé avec sa mère (Mireille Pitot), ancienne employée des riches propriétaires, escapades sexuelles en forêts avec la déjantée factrice locale (Marie-Christine Orry) et répétitions musicales au bar du village. Quand par un soir d’orage et une pluie battante, débarque Garance Chaptel (« un prénom de fleur » nous disait Arletty dans Les Enfants du paradis) dernière héritière, un bouleversement enchanté s’opère chez Raphaël comme dans le scénario puisque les deux ne font qu’un. De cette rencontre entre la princesse artiste contemporaine parisienne et le rustre campagnard nait le lyrisme du conte. Si elle en adopte les codes, Anaïs Tellenne déjoue très vite la possibilité d’une véritable romance entre deux êtres que tout opposent de La Belle et la Bête à Lady Chatterley. Le récit va s’ancrer dans la fascination réciproque entre l’artiste et le modèle dont les rôles vont se trouver ici inversés. Par cette une mise en abime des regards, Garance, connue pour ses performances mêlant son corps et son intimité comme outils de création, va observer dans le physique de Raphaël « un paysage changeant et accidenté » dont elle va vouloir s’accaparer les contours. C’est là que le désir va s’immiscer, en premier lieu caché. Il la contemple endormie et à moitié dévêtue tandis qu’elle va venir l’épier en récital nocturne de cornemuse dans une piscine vide creusée. Dans les silences de ces deux sensibilités artistiques qui se toisent, on ne sait plus vraiment de quel côté se trouve l’emprise érotique car pendant qu’elle malaxe son double d’argile, il va découvrir sa propre beauté lui apparaitre. Et cette matière plastique, la réalisatrice la fait s’incarner très justement par la collision des corps des magnétiques Emmanuelle Devos et Raphaël Thiéry se fondant dans l’argile et la pellicule.
Réalisé et écrit par Anaïs Tellenne. Avec Raphaël Thiéry, Emmanuelle Devos, Mireille Pitot… – Durée : 1h34 – New Story – En salles le 24 janvier 2024.