Portrait de la trentenaire en feu
Elle a été révélée à Cannes en mai 2010, personnage féminin dans le contrôle et pleine de fêlures des Amours imaginaires de Xavier Dolan qui imprimait le film de sa personnalité et de son style inimitable d’icone fifities. 9 ans après, en mai dernier, Monia Chokri revenait à Cannes, dans cette même section Un certain regard, mais cette fois en tant que réalisatrice de son premier long métrage, La femme de mon frère.
Chez l’actrice, on aime l’intelligence et la folie contenue, la façon qu’elle a d’être partout à sa place, qu’elle soit une caissière amoureuse à qui on ne la fait pas (Compte tes blessures de Morgan Simon), une chanteuse déjà has-been qui maquille sa vie de mensonges (On ment toujours à ceux qu’on aime de Sandrine Dumas) ou une comédienne ratée qui cherche à en finir pour enfin réussir quelque chose (Emma Peeters de Nicole Palo, film belge inédit en France). Chez la réalisatrice, déjà multi-récompensée pour son court métrage, Quelqu’un d’extraordinaire en 2014, on adore la capacité à interroger l’époque et le sens de la vie en réussissant le pari audacieux de faire coexister légèreté, profondeur, modernité et drôlerie.
Ici Sophia, alter ego version réalité augmentée de la réalisatrice, interprétée par la géniale Anne-Elisabeth Bossé (découverte elle aussi dans Les amours imaginaires, dans des facecam hilarants et voleuse de scènes en puissance), va voir son existence déjà problématique de doctorante au chômage basculer quand son frère Karim, avec qui elle vit depuis peu, va tomber en amour de sa jolie gynéco Éloïse. De ce canevas simple qui permet d’explorer des territoires aussi variés que la famille, la difficulté de construire sa vie et ses relations amoureuses, Monia Chokri tricote une comédie riche, émouvante et signifiante qui, à son image, affirme une vraie personnalité, un véritable style et s’affranchit de tous les standards. Portrait d’une trentenaire en crise brillante et maladroite qui a, comme le dit ce maudit adage, “tout pour être heureuse”, La femme de mon frère est réjouissant à plus d’un titre parce qu’il ne triche jamais avec ses personnages pour succomber à un quelconque effet. Cette jeune femme submergée par le doute et les questionnements existentiels existe et s’affirme, sa vie est faite d’éléments palpables, graves, sérieux, qui sont mis en valeur par une mise en scène fluide et stylée, et jamais regardée de haut. Pas de victimes, pas de bourreaux, pas d’évitement des vérités frontales et, en même temps, un humour salvateur et toujours savamment dosé qui fait le sel de ce portrait jouissif. Le film fait l’effet de ces petits sachets colorés de bonbons acidulés que l’on verse sur sa langue pour ressentir des émotions contraires : ça claque, ça pétille, ça gratte un peu la gorge et, parfois, la petite acidité fait poindre une larme au coin de l’œil.
Si dans chaque territoire de cinéma le cinéphile se plait à chercher les dignes héritier.e.s de Woody Allen, côté canadien Monia Chokri a tué le game dès son premier long métrage !
Réalisé par Monia Chokri. Avec Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon, Evelyne Brochu, Sasson Gabai, Mani Soleymanlou, … Durée : 1h57. En salles le 26 juin 2019. CANADA