Les sens de la vie
Le prologue fait immédiatement chavirer. En moins de dix minutes, Erwan Le Duc raconte (sans dialogues) une tranche de vie, déroulée en accéléré, délicatement mise en musique par Julie Roué : le coup de foudre, à 20 ans, d’Étienne et de Valérie, la naissance de leur fille, Rosa, leur bonheur, furtif, et le départ sans au-revoir de Valérie, abandonnant Rosa à Étienne. Seize ans ont passé. Rosa est désormais adolescente, et peintre en herbe. Le titre du film apparait sur l’écran comme une signature sur un tableau. C’est déjà une œuvre d’art.
L’écriture, le ton et le style Le Duc, on les avait découverts avec Perdrix (2019), comédie attachante qui avait son propre tempo. On les goûte à nouveau dans La Fille de son père, film tendre, drôle et fantaisiste où s’épanouissent des personnages aux yeux ronds comme la terre, campés par des comédiens à l’expressivité irrésistible – Nahuel Pérez Biscayart et Céleste Brunnquell en tête, merveilleux dans les rôles d’Étienne et Rosa, père et fille fusionnels qui se brossent les dents en rythme. Ils ne connaissent pas la vie l’un sans l’autre, mais ils vont devoir s’y préparer, et pour cause, Rosa va quitter le nid pour les Beaux-Arts de Metz. Erwan Le Duc raconte ce moment de transition précoce qui va remuer le duo et faire ressurgir son passé (Valérie, l’absente), en rouleau, comme des vagues. Des vagues qui vont porter Étienne et Rosa jusqu’à Nazaré, au Portugal. Tout un voyage. Aussi inventif, visuel et sonore qu’une comédie de Tati ou de Wes Anderson, La Fille de son père nous enchante du premier au dernier plan. Il s’y passe quelque chose de magique. Chaque séquence provoque surprise et émotion; de chaque personnage (principal et secondaire) émane une couleur, et Le Duc les mélange avec beaucoup d’amour et de soin. Ballons de foot (Étienne est entraineur), tubes de peintures et piano droit (Hélène, la compagne d’Étienne, en joue) sont les accessoires de cette comédie lumineuse (pleine de péripéties et de seconds rôles délicieux) qui porte un regard neuf sur la cellule familiale, la paternité et la symbolique du cordon à couper. On sourit, on rit, on pleure. Pourquoi se priver d’un tel bonheur ?
Réalisé par Erwan Le Duc. Avec Nahuel Pérez Biscayart, Céleste Brunnquell, Maud Wyler, Mohammed Louridi … Durée : 1H31. En salles le 20 décembre 2023.