Salle d’attentes
Rien ne va plus chez Raf (Valéria Bruni-Tedeschi, hilarante, déchirante), dessinatrice et sa chère et tendre Julie (Marina Foïs, contrefeu idéal de sobriété), éditrice. Elles s’engueulent tout le temps, de nuit comme de jour, par texto comme au petit déj sous les yeux blasés de leur grand fils (et beau-fils), Eliott. Leur état de rupture permanente trouve écho dans celle qui frappe le pays d’Emmanuel Macron. La colère gronde, les gilets jaunes ne lâchent rien quitte à prendre cher dans des affrontements hebdomadaires violents qui suivent un programme-liste d’acronymes connu d’avance (CRS, LBD, BFM…). Quand Raf se blesse en voulant retenir Julie, celle-ci accoure à son chevet pour veiller sur elle. Dans cette salle d’attentes diverses et variées d’une société qui va mal, des individualités émergent, occupent l’espace, comme dans un ballet ou une pièce de théâtre : Yann (Pio Marmaï à son meilleur), un chauffeur routier, gilet jaune engagé, blessé à la manif et qui ne pense qu’à sa peur de perdre on boulot et l’infirmière Kim (Aïssatou Diallo Sagna, véritable infirmière et comédienne formidable pour ce premier rôle au cinéma), jeune maman qui multiplie les gardes dans ce monde qui déraille.
La cinéaste de Trois Mondes (Cannes, 2012) en réunit encore plus dans cet hôpital qui devient en quelques minutes le cœur battant de ce film qui n’en manque jamais malgré la tension permanente que son scénario bien réglé entretient. Catherine Corsini lâche les chevaux dans La Fracture et c’est la guerre qu’elle filme dans ce huis clos plus que perméable au monde qui l’entoure ou l’envahit. Caméra au poing façon Kathryn Bigelow sur un terrain de combat, Corsini n’évite pas les mines, elle les fait exploser une à une dans un tourbillon incessant de rire, de détresse, d’aigreur, de colère et de sujets qui fâchent… La Fracture est un film de combat dans lequel il faut avoir la force de se laisser embarquer pour éprouver les émotions radicales qu’il distille. Ce qui se joue ici, c’est le dialogue social à l’œuvre dans sa brutalité mais aussi dans ses moments de beauté fugaces, d’attention à l’autre, de prise de conscience de soi. C’est un petit théâtre. C’est une pièce de Beckett où plus personne n’oserait encore attendre Godot, une tragédie grecque dans laquelle le chœur antique s’écharperait à coup de lacrymo, une comédie boulevardière hilarante sur le couple et la révolution, un monologue intérieur entêtant que Catherine Corsini restituerait sans filtre et surtout pas celui de la bienséance, une claque dans ta gueule juste avant un baiser, une fracture ouverte qui mettra du temps à cicatriser.
Un film de Catherine Corsini produit par Chaz Productions et distribué par Le Pacte.Prochainement en salles.