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La Mer au loin de Saïd Hamich Benlarbi

par | 5 Fév 2025 | CINEMA, z - 2eme carre gauche

Une éducation sentimentale 

Dans son premier long métrage, Retour à Bollène (2018), Saïd Hamich Benlarbi racontait le retour délicat d’un jeune homme dans sa ville natale, après de longues années d’absence. Puis, il a réalisé un court métrage Le Départ (2020), nommé au César, où il adoptait le point de vue d’un enfant de 11 ans et faisait le récit de son exil, du Maroc vers la France. Avec La Mer au loin, le producteur et réalisateur franco-marocain reprend les mêmes thèmes et signe une fresque qui se déploie sur une décennie, avec Marseille comme point de départ et d’arrivée. La Méditerranée, qu’on voit au loin, incarne le passage des exilés d’une terre à l’autre. Elle est une passerelle, matérielle, mais aussi culturelle et émotionnelle. C’est par le prisme de l’intime que le film évoque ce sentiment d’errance et de non-appartenance vissé au corps et au coeur de Nour, le héros, joué par Ayoub Gretaa. Quand il débarque à Marseille (en provenance du Maroc), il a alors la vingtaine et l’insouciance qui va avec. Il vit au jour le jour, clandestinement, de petits larcins commis avec ses amis et compatriotes. Quand la bande de copains se divise, chacun doit trouver son chemin pour s’intégrer. L’un fait le choix du mariage arrangé, une autre décide d’épouser un français, un autre encore travaille la tête basse dans une ferme. Quant à Nour, son avenir semble flou (la menace d’expulsion pèse sur lui à chaque seconde), jusqu’à ce qu’il rencontre Serge (Grégoire Colin), un flic ripoux qui, après l’avoir arrêté, se prend d’affection pour lui. Tout comme la femme de Serge, Noémie (Anna Mouglalis), avocate et libre de corps et d’esprit. La rencontre avec ce couple pas comme les autres va bouleverser la trajectoire de Nour et réveiller des passions inattendues. Les années passent, mais le jeune homme a toujours les yeux brillants de mélancolie. Ils brillent aussi d’espoir, celui d’une vie simple et tranquille, aux côtés de Serge et Noémie. Les émotions pulsent au rythme du Raï, cette musique qui dit le mal du pays et le désir de vivre et de danser (dont les années 80/90 seront un âge d’or à la cité phocéenne). Saïd Hamich Benlarbi n’a pas peur du mélodrame. Il embrasse le genre et inscrit immédiatement son film dans le sillage de Douglas Sirk, mais aussi de Fassbinder – ça sent l’alcool et le cuir. Sans jamais copier ses modèles, le réalisateur trouve le souffle romanesque parfait (découpage en plusieurs chapitres, comme des temps forts) pour raconter cette histoire et représente Marseille comme on l’avait rarement vue représentée jusqu’ici, à travers les yeux de celui qui découvre et se cache en même temps, nous conduisant jusque dans les bas-fonds de la ville et les bars de quartier interlopes. Aucune fausse note. La mélodie nous emporte et nous berce comme les vagues, que Nour malgré son parcours a toujours à l’âme.

Écrit et réalisé par Saïd Hamich Benlarbi. Avec Ayoub Gretaa, Anna Mouglalis, Grégoire Colin… 1h57 – The Jokers – En salles le 5 février 2025.

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