Trouble et vertige
Après huit longs métrages au succès inégal (comme l’injuste échec de Ma vie avec John F Donovan), le jeune prodige du cinéma québécois se mesure à l’exercice de la série télé. Retour aux premières amours puisque son tout premier scénario était déjà une série, restée hélas dans les tiroirs. Le jeune homme qui a grandi avec Buffy et les séries HBO (rien à redire !) adapte pour la troisième fois, – après Tom à la ferme et Juste la fin du monde – une pièce de théâtre écrite ici par Michel Marc Bouchard. Cinq épisodes dont Xavier Dolan signe le scénario (touffu et souvent étouffant) et la mise en scène, d’une fébrilité indéniable et appréciable, mais prenant parfois le risque de jouer contre son propre camp. L’enfant de la télé maîtrise avec gourmandise les recettes de l’écriture sérielle. Entendez une façon maligne de jouer sur les interruptions brutales du récit et les “cliffhangers” en forme d’images manquantes et de contrechamps à venir. Procédés jamais mécaniques, en forme d’échos à la narration elle-même puisque jusqu’au bout (et d’ailleurs le dernier épisode reprend le titre de la série), il reste à découvrir ce qui s’est réellement passé la nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.
Tout commence en trompe-l’œil par une scène d’agression homophobe. Un jeune homme est retrouvé molesté et attaché à un poteau où flotte un drapeau arc-en-ciel. Mais le récit se détourne très vite (pas complètement on s’en doute) de ce point de départ pour s’intéresser à une famille dont la mère, autrefois femme politique à
l’échelle locale, va mourir. Son agonie est l’occasion pour sa fille Mireille (excellente Julie Le Breton) de revenir dans cette bourgade qu’elle quitta de nombreuses années plus tôt. Elle est thanatologue et prend en charge la dépouille de sa mère. Un long récit habilement mené (du moins à partir du troisième épisode qui remet un peu de logique dans le désordre sans doute voulu mais parfois déconcertant des deux premiers) qui remonte le temps pour en arriver à cette fameuse nuit où le destin de Madeleine et de ses enfants a basculé, et convoque les thématiques chères à son auteur. Sur scène les flash-backs du récit prenaient la forme de monologues, chez Dolan – et c’est une réussite – ce sont de glissements presque imperceptibles. Autrement dit, qui ne sont marqués par aucun changement visible (comme souvent) de lumière ou de chromo. Cette boucle temporelle repliée sur elle-même et qui fonctionne comme une obsession au mouvement perpétuel crée indéniablement à l’écran de trouble et du vertige. Dire que tout est convaincant dans ce premier essai télévisuel serait exagéré. Il y a objectivement un chapitre de trop et à l’image cela se ressent parfois comme une accumulation de tics de mise en scène qui semblent combler une narration étendue un rien artificiellement sur cinq heures. Mais ce trop-plein est paradoxalement un des atouts de La Nuit où Laurier… car elle dit aussi le traumatisme de cette fameuse soirée, le déni et l’omerta du silence qui l’ont accompagné. Et les fausses apparences puisque la principale piste (la violence faite à une jeune fille) pourrait bien apparaître comme un leurre. Il est permis de regretter pour une large majorité d’entre elles un traitement parfois appuyé des personnages féminins qui, à l’exception de Mireille, sont verbalement agressives et campées de manière outrancière. Mais dans ce registre de l’emphase (y compris dans le montage frénétique), l’émotion (et c’est à porter au crédit de Dolan) finit par émerger et vous enserrer, tout comme les protagonistes, de son pouvoir délétère. Un coup d’essai imparfait mais néanmoins fort prometteur.
5 épisodes disponibles sur Canal+