Les visages du Brésil
Après l’étonnant Bacurau (en compétition au Festival de Cannes 2019) et le génial documentaire d’archives Portraits fantômes (2023), le réalisateur brésilien Kleber Mendonça Filho fait son retour en salles avec L’Agent secret, une fresque labyrinthique à la fois intime et politique qui a valu à Wagner Moura, l’interprète principal, le Prix d’interprétation masculine du dernier Festival de Cannes et à Kleber Mendonça Filho, le Prix de la mise en scène. Des images d’archives du carnaval précèdent la découverte d’un corps gisant depuis plusieurs jours dans une station-service déserte, sans que cela n’affecte la police du coin. Les agents préfèrent interroger notre héros, Armando (Wagner Moura), fuyant le Sud pour retrouver Recife, sa ville natale – celle du réalisateur aussi, décor majeur de son cinéma. Il nous la dépeint cette fois-ci en pleine dictature militaire. C’est l’année 1977 et les couleurs du carnaval s’affichent. Cependant, L’Agent secret n’est pas un film d’époque, mais un film de plusieurs époques, y compris la plus actuelle – la corruption d’État décrite fait autant écho aux années Bolsonaro qu’aux États-Unis de Donald Trump. C’est moins la reconstitution des années noires qu’une restitution mémorielle et sensorielle à laquelle se livre le réalisateur, jouant des temporalités, des ruptures de rythme et de ton pour marquer le coup. Le mélange des genres est lui aussi savoureux. On passe du film de cavale au film gore (avec une jambe retrouvée dans le ventre d’un requin mort), du mélodrame au western. L’horreur côtoie le grotesque, parfois même le burlesque. Les plans s’étirent comme pour mieux raconter la menace politique permanente – la mise en scène tutoie l’écriture virtuose de l’écrivain chilien Bolaño. Mendonça Filho n’a jamais aussi bien raconté l’histoire du Brésil, les différences sociales qui opposent son Nordeste natal au Sud du pays, et l’héritage de ces années pesantes de dictature. Et que serait la convocation du souvenir sans exhumer la pellicule ? De la référence explicite aux Dents de la mer (1975), que le réalisateur a lui-même découvert enfant dans un cinéma de Recife, à celle de L’Homme de Rio de De Broca (dont le titre brésilien est L’Agent secret), des cabines privées de projection aux salles de cinéma transformées aujourd’hui en églises ou cliniques privées… Autant des pièces du puzzle que forme cette ode magistrale à la mémoire, au cinéma et à la démocratie.
Écrit et réalisé par Kleber Mendonça Filho. Avec Wagner Moura, Gabriel Leone, Maria Fernanda Cândido… 2h40. Ad Vitam. En salles le 17 décembre 2025.


