Épisode 7 : Nous sommes sûrs de nos choix, maintenant nous sommes prêts
Sébastien Marnier est entré dans la phase de préparation de tournage de son troisième long métrage L’Origine du mal. Chaque jour sur les réseaux sociaux, le réalisateur tient son journal en un post et une image. Retrouvez chaque week-end sur FrenchMania l’intégralité de son journal de bord de la semaine. La semaine 7, c’est la dernière dans les bureaux parisiens, la dernière chance de tester coiffures, tenues, accessoires, placements de caméras… avant le départ sur les décors, dans le Sud.
JOUR 31
PRÉPA
Cette fois-ci, c’est la vraie dernière ligne droite et les jours passés ont été synonymes de grands soulagements et de grands plaisirs.
D’abord parce que Stephen, le chef opérateur du son est arrivé à son tour en France. L’équipe canadienne est donc au grand complet, il leur faut maintenant supporter les derniers jours de quarantaine !
La joie aussi d’avoir eu une idée qui me comble : Dans L’Origine du mal, il y a une séquence de procès et j’avais demandé à mon amie Caroline de m’aider à l’écrire, pour être au plus près de la réalité. La semaine dernière, je lui ai demandé si elle ne voulait pas jouer la scène accompagnée de ses deux associées que j’aime tant… l’idée leur a plu et nous avons pris rendez-vous pour faire des essais. Elles avaient un peu les chocottes mais elle se sont lancées et ont été étonnantes ! Il y a encore du boulot mais je suis très content, elles vont apporter une véracité à ce moment. Elles ont un vocabulaire particulier, une musicalité différente, le sens du détail qui sonne vrai et surtout, elles vont jouer comme des avocates en pleine plaidoirie, c’est-à-dire en jouant un peu à côté, en tout cas pas comme des actrices l’auraient fait. Nous avons fait une répétition pendant 3 heures et c’était la première fois que je les voyais avec leur robe. Elles vont être belles et puissantes même si je les ai mises en garde contre le trac qu’elles auront assurément le jour J, en arrivant sur le décor mais surtout en découvrant mes monstres d’acteurs assis à leur côté ! Elles sont les meilleures amies du monde et se soutiennent depuis des années dans les épreuves, j’aime énormément les regarder toutes les trois, ce sera pour elles et pour moi, un beau souvenir de les voir réunies à l’image.
Le lendemain, la journée a duré un peu plus de 15 heures.
Nous avons commencé par un zoom de 4 heures avec Romain et Lucile où nous avons passé en revue chaque jour du tournage pour affiner le plan de travail. C’est un exercice laborieux mais nous ne sommes pas loin d’être opérationnels. Un plan de travail est un puzzle ou plutôt un labyrinthe avec plein de culs de sac, ce travail titanesque prend plusieurs semaines car il s’agit pour Lucile de comprendre comment je veux tourner les scènes puis définir combien de temps cela prendra sur le plateau. A cela se rajoute des impératifs à respecter comme les horaires de travail, les heures de nuit, les heures de récupérations d’un jour à l’autre pour respecter la convention collective, les indisponibilités de certaines actrices, les horaires imposés par certains décors et surtout par ceux du lever, du coucher et de la position du soleil, c’est pour cette raison qu’une séquence qui doit impérativement se passer entre chien et loup sera tournée 5 soirs successifs : à cette heure-ci, impossible de tourner plus de 50 minutes alors il n’y a pas d’autres choix que de la découper ainsi.
Les journées vont être très très denses mais à part deux ou trois, aucune ne me semble impossible à tenir.
Le tournage va durer 35 jours. Ce sera comme à chaque fois, une course contre la montre pour filmer tous les plans dont nous auront besoin au montage. C’est très court mais nous savons faire… mais si un jour, une chaine hertzienne décidait enfin de participer au financement de l’un de mes films, on ne serait pas contre d’avoir un peu plus de temps !
Bisous France 2, France 3 et Arte.
JOUR 32
PRÉPA
Ce nouveau jour était consacré en partie aux essais coiffure de Doria, de Céleste, de Véronique et de Dominique, toutes plus spectaculaires les unes que les autres.
J’ai enchainé une réunion avec Marine qui consistait à éplucher chaque séquence du scénario pour lister tous les accessoires qu’elle devra nous fournir jour par jour sur le tournage. Cela va du briquet à la clope à moitié fumée dans un cendrier, du journal qui sera posé sur la table, au pot de confiture, au beurre et aux biscottes mais aussi au kit de randonnée qu’elle devra fournir aux figurants qui débarqueront sur Porquerolles, à tous les téléphones des personnages, aux bougies, aux encens, à la rampe à gaz pour que la cheminée s’allume en un claquement de doigt et même à la machine à fumée qui donnera l’illusion de vapeur dans les salles de bains et les vestiaires de l’usine. Cette litanie insensée de trucs, de choses et de bidules est devenue, au fil des heures, une sorte d’inventaire à la Prévert….
Je ne parle plus de la team déco car ils ne sont plus dans les bureaux mais ils travaillent comme des fous dans le Sud. Ces derniers jours, ils ont réceptionné toutes les livraisons de meubles, les fleurs, les cartons et nos animaux naturalisés pour les stocker dans l’une des dépendances de la maison. Depuis hier, ils ont accès à la maison et ont commencé l’aménagement. J’aimerai tant être avec eux pour découvrir les avancées mais je devrai patienter jusqu’à lundi prochain. J’ai hâte de les retrouver, Damien, Joy et Thomas manquent beaucoup au bureau !
A partir de 17h, c’était THE réunion costumes, celle qu’on attendait depuis des semaines. Une réunion qui allait durer jusque très tard dans la nuit avec Marité, Suzanne, Bérénice, Nathalia et Mario. Réunion besogneuse, intense mais ponctuée de fous rires, de grand n’importe quoi et traversée de fulgurances : plus la soirée passait plus nous plongions dans une sorte de transe païenne, bigarrée et couverte de strass organisée par la fée des Lilas.
Cette réunion consistait à valider chaque vêtement, chaque silhouette, chaque accessoire – mais différents de ceux de Marine, il faut suivre – et chaque bijou que porteront tous les personnages du film, dans toutes les scènes.
Les différentes journées du scénario étaient représentées sur un mur entier du bureau et des traits au crayon – à même le mur oui oui – formaient une sorte de grand tableau Excel mais en mode art brut. Des photos prises lors de différents essais avec les comédiennes et le comédien étaient imprimées en petit format puis collées au fur et à mesure sur le mur dans la case correspondante.
Nous avons ainsi pu affiner l’évolution de chacun au fil de l’histoire, la manière dont ils se transforment, la manière dont ils se nourrissent des vêtements des autres, comment l’une d’entre elles se métamorphose et surtout, et c’est ce qui nous a galvanisé, au point de faire faire la danse de la joie à Marité : la circulation des vêtements entre les personnages.
Ça parait sûrement abstrait comme ça et c’est sûrement un détail pour vous mais pour nous, ça veut dire beaucoup. Dans notre film, le vêtement racontera à sa façon ce qu’est une famille ; ce qui appartient au patriarche, ce qui appartient aux parents mais que les enfants convoitent, ce qui est interdit à celui qui est extérieur à cette famille… et puis finalement comment un manteau, une bague, une étole finiront par créer un lien entre des personnages que pourtant tout oppose.
Rien de superficiel dans cette affaire ni de superflu ; au contraire, une multitude de détails essentiels ! Comme la photo, la déco, la musique, le son, le maquillage, les coiffures et la mise en scène, les costumes prendront en charge une partie de la narration sans passer par la sempiternelle case dialogues… ils auront leur propre pouvoir d’évocation et apporteront au film toute leur noire magie.
JOUR 33
PRÉPA
Une immense fatigue m’envahit ces dernières heures mais je veux vous raconter la journée d’hier.
C’était le jour des retrouvailles.
Avec Suzanne Clément, enfin sortie de sa quarantaine et testée négative. Quelle joie de l’attendre de si bon matin du côté de Faidherbe. À l’entrée de la salle de sport où je fume une clope, elle approche. Silhouette fine, sculptée, presque juvénile. Derrière son masque, je reconnais ses yeux pétillants, elle semble à la fois heureuse d’être enfin avec nous mais aussi un peu apeurée par ce qui l’attend. Je ne l’écris pas si souvent, car cela tombe sous le sens, mais je suis en amour pour mes acteurs. Toute la troupe qui m’a rejoint sur ce nouveau projet est composée d’actrices et d’acteurs que je chéris. Que j’admire aussi.
Laure, Doria, Dominique, Jacques, Véronique, Céleste, Naidra, Clotilde. Suzanne, puisque ce sont nos retrouvailles, m’a renversé dans les films de Xavier Dolan (je ne suis pas le seul, hein !). Dans Mommy et dans Laurence Anyways. Particulièrement dans celui-ci. Jamais je n’oublierai sa composition, sûrement pour moi, l’une des plus renversantes de ces dernières années. Dans ce film, elle était bouleversante, fulgurante, elle était le feu et la glace, la fantaisie et le grand amour personnifié. La fêlure et le sacrifice. Le rôle était grand et j’avoue que je n’ai toujours pas compris comment Xavier Dolan avait pu écrire et filmer un personnage aussi puissant, aussi riche, en étant si jeune !!! Ce film, je l’aime sans retenue. Alors quand Suzanne passe la porte du club, j’ai le cœur qui chavire un peu. J’ai la musique de Moderat dans la tête. Mais je ne montre rien. Je suis là pour la rassurer, la mettre en confiance car ce qu’elle s’apprête à faire pour le film, ce qu’elle va nous donner, je le crois sincèrement, sera comme un uppercut.
Suzanne s’avance sur le tatami, ultra sèche, musclée, prête, archi prête pour une répétition de baston.
Je lui présente Manu, notre répétiteur cascades préféré. J’ai déjà travaillé avec lui sur L’Heure de la sortie (il a entrainé tous mes jeunes acteurs à se battre, à se suspendre dans le vide, à se noyer…), je lui présente aussi Blandine Laignel qui lui donnera la réplique dans plusieurs scènes et avec qui elle devra se battre. Blandine, je veux dire aussi que c’est ma révélation de ces derniers mois. Je donnais une master class en décembre avec une vingtaines d’acteurs, tous assez passionnants et parmi eux, il y avait elle. D’abord timide, rougissante, voix pas vraiment assurée et puis une étincelle, et puis le feu. Une voix singulière presque détimbrée, un corps souple de danseuse (elle a travaillé dix ans dans la troupe de Pietragalla), des propositions toujours justes, des cheveux comme des méduses… Je voulais absolument qu’elle nous rejoigne sur le film.
Toute la matinée, nous avons testé, modelé, décomposé, recommencé, encore et encore une chorégraphie entre Blandine et Suzanne. Je veux que leur bagarre soit brutale, quotidienne et en même temps, qu’elle nous terrasse de chagrin. Après 4 heures d’entrainement, nous sommes parvenus à quelque chose. Les filles devront revoir Manu au moins une fois : leurs mouvements doivent être suffisamment assimilés pour paraitre fluides et surtout pour ne pas qu’elles se blessent.
Mes yeux se ferment. Le chat ronronne sur mes genoux, je bois du thym avec du miel et je commence à me gaver d’huiles essentiels. Les prochaines semaines vont être folles et je dois à tout prix garder la forme. Je voulais partir en Suisse pour changer mon sang mais ce n’était ni raisonnable ni dans mes moyens.
À demain.
(Et surtout merci pour votre fidélité et pour vos très nombreux messages qui me font extrêmement plaisir).
JOUR 34
PRÉPA
C’est avec une immense joie que je vous annonce aujourd’hui que Pierre Lapointe et son acolyte Philippe Brault composeront la musique originale de L’Origine du mal. Ou plutôt, je vous annonce que Pierre et Philippe ont déjà commencé à composer la musique de L’Origine du mal.
Pour être tout à fait honnête, Pierre est l’un de mes musiciens préférés et je rêvais de travailler avec lui depuis pas mal d’années. Je suis donc incroyablement heureux et honoré qu’il ait accepté ma proposition.
J’ai déjà écouté pas mal de choses et c’est une chance folle de pouvoir partir en tournage avec plusieurs thèmes en tête, plusieurs ambiances et une certaine idée de l’émotion que la musique de Pierre et Philippe ajoutera aux images.
Il me tarde vraiment de vous faire écouter ça !!!!
Pierre chantera également la chanson originale du film en duo avec…
Soyons fous, gardons encore un peu de mystère avant de nous déflorer totalement.
JOUR 35
PRÉPA
Voilà, aujourd’hui, c’est le dernier jour de prépa dans nos bureaux parisiens.
Quand j’ai commencé à écrire ce journal de bord, j’avais décrit des lieux froids et un peu tristes. Deux mois plus tard, si vous pouviez voir le bordel et la chaleur humaine qu’il y a ici, partout, dans chaque recoin !
Ce soir, les camions vont être remplis et mardi, Anaïs éteindra la lumière des bureaux.
Avant cela, les dernières 48 heures ont été, une fois encore, incroyablement riches.
Nous avons commencé par une journée entière d’essais caméra à la Plaine Saint-Denis. Pour ceux qui l’ignore, il s’agit d’une session de travail en condition quasi réelle pour tester nos choix d’objectifs, découvrir l’amplitude des zooms, faire une batterie de plans techniques pour découvrir comment les lumières se diffusent, comment l’image réagit quand un acteur passe subitement d’une lumière chaude à une lumière froide, de tester les différentes focales mais aussi de vérifier si tel vêtement bigarré zébré pailleté de Marité passe bien à l’image.
C’est aussi l’occasion d’essayer des filtres sur les visages des comédiens, pour rendre leur carnation la plus belle à l’image – ou la plus flippante, tout dépend des séquences – de corriger quelques imperfections ou au contraire de les accentuer. C’est un moment particulier ces essais caméra car une bonne partie de l’équipe est là ; pour la première fois, nous sommes quasi au complet. C’est à cette occasion que je découvre ceux que je ne connais pas encore, notamment les assistants caméra, les assistants machino et les assistants électro.
Tout le HMC – c’est-à-dire, les pôles Costume, Maquillage, Coiffure sont également présents car nous avons besoin de voir les comédiens dans la peau de leur personnage. Et c’est là, justement, que nous voyons pour la première fois, les personnages s’incarner. Et ça, je peux vous assurer que c’est très émouvant !
Je regarde Dominique Blanc traverser le hangar en kimono, “embijoutée” et coiffée, elle s’approche vers nous. Sur son chemin, elle croise Jacques Weber qui retourne vers les loges, puis je détourne le regard et j’aperçois Laure Calamy en train de boire un café et rire à gorge déployée avec Suzanne Clément qui, sortie de sa quarantaine, peut enfin faire ses premiers essayages. À ce moment, je me dis que je suis un sacré veinard ; faire des films, c’est travailler beaucoup, tout le temps, ne jamais compter ses heures, être envahi par ça, ne penser qu’à ça au risque parfois de se déconnecter un peu trop du réel, de ses amis, de sa famille, c’est être comme dans un monde parallèle où je suis souvent seul avec mes personnages, mes poupées, mes monstres, mes démons, mes terreurs. Mais pour ce que nous vivons en ce moment, cette joie collective, je ne donnerai ma place à aucun autre.
Avant de fermer les bureaux, nous avons enchainé avec des nouvelles répétitions cascades, des répétitions pyrotechniques, avec le visionnage des essais caméra chez M141 – où je ferai le montage et l’étalonnage du film, débriefé longuement avec Romain ces essais. Nous sommes sûrs de nos choix, maintenant nous sommes prêts. On commence même en avoir un peu marre du bureau. C’est bon signe, on veut de l’action, on veut du mouvement, on veut voir notre histoire s’incarner, on veut enchainer les plans.
En attendant ça, pour la première fois en 8 semaines l’équipe parisienne s’est réunie, masquée, pour trinquer. A notre travail, à notre prépa merveilleuse, à nos fous rires, à ce qui nous attend, à notre équipe et à notre amour pour le cinéma.
Maintenant, direction Le Pradet où il fait déjà 17 degrés.