Après notre escale au quartier la Sorbonne, nous avons choisi de passer rive droite, dans le Nord parisien, au sein d’un espace plus agité que la moyenne. A cheval entre le 10ème et le 18ème arrondissement, sortie métro Barbès, il règne un mouvement permanent, un tourbillon humain et cosmopolite, une farandole de klaxons et de moteurs au croisement des Boulevard Magenta et Rochechouart, surplombés par le métro aérien. Au beau milieu de ce tumulte, un édifice improbable : le Louxor.
Egyptomanie sur les rives Rochechouart
Dans la diagonale opposée à l’imposante tour Tati – l’enseigne domine fièrement ce brouhaha -, un palais royal venu d’ailleurs. Un bâtiment qui semble avoir émergé de terre par magie, et un peu par hasard, dans un environnement qui ne lui ressemble pas. Sa façade, clairement inspirée par l’architecture et la culture égyptiennes, lui confère une aura atemporelle et féérique. Sur l’arête gauche de la façade est inscrit en grosse lettres « Louxor – Palais du Cinéma ». Une inscription qui aura bientôt 100 ans (en 2021) mais qui n’a repris sens qu’en 2013, année de sa réouverture après des décennies de fermeture et de travaux (pour la petite histoire, le Louxor n’a fait office de boîte de nuit que pendant deux années de 1986 à 1988).
Le Louxor est longtemps resté un lieu fantôme, dont les mûrs détériorés servaient de panneaux d’affichage. Aujourd’hui il a repris vie, tout en conservant le patrimoine d’une époque aux influences incongrues : sa façade égyptomanique a été gardée telle qu’elle tandis que l’intérieur du lieu fut réhabilité par un architecte qui a tenu à respecter l’influence égyptienne de l’extérieur du bâtiment et de son nom évidemment, référence à la ville des bords du Nil. Venir voir un film au Louxor est donc une expérience assez unique en soi. Ses mosaïques et ses vitraux ornés de symboles égyptiens – le logo du cinéma est par ailleurs un scarabée en forme d’amulette – lui donnent, il faut bien l’avouer, un aspect complètement kitsch et désuet (choix qui s’expliquerait par l’attrait pour la culture égyptienne à l’époque des grandes expositions universelles dans les années 1920). La plus grande des trois salles du cinéma assume totalement ce postulat. Ornée de fresques murales sur fond jaune criard, surplombée par des moules de masques de pharaons où les dorures s’épanchent des mûrs aux balcons, cette salle pouvant accueillir 340 personnes est un lieu de cinéma à l’esthétique douteuse. Mais c’est bien par cette absence de demi-mesure et cette surcharge décorative que le cinéma assoit finalement sa personnalité unique et si précieuse. On adore ce Louxor à la configuration labyrinthique dès lors qu’on emprunte ses escaliers nombreux menant aux divers balcons de la grande salle. Au détour de notre balade, on peut tomber sur un petit salon au calme, canapé vintage molletonnés et vitraux égyptiens – réservé essentiellement pour de petites expos – ainsi qu’un bar au troisième étage doté d’une terrasse qui domine toute l’agitation du carrefour Barbès-Rochechouart. « Le cinéma est un lieu social important » souligne Emmanuel Papillon, son directeur, « même quand on n’y connait personne, venir en salle est toujours un événement collectif ».
Lieu social pour cinéphiles exigeants
Fauteuils confortables, qualité de projection irréprochable, isolation des salles impeccable malgré la teneur sonore du quartier; on se sent bien dans ce cinéma, et si certains lui prêtent une réputation un peu bobo, Emmanuel Papillon confirme que l’essentiel du public vient du quartier populaire. Le Louxor, un cinéma de proximité en somme, l’unique dans un 18ème arrondissement peuplé par 210 000 habitants (pour vous donner une idée, la ville entière de Bordeaux en compte 246 586), le Louxor est important dans le paysage des cinémas parisiens et enregistre un nombre d’entrées pharamineux, pour ne pas dire pharaonique (à 250 000 entrées par an, le cinéma a dépassé la barre du million d’entrées depuis sa réouverture). Pour autant, restant une délégation de service public, il se doit de répondre à un cahier des charges spécifique (notamment remplir le quota de films d’art et essai) et de fait, se livre à une programmation pointue. « Nous répondons à un vrai désir de cinéma et à une certaine exigence » explique Emmanuel Papillon. « Nos spectateurs principaux sont des cinéphiles et du jeune public, nous adaptons notre programmation en fonction de ces critères. Les films sont essentiellement des sorties nationales, sans contraintes de diffusion hormis 25% de films européens (hors français) exigés, mais sinon « on fait un peu ce qu’on veut avec le programmateur Martin Bidou, sachant que nous n’avons pas de concurrent, nous avons une grande liberté » poursuit-il avant d’affirmer aussi « mettre en avant le cinéma asiatique, très productif ».
Dépourvu de publicités avant chaque projection, le Louxor réserve une place de choix aux films d’animation. On s’est d’ailleurs récemment régalé avec la diffusion en avant-première de la très chouette animation française (cocorico !!) de Benjamin Renner et Patrick Imbert Le Grand Méchant Renard et autres contes, présenté par Benjamin Renner lui-même, réalisateur et dessinateur de la bande-dessinée dont le film est adapté. En marge de la programmation nationale, le Louxor se permet quelques parenthèses thématiques avec prochainement, un cycle de films italiens des années 1950 en Juillet, et une rétrospective Luis Buñuel prévue pour Août.
Cinéma Le Louxor
170, boulevard Magenta, 75010 Paris
Métro : Barbès-Rochechouart
Plein tarif : 9,50€
Cartes UGC Illimité et le Pass acceptées