La délicatesse
Depuis quelques années, Christophe Honoré confronte intensément sa création artistique à la mélancolie des certains souvenirs personnels. Il y eut d’abord le triptyque intime cinéma-littérature-théâtre : Plaire, aimer et courir vite, Ton père, Les Idoles, navigant entre les premiers émois homosexuels, la paternité, le SIDA, et l’héritage culturel ; suivi d’une incartade avec Chambre 212 et Guermantes comme deux déclarations d’amour à la fois au 7ème art et aux planches. Et c’est sur celles-ci, qu’il convoquait l’an dernier à l’Odéon, ses fantômes et ravivait ses drames familiaux par la pièce Le Ciel de Nantes. Dans Le Lycéen, le réalisateur des Chansons d’amour poursuit dans une veine teintée d’éléments biographiques, avec une chronique adolescente, celle de Lucas (Paul Kircher, vraie révélation), confronté à la perte du père dans un accident de voiture, un père interprété brièvement par Christophe Honoré lui-même avant qu’il ne laisse toute la liberté à son acteur principal, comme pour mieux le regarder. Sous forme de confession, Lucas confie par le récit adressé, comment sa « vie est devenu une bête sauvage ». Le douloureux deuil le fait quitter momentanément sa mère (Juliette Binoche) et le guide vers la capitale où vit son grand frère (Vincent Lacoste). Le cinéaste fait du Lycéen, un film aux cadres plus resserrés sur l’intimité. Car c’est de son chaos intérieur que l’adolescent s’exprime, anesthésié par la douleur. Le Paris qu’il découvre devient le lieu des permissions, des possibilités de ressentir de nouveau des sensations, jusqu’au silence révélateur. Lucas expérimente des premières fois de jeunesse vues à maintes reprises au cinéma et pourtant il y a chez lui – grâce aussi au jeu déstabilisant de Paul Kircher – une nouveauté, celle d’un jeune homme inscrit dans un temps romanesque de cinéma,, c’est à dire partout et nulle part, en 2022 comme en 1980. Et quand la mémoire des années 1990 sollicitée dans Plaire, aimer et courir vite se teintait d’un bleu mélancolique, la colorimétrie du Lycéen passe par toutes les nuances du rose ingénu imprégnant la nature et les costumes. Un rose vital, de la fleur de l’âge où l’image toujours délicate laisse exploser le vivant et les émotions exacerbées, où pleurer, aimer, rire, hurler et même se taire se fait dans la viscéralité la plus totale, et sur les notes d’Orchestral Manoeuvres In The Dark, comme si par cette éducation sentimentale l’œuvre de Christophe Honoré se régénérait.
Réalisé et écrit par Christophe Honoré avec Paul Kircher, Juliette Binoche, Vincent Lacoste, Erwan Kepoa Falé… 2h02 – France – En salles le 30 novembre 2022 – Memento Distribution.