Élégie amoureuse
Joe réside dans un centre de détention pour mineurs. Un lieu clos qui entrave ses rêves de liberté. Un irrépressible besoin de vivre en dehors de ces murs gris qui le pousse, au début du film, à compromettre son avenir en fuguant une fois encore. Un espoir déçu et déchu lorsqu’il est ramené dans le centre. C’est alors que débarque William, autre mineur, plus mutique, plus mystérieux. Entre eux deux, c’est l’étincelle d’un amour qui n’a pas besoin de se déclamer pour se concrétiser. La beauté abrasive de ce film premier film est de commencer là où s’achèvent généralement les romances gays. Zeno Graton ne tombe dans aucun des clichés d’écriture inhérents à ce genre de fiction. Pas de doutes, de regards inquiets ou d’homophobie latente. Le désir est spontané. Naturel. Reconnu de toutes et tous. Une fois posées, les bases de cette liaison au grand jour, le jeune cinéaste belge peut passer à autre chose. En particulier à la question plus sociétale de ces centres d’incarcération qui pensent aider des jeunes en errance mais ne font que les enfermer encore plus dans leur condition de citoyens déclassés. Ou comment la machine à déterminisme judiciaire continue à les ostraciser un peu plus. Le cinéaste ne cache pas son admiration pour Jean Genet, immense écrivain pour lequel l’homosexualité, la prison et l’affranchissement des codes hétéronormés étaient des engagements idéologiques. Dans cette variation du célèbre « Chant d’amour », Zeno Graton réinterroge celles-ci à l’orée de notre époque et des nouvelles définitions de la représentation queer. Une œuvre contemporaine, impliquée, portée par une mise en scène qui raréfie le discursif (pas de longs dialogues pour accompagner l’amour balbutiant ou le message de tolérance dont le film fait intelligemment fi) pour filmer les corps et en faire le vecteur de la caméra. Avec un sens très accompli et subtil de la géométrie de l’image, travaillant les cadres dans le cadre, jouant de perspectives tronquées et lignes de fuite brutalement interrompues, le découpage édifie autour des deux héros (Khalil Gharbia, Julien De Saint-Jean bouleversants) et de leurs camarades un espace qui les claquemure et les étouffe. Le scope édifie ici une beauté sensorielle dans sa manière de faire cohabiter les comédiens et l’impact du désir sur le grain de peau (mention spéciale à la photo qui sublime la composition de l’image). Fuir pour fuir soit. Mais si c’est pour fuir seul, à quoi bon ? s’interroge le jeune cinéaste. Rejoindre une autre prison que serait la solitude ? Alors oui affirme-t-il, vivons pour aimer, trouvons refuge dans les bras de l’autre et faisons tomber les murs d’un monde qui ne sait que réprimer. Film bruissant, intense, intelligent et sensuel, ce « Paradis » pose comme politique la question de la tendresse. Sublime message d’espoir.
Réalisé par Zeno Graton, avec Khalil Gharbia, Julien De Saint-Jean, Amine Hamidou… Durée : 1H23. En salles le 10 mai 2023.