La guerre des rosses
Précédemment repéré avec Funambules, remarquable documentaire interrogeant la santé mentale et les frontières ténues qui nous séparent de la folie, Ilan Klipper revient avec une comédie n’ayant pas peur de s’aventurer sur un terrain ô combien balisé : celui du couple. Un canevas dramaturgique maintes fois essoré mais auquel il insuffle une insolence et une impertinence bienvenues, replaçant le traditionnel schéma narratif (un mari, une épouse, des enfants) sous un jour plus contemporain (comment défendre son modèle amoureux face à des sociétés modernes de plus en plus individualisées ?) et universel, questionnant les valeurs fondamentales de l‘amour. Entre Marie et Simon, la complicité des premiers jours a fini par se faire rivalité et agressivité. Tout est objet de conflit. De défense de territoires. De défiance. Las de ces récurrents excès d’emportements l’un envers l’autre, ce professeur d’université spécialiste du conflit israélo-palestinien et cette animatrice de radio faisant dans le conseil conjugal et sexuel décident de rédiger une charte censée ramener un peu de pacification et d’harmonie. Mais les bonnes intentions ne suffisent pas toujours et c’est compter sans quelques éléments perturbateurs. Comme deux adorables bouts de chou hyper actifs qui vont fragiliser ce processus de paix.
La première force de percussion du film est son scénario, incessant chaos remarquablement organisé de dialogues qui pétillent d’humour et d’absurdité sans jamais chercher à quitter le naturel et le réalisme dont ils ont issus. Aucune tentation de mots d’auteur ne vient perturber l’allumage de cette implacable explosion de saillies vachardes ou tendres, écrites au cordeau par le cinéaste et sa complice Camille Chamoux. Tout sonne vrai et juste. Tout trépide ici grâce à deux comédiens principaux dont la complicité est indéniable et qui orchestrent ce pas de deux sans jamais surenchérir ou verser dans l’excès. Leur ping-pong verbal est un bonheur de précision et de pure rigueur drolatique. Camille Chamoux et Damien Bonnard qui viennent pourtant d’univers cinématographiques à priori différents trouvent spontanément un terrain de jubilatoire entente, travaillant le diapason toujours juste de leur personnage et de leur partition. Sans oublier l’excellence des seconds rôles portée ici (entre autres) par une Ariane Ascaride en bourgeoise bohême et envahissante aux allures de Françoise Fabian ; ou Jeanne Balibar en amie complice et hyper sexuée de Marie. Ainsi que celui dont on ne dira jamais assez de bien : Sofian Khammes, irrésistible ici en beau-frère BCGB en polo crocodile, effaré et dépassé par la responsabilité parentale. Mais tout ceci ne serait que pure intention si la mise en scène d’Ilan Klipper n’était pas à la hauteur de ces talents. Comme dans toute guerre, il est question de territoires et d’espaces à protéger. Et ceux définis par le cadre, la précision des mouvements de caméras et du découpage ainsi que le montage forment un écrin formel qui circonscrit intelligemment ces tranchées belliqueuses autant qu’amoureuses. Plus que jamais, faites l’amour pas la guerre…
Réalisé par Ilan Klipper et coscénarisé avec Camille Chamoux. Avec Camille Chamoux, Damien Bonnard, Ariane Ascaride…1h32 – France – En salles le 14 juin – Le Pacte distribution