Nous sommes des animaux
Paul Kircher apparaissait pour la première fois à nos yeux dans Le Lycéen de Christophe Honoré. Il nous déstabilisait par son jeu atypique, ne ressemblant à aucun autre. Son personnage, Lucas, y déclarait : « Ma vie est devenue une bête sauvage ». Prophétie symbolique amusante pour le comédien à l’affiche de l’ambitieux deuxième long métrage de Thomas Cailley, Le Règne animal où l’homme et l’animal se retrouvent à cohabiter dans une étroite proximité…
Dès la première séquence, le film installe une inquiétante étrangeté. Un fils et son père (Romain Duris) sont en voiture, bloqués dans les bouchons. Le jeune Émile se gave de chips tandis que François marmonne « Quelle époque ! ». Quand, une créature homme-oiseau tente de s’échapper violemment d’une ambulance et que les personnages ne paraissent pas surpris, on comprend rapidement que cette « époque » n’est pas complètement la nôtre. Monde parallèle ou futur proche ? Presque dix ans après l’excellent Les Combattants (César du meilleur premier film en 2015), Cailley situe son récit dans un univers en mutation et a l’intelligence de ne pas en expliquer les raisons scientifiques, même si l’urgence écologique apparaît à nos yeux comme une évidence. Certaines personnes se métamorphosent progressivement en créatures hybrides. La médecine ne parvient pas à leur redonner forme humaine et inévitablement, la société réprime ces mutants en prenant la décision politique de les faire enfermer dans des centres ad hoc. Poussés par l’amour inconditionnel que l’un porte à sa femme et l’autre à sa mère, mue en femme-lionne, François et Émile déménagent dans les Landes pour rester près d’elle. Or, le fourgon la transportant avec d’autres semblables se renverse sur la route, libérant dans la nature une femme-poulpe ou un enfant-caméléon. François se lance à la recherche de son épouse (aidée d’une gendarme bienveillante, incarnée par Adèle Exarchopoulos) pendant que l’adolescent tente de se faire une place dans son nouveau lycée.
Le réalisateur mélange savamment les genres, il aborde aussi bien les troubles profonds de notre société par la chasse aux « bestioles » et la ségrégation qui rappellent les heures les plus sombres de l’humanité que l’intime – la lente transformation du corps d’Émile (à coups de griffes et de poils !) fait écho aux changements du corps adolescent, à la différence, à l’émancipation. Mais à travers ces discours métaphoriques, la fable fantastique de Cailley emporte par sa mise en scène lyrique et l’usage qu’il fait des effets spéciaux, créant de sublimes créatures perdues dans cette immense forêt. L’hybridation contamine le film qui lui-même se situe dans un parfait dosage entre cinéma d’auteur réaliste français et blockbuster américain. Les métamorphoses organiques de Cronenberg (La Mouche, mais pas seulement… ) côtoient le spectaculaire des films de Spielberg, ou les mutants des X-men. Et la musique d’Andréa Laszlo Simone accompagne avec grâce ce tendre duo père-fils (Kircher, bluffant d’inventivité, Duris au sommet), qui apporte au film une douceur diffuse. Avec Le Règne animal, Thomas Cailley offre au cinéma français le film fantastique que l’on n’attendait plus.
Réalisé par Thomas Cailley. Avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos… – 2h08 – En salles le 4 octobre 2023 – StudioCanal.