La fille de son père
L’édition 2024 du Festival de Cannes a fait la part belle aux productions corses, et pas des moindres. Présenté à Un Certain Regard, Le Royaume, premier long métrage de Julien Colonna, emprunte une trame narrative proche de celle d’À son image de Thierry de Peretti : observer la destinée d’une jeune femme pleinement intégrée dans cette société masculine et clanique bouillante. Ici, Colonna et sa coscénariste Jeanne Herry (Je verrai toujours vos visages) adoptent le point de vue de Lesia (Ghjuvanna Benedetti),15 ans. L’adolescente pensait vivre un été calme à la plage comme tous les jeunes de son âge, quand subitement une moto l’emmène dans une villa cachée dans le maquis où se planquent son père Pierre-Paul (Saveriu Santucci, bouleversant) et ses hommes, comme autant de tontons aimants. Bienvenue dans le royaume de son père, énigmatique chef de clan recherché depuis mars 91, et dans les guerres fratricides ravageant cette terre insulaire. Là où la vengeance appelle la vengeance, où l’on peut faire une déclaration déchirante à sa fille avant de tuer de sang froid un opposant, serrer dans ses bras avant de trahir même si « on a toujours peur, la peur on la mange, on la respire » comme l’explique Pierre-Paul. Colonna maitrise la complexité de ce territoire dans lequel s’engouffre Lesia, acceptant la traque comme elle a, en préambule du film, accepté d’apprendre à chasser, simplement pour passer du temps avec ce père trop souvent loin d’elle. L’intime de la chronique père-fille et la violence en tension de l’histoire criminelle locale se confondent – et c’est là toute la beauté de ce Royaume.
Réalisé par Julien Colonna. Écrit par Jeanne Herry et Julien Colonna. Avec Ghjuvanna Benedetti, Saveriu Santucci, Anthony Morganti, Andrea Cossu… 1h51. Ad Vitam. En salles le 13 novembre 2024.